Falco et la mémoire de la nation
Il ne s’expose pas beaucoup notre secrétaire d’Etat à la Défense et aux anciens combattants au point qu’on en oublierait presque qu’il fait partie du gouvernement. Toutefois, ses toutes dernières déclarations publiques dans cette fonction ne manquent pas d’intérêt.
La première, le 3 novembre 2009, à l’Hôtel des Invalides, à l’occasion de la réception d’un conseiller influent du Président de la République, Patrick Buisson, beaucoup plus discret que les deux cerbères Guéant et Guéno, et pour cause, afin de le remercier de son œuvre « La guerre d’Algérie » préfacée par Michel Déon. Les moyens et les ressources du ministère de la Défense avaient été mis à sa disposition.
Buisson, Déon, des noms qui ne diront rien aux plus jeunes mais qui sentent bon la restauration nationale, la glorification de l’empire colonial, les guerres qu’il a fallu livrer contre ces peuples indigènes qui avaient le mauvais goût de revendiquer leur indépendance, le rôle « civilisateur » de la France, thèmes de prédilection portés depuis trente ans par Le Pen plein d’admiration pour Buisson qu’il aurait bien aimé avoir comme conseiller mais il n’en n’avait pas les moyens, ironise-t-il.
Sarkozy va jusqu’à dire de Buisson qu’il fait partie des rares personnes à qui il doit quelque chose. Il s’est donc attaché ses services pour affûter les arguments susceptibles de lui rallier toute une partie, la plus volatile, de l’électorat du FN. D’autant que ça n’a pas mal marché et qu’il compte bien prolonger la collaboration.
Peut-être même qu’il ne serait pas étranger au débat sur l’identité nationale, à la veille d’élections régionales à risques pour le pouvoir ? Besson étant chargé de monter à l’assaut.
« Qu’est-ce que la France ? » s’est interrogé Falco en s’adressant à ce prestigieux invité.
« C’est sur les champs de bataille et dans l’adversité que la France s’est édifiée au long des siècles…Etre français, c’est d’abord et avant tout se reconnaître dans cette histoire-là, la recevoir en partage et l’assumer… »
« …Vous rendez justice, cher Patrick Buisson, à ces hommes qui ne sont pas de simples pièces sur le grand échiquier de l’histoire. Vous leur redonnez leur épaisseur et leurs couleurs. Vous leur redonnez vie. C’est de tout cela que j’ai souhaité, ce soir, voulu vous remercier. »
Récidivant un mois plus tard, à la cérémonie d’hommage aux « morts pour la France » en Algérie, Maroc et Tunisie, Falco est revenu lourdement sur les « aspects positifs » de la présence française dans ces pays et il a annoncé l’inscription, sur la colonne centrale du mémorial national de la guerre d’Algérie, des noms des victimes de la fusillade de la rue d’Isly à Alger, une semaine après le cessez-le-feu, consécutive à un appel à l’insurrection lancé par l’OAS contre le gouvernement de la République coupable à leurs yeux d’avoir signé les accords d’Evian. Mais pas un mot des victimes des commandos de l’OAS qui perpétrèrent l’attentat du Petit-Clamart contre le Général de Gaulle.
Comme l’exprime l’association pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS, « la France ne serait-elle pas entrée en voie de repentance pour avoir permis la décolonisation de l’Algérie ? »
Un peu d’histoire
Falco ne perd pas de vue que le FN a dirigé sa bonne ville de Toulon, de 1995 à 2001, perdue suite à une explosion interne avant la fin de la mandature, sur fond de meurtre d’adjoint en 1995 (Poulet-Dachary), de députée en1994 (Yann Piat, passée du FN à l’UDF qui avait supplanté le RPR dans le Var), une gestion municipale marquée par de multiples scandales qui ont eu des suites judiciaires.
Il est d’autant plus à l’aise dans ce rôle de recyclage des voix d’extrême droite qu’elles constituent un réservoir non négligeable et qu’il en a directement bénéficié pour son élection à la mairie de Toulon. Ce qui lui a valu la reconnaissance de l’hôte de l’Elysée.
Alors ce capital de voix qui alternent de la droite vers l’extrême droite et réciproquement, Falco le préserve du mieux qu’il peut. Par exemple, le FN avait inauguré, en 2001, un carrefour à la gloire du général Salan, devant l’entrée de l’hôpital des Armées. Un général séditieux, organisateur du putsch d’Alger en 1961, condamné à la prison à vie en 1962 et…amnistié en 1968 ! Astucieux, le FN l’avait libellé « au libérateur de Toulon ».
Falco, alors candidat, s’était engagé, « pour retrouver la concorde » à ce qu’une décision collégiale soit prise lorsqu’il serait aux affaires. Le carrefour en question est devenu depuis l’entrée du nouvel hôpital, face à l’ancien site. La plaque n’y est plus. Promesse tenue ? Pas tout à fait, une autre a été apposée un peu plus haut sur le mur de l’hôpital, où ne figurent que ces trois lignes : « au colonel Salan, libération de Toulon, 28 Août 1944 » dont on ne sait qui l’a mise là, comme si la ville n’y était pour rien. Le nom de Salan n’a donc pas disparu même s’il n’est plus associé à une voie publique et même s’il a perdu du galon pour ne pas être confondu avec un certain général putschiste !!
Plus significatif encore : un « monument aux martyrs de l’Algérie française » a été édifié sous la municipalité…de droite, en 1980, conduite par le mentor de Falco, Arreckx, à l’occasion du 150è anniversaire du débarquement français en Algérie. Un rassemblement à la gloire des « combattants de l’Algérie française » qui avait fait scandale.
On était, comme par hasard, à moins d’un an de la présidentielle qui devait porter la gauche au pouvoir. Il fallait ratisser large. Giscard qui prétendait « gouverner au centre » ne se faisait pas prier, il avait ce qu’il fallait dans ses rangs.
Y avaient pris la parole : un autre général séditieux, chef de l’OAS, Jouhaud, condamné à mort en 1962 puis à la prison à vie en 1962 et…libéré en 1967. Il était président d’honneur du FN des rapatriés. Lui avait succédé Dominati, secrétaire d’Etat aux rapatriés (qui avait eu un certain Le Chevallier comme directeur de cabinet avant de devenir maire de Toulon une fois passé chez Le Pen) et Arreckx dont le discours ne fut pas en reste.
Rien d’étonnant à ce que les passerelles soient très ouvertes entre les branches de la grande famille de la droite en proie à quelques querelles sur la manière de faire fructifier l’héritage autour des valeurs les plus conservatrices peintes aux couleurs de la mémoire et du progrès.
Le choix de ce conseiller très spécial de l’Elysée, revendiquant la pensée de l’Action française de Maurras, ancien journaliste à Minute, à Valeurs Actuelles, directeur de campagne de De Villiers, aujourd’hui directeur de la chaîne de télévision Histoire et auteur de livres sur l’épopée coloniale, en dit long sur la stratégie de Sarkozy qui, à travers le « débat » sur l’identité nationale cherche à l’évidence à réactiver les réflexes sécuritaires et à stigmatiser une partie de la nation française issue de l’immigration maghrébine et africaine.
Falco illustre dans ses discours comme dans sa pratique, combien la mémoire d’une nation pouvait être sélective et orientée à des fins politiciennes, contribuant ainsi non pas à faire vivre les vraies valeurs de la République mais à les vider de leur sens.
René Fredon
http://www.telerama.fr/idees/patrick-buisson-un-conseiller-du-president-tres-a-droite,49134.php