Gérard Collomb, le départ d’un seigneur
« Figure de la vie politique et du parti socialiste, il œuvra sa vie durant pour défendre ses idéaux de progrès et de fraternité, avec une érudition qui n’empêchait pas la franchise. » (communiqué de l'Élysée du 25 novembre 2023).
C'est l'un de barons originels du macronisme qui vient de mourir ce samedi 25 novembre 2023 à Lyon à l'âge de 76 ans. Né le 20 juin 1947 à Chalon-sur-Saône, Gérard Collomb avait indiqué sur Twitter le 16 septembre 2022 qu'il souffrait d'un cancer de l'estomac. Il a reçu les hommages de nombreuses personnalités politiques, en particulier du Président de la République Emmanuel Macron, mais aussi de François Bayrou, Élisabeth Borne, Yaël Braun-Pivet, François Hollande, etc., et même Marine Le Pen.
L'hommage de Marine Le Pen n'est pas anodin, parce qu'à sa démission de Ministre d'État, Ministre de l'Intérieur, le 3 octobre 2018, Gérard Collomb avait prononcé des mots qui ont été par la suite repris ad nauseam par l'extrême droite : « C’est la loi du plus fort qui s’impose, des narcotrafiquants, des islamistes radicaux, qui a pris la place de la République. (…) Aujourd’hui, on vit côte à côte (…), je crains que demain, on vive face à face. », mais toujours en omettant la suite du discours où il appelait à adopter « une vision d'ensemble » pour éviter la ghettoïsation et « recréer de la mixité sociale », élément complémentaire bien sûr systématiquement effacé des discours de l'extrême droite qui, aujourd'hui, a le toupet d'associer cette déclaration supposée prophétique aux récents événements comme les émeutes à la suite de la mort de Nahel ou à l'assassinat de Thomas à Crépol le week-end dernier.
Gérard Collomb, qui tenait déjà ce genre de discours dès juin 2015 dans un discours au 77e congrès du PS, bien avant d'être ministre donc, avait refusé de débattre à l'époque des émeutes de cet été, probablement aussi à cause de sa maladie, car il refusait ce rôle de pseudo-prophète et se savait instrumentalisé par l'extrême droite. Du reste, la collombamania de Marine Le Pen était très nouvelle puisque lorsque l'ancien "édile" de Lyon officiait comme "premier flic de France", celle-ci réclamait à grands cris sa démission, notamment en janvier 2018 en fustigeant la « culture du déni » du ministre et son « angélisme de la vieille gauche ».
En fait, Gérard Collomb n'a jamais été un type normal chez les siens. Certes, professeur agrégé de lettres classiques, franc-maçon (qu'il se disait volontiers) et engagé au sein du parti socialiste dans les années 1970, il avait été élu jeune député de Lyon dès juin 1981, au lendemain de son 34e anniversaire, dans la foulée de la victoire de François Mitterrand à la Présidence de la République. Il était typique de ces élus socialistes vainqueurs de l'année. Mais c'était aussi le départ d'une très longue et prestigieuse carrière politique qui l'a amené à exercer les mandats de député de 1981 à 1988 (il a échoué aux législatives de 1988, 1993 et 1997), puis de sénateur de 1999 à 2017, et enfin, son bâton de maréchal, maire de Lyon de 2001 à 2020 sauf pendant son ministère (et président du Grand Lyon de 2001 à 2017). François Mitterrand l'a nommé au Conseil Économique et Social en 1994 (il y resta jusqu'en 1999) pour compenser sa perte de mandat parlementaire.
Conseiller municipal depuis 1977 (pendant quarante-six ans !), il avait tenté de conquérir la mairie de Lyon déjà en 1989 et en 1995, alors que c'était une forteresse de la droite classique voire traditionnelle. C'était justement en adoptant des positions barro-compatibles qu'il a pu séduire les Lyonnais et devenir le successeur de Raymond Barre, également dans un contexte de division du centre droit (comme Bertrand Delanoë en avait aussi bénéficié à Paris au même moment). Depuis une vingtaine d'années, prenant soin d'être un représentant attentif et reconnu des Lyonnais, il était devenu une sorte de "socialiste de droite", poisson volant étonnant qui était toutefois la raison de ses victoires municipales successives.
Très tôt, Gérard Collomb s'est converti au macronisme. Il voyait en Emmanuel Macron le moyen de rendre les socialistes plus adaptés à la réalité économique du monde nouveau. Il n'est pas exagéré de dire qu'il fut pour Emmanuel Macron un faiseur de roi, c'est d'ailleurs ce que le nouveau Président de la République a confié à l'oreille de son prédécesseur, François Hollande, quand il a pris ses fonctions le 14 mai 2017 : « Je lui dois tout. ».
Oui, tout pour pouvoir être un candidat à l'élection présidentielle victorieux. Ce fut Gérard Collomb qui s'est occupé des parrainages des élus locaux alors qu'Emmanuel Macron n'a jamais su ce qu'était un maire (encore maintenant), et surtout, il a été l'entremetteur, précieux et crucial, pour convaincre François Bayrou de se rallier à la candidature d'Emmanuel Macron, ces quelques pourcentages de voix supplémentaires qui ont fait la différence dans la dynamique de campagne. Il a aussi obtenu du candidat marcheur de retirer de son programme la dépénalisation de certaines drogues, mauvais signal quand au contraire il faut plus d'autorité.
Lorsqu'il a rencontré des journalistes de "L'Express" le 24 novembre 2021 pour évoquer ses relations avec Emmanuel Macron, Gérard Collomb a lâché un peu d'amertume : « Je croyais qu’Emmanuel Macron était mon meilleur ami. Finalement, j’étais peut-être le dernier des naïfs. ». Au fil des mois pendant qu'il était Place Beauvau, Gérard Collomb s'est éloigné d'Emmanuel Macron. Il a été particulièrement affecté par l'affaire Benalla, dont il avait si peu d'information qu'il en était humilié, lui qui aurait dû être l'homme le mieux informé de France. Le 19 septembre 2018, renonçant à moyen terme à ses fonctions de ministre, il a annoncé qu'il comptait se représenter à la mairie de Lyon, prenant ainsi plus de recul. Après plusieurs tentatives de démission (l'Élysée les rejetait), il a enfin obtenu l'autorisation de quitter le gouvernement, et finalement de quitter la macronie. Le premier des ministres a donc perdu toute influence auprès de celui qu'il a fait roi.
Les relations se sont normalisées lorsque le Président de la République a remis à son ancien ministre les insignes d'officier de la Légion d'honneur le 8 mars 2022 dans la salle des fêtes du Palais de l'Élysée en présence entre autres de Brigitte Macron, François Bayrou, Christophe Castaner, Yann Cucherat, et de ses enfants Thomas, Alexandre et Anne-Laure et de nombreux élus lyonnais : « Votre secret, c’est le dépassement politique. Vous avez d’ailleurs beaucoup donné de votre santé. Vous êtes aussi cette voix qui n’a jamais peur de s’exprimer. Vous avez été un grand artisan de ce que fut ma victoire. Je sais, cher Gérard, tout ce que je vous dois. Élu Président de la République, c’est naturellement que je vous propose de devenir Ministre d’État. Par amitié, vous acceptez la charge. La tâche est difficile. Pendant vos dix-huit mois, vous n’avez cessé de penser à Lyon. C’est votre chair. Je voulais vous remercier de ce sacrifice. À la tête de ce ministère, vous avez œuvré sans relâche. (…) Je voulais vous dire que vous pouvez être fier de vos dix-mois mois à la tête du Ministère de l’Intérieur. J’ai toujours eu un ministre loyal, franc et déterminé. ».
Les élections municipales de 2020, dans un contexte de grave crise du covid-19 et de forte abstention, a été une catastrophe pour Gérard Collomb, un échec monumental : il était candidat à la présidence de la métropole de Lyon tandis que son poulain Yann Cucherat était candidat à la mairie de Lyon pour le compte de LREM. Finalement, en raison d'une liste LREM dissidente, il n'a obtenu que 17,3%, en quatrième place au premier tour pour les élections métropolitaines, et aux municipales, la liste LREM a été en troisième position avec 14,9%. Pour le second tour, la liste LREM a fait alliance avec la liste LR d'Étienne Blanc, mais cette alliance n'a pas suffi à écarter la victoire de l'écologiste Grégory Doucet.
C'est ainsi que la carrière politique de Gérard Collomb s'est achevée sur un goût d'inachevé, un peu dans cette impression qu'a donnée François Hollande, qui l'a longtemps fréquenté dans les couloirs du parti socialiste, dans son hommage : « Comme ministre, il n’eut pas le temps de traduire en actes sa lucidité sur les risques de fracturation de notre société. Gérard était doté d’une inépuisable ténacité, d’un rare courage et d’une vive intelligence. ».
Quant à l'Élysée, il a publié un communiqué très complet, en particulier : « Familier des joutes du parti socialiste, secrétaire national à de multiples reprises, responsable d’une des plus puissantes fédérations de France, il tenta d’imposer sa ligne sociale-démocrate, européenne, pragmatique et girondine, auprès des candidats socialistes successifs à la présidentielle. Car Gérard Collomb nourrissait moins une ambition personnelle qu’il ne menait une aventure de pensées et d’idées. Il fut l’un des artisans de l’approfondissement intellectuel entrepris par le parti socialiste, avec la création de la Fondation Jean Jaurès. Porteur de la figure de Saint-Simon, il croyait dans les forces du progrès pour changer la vie. (…) Le Président de la République et son épouse saluent avec chagrin la mémoire d’un ami cher, d’un maire qui voua ses talents exceptionnels de dialogue et d’imagination pour bâtir une ville à son image, d’un homme d’État qui incarnait l’ascension et l’autorité républicaines. ».
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 novembre 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Gérard Collomb.
La démission de Gérard Collomb.
Gérard Collomb se prend-il pour le Président de la République ?
Le premier gouvernement d’Édouard Philippe.
Le deuxième gouvernement d’Édouard Philippe.
La réforme des institutions, côté Place Beauvau.