mardi 14 novembre 2006 - par Loic Le Meur

La fin du off et les dix changements pour les politiques avec le vidéo blogging

Comme je l’ai dit avant hier à l’AFP, je pense que le phénomène qu’annonce la fameuse vidéo de Ségolène Royal (360 000 consultations au dernier relevé), c’est plus de transparence dans la vie politique, et c’est une excellente nouvelle.

Qu’est-ce qui a changé ?

1. N’importe qui peut les enregistrer à tout moment
Avec un téléphone ou un appareil photo capable de faire des vidéos dans la poche de chaque Français, n’importe qui peut publier en quelques instants sur le Web une vidéo d’un politique. Je suis surpris que Royal "dénonce la méthode" alors qu’elle propose que les conseils des ministres soient filmés sauf erreur de ma part, alors qu’elle était en public lors de la prise de cette vidéo, et je vois mal comment son équipe ou elle-même aurait pu rater quelqu’un assis en face d’elle avec un téléphone ou un appareil photo fixé sur elle pendant tout ce temps. Elle était en public, point. D’ailleurs, on voit clairement dans la vidéo une autre caméra, donc le "Je ne vais pas le crier sous tous les toits" devant deux caméras est d’une naïveté rare.

2. Tout ce qu’ils disent est archivé
Le Web est beaucoup plus permanent que les grands médias tout ce qu’ils disent reste disponible à tout moment et est indexé par les moteurs de recherche.

3. Tout ce qu’ils disent peut être largement diffusé de manière "virale"
Les vidéos amateurs peuvent désormais atteindre des audiences de centaines de milliers et bientôt de millions de Français quand le darwinisme du Web a fait son effet. Il suffit que le bouche à oreilles des blogs et des médias amateurs s’intéresse à un contenu pour qu’il émerge facilement.

4. Impossible de nier
L’écrit peut déformer les propos des politiques, pas la vidéo. Ils ne peuvent pas dire : "Je ne l’ai pas dit".

5. Beaucoup plus d’impact que les sites des partis politiques
Les sites des partis sont en général institutionnels et peu intéressants. Les vidéos qui y sont diffusées sont les discours officiels, trop longs, trop lourds.

6. La mort du caméléon politique
Nos politiques actuels sont des caméléons. Ils s’adaptent à leur auditoire. S’ils sont avec des chefs d’entreprises, ils deviennent leurs meilleurs amis et leur promettent de tout mettre en oeuvre pour servir leurs intérêts. Si les mêmes sont avec une classe sociale en difficulté, ils dénoncent les méfaits du capitalisme et les salauds qui s’enrichissent. Comparez donc un politique qui prononce un discours face à ses militants et le même hors de ce contexte.

7. Contraste entre vie privée et vie politique : impossible de prendre les Français pour des imbéciles
De nombreux élus de province parlent de tout ce qu’ils font pour leur région ou pour leur ville, parfois défavorisée, et vivent confortablement installés dans un riche quartier parisien. Ils ne vivent pas parmi ceux qui les ont élus. Ils dénoncent les injustices sociales et sont propriétaires de logements en plein seizième ou à Boulogne-Billancourt dans un quartier où ces biens dépassent souvent plusieurs millions d’euros de valorisation, sans parler des résidences secondaires dans des pays ensoleillés ou de séjours en cinq étoiles. Partout, il y aura des amateurs capables de prendre une petite vidéo qui les couvrira de ridicule si leur train de vie personnel est sans rapport avec leurs idées.

8. L’argent public et l’action sur le terrain sous surveillance
Vous vous souvenez de l’émission qui dénonçait les élus qui se font plaisir ou investissent n’importe comment l’argent public ? Eh bien avec des millions de Français capables de diffuser tout ce qu’il voient, je pense que nous allons faire quelques économies...

9. La fin des fausses promesses
Les promesses des politiques vont désormais être archivées les unes après les autres. A force de ne jamais les tenir, ils vont se ridiculiser et feront beaucoup plus attention à ce qu’ils disent. Je me demande pourquoi personne n’a encore un fait un site qui archive toutes les promesses des politiques.

10. Vers un politique 2.0 ?
Avec plus de transparence en permanence, peut-être allons-nous voir arriver progressivement une nouvelle génération de politiques qui ne fait pas que des fausses promesses mais les respecte aussi et reste "constant" quel que soit son auditoire. J’y crois.

Les ripostes possibles. Deux journalistes viennent de me demander "les ripostes" que pourraient employer les candidats. L’une d’entre elles est évidente, faire pareil, et inonder le Web de vidéos de la sorte. Attention toutefois, si un candidat pouvait prouver que c’est un autre qui est à la source de la vidéo, au retour de bâton... Il me semble beaucoup plus sage de s’adapter à ce média, de se laisser au contraire filmer par les amateurs comme par la presse, et de tenir les mêmes engagements, quel que soit l’auditoire... Mais cela va être difficile, tant ils sont habitués à être des caméléons, justement.



24 réactions


  • Yoyo (---.---.132.225) 14 novembre 2006 11:26

    Article tres interessant néanmoins le point n°7 me fait bondir.

    Vous semblez considérer qu’il faut obligatoirement etre pauvre pour etre contre les inégalités sociales ? (je schématise volontairement, quoique ...) Quelqu’un qui aurait une vie confortable serait forcément quelqu’un qui se contrefiche de la misère des autres et en serait meme sans doute un acteur ?

    Je suis assez scandalisé de lire celà.


    • patrick patrick 14 novembre 2006 11:33

      @Yoyo

      Moi je ne l’ai pas lu dans ce sens mais plutot dans celui de la dualité géographique. Par exemple un couple de politiques dont l’un serait député et président de Région dans le centre ouest et dont l’autre serait deputé maire d’une petite prefecture du centre de la France et qui vivraient en réalité à Paris du coté de l’avenue de Breteuil. Mais ce n’est qu’un exemple pour illustrer le propos..


    • Yoyo (---.---.132.225) 14 novembre 2006 11:42

      Pour moi il n’est pas du tout question de dualité géographique dans ce paragraphe mais bien d’une soit-disant contradiction entre le fait de combattre les inégalités sociales et celui d’avoir un niveau de vie confortable.


    • hi (---.---.1.236) 14 novembre 2006 14:36

      Bah, sans être très intéressé par la politique, je tiens quand même à signaler qu’il est fréquent de le croiser dans cette petite préfecture du centre de la France (un des plus beaux coins du pays soit dit en passant) et ce depuis de nombreuses années. Même si il est nettement moins visible depuis quelques temps. smiley


  • (---.---.236.52) 14 novembre 2006 11:50

    Ce point de vu me paraît plus lucide que celui de Natacha Quester-Séméon.

    Philgri


  • Daniel (---.---.51.178) 14 novembre 2006 11:57

    A force de tout filmer, tout archiver, et de pouvoir tout ressortir à n’importe quel moment, afin de savoir si les promesses sont tenues, que va-t-il se passer ? Plus aucun politique ne fera de promesses, ni ne fera de coup de gueule, ni n’affichera d’opinion tranchée. Bien qu’apparemment piégée par cette vidéo, Ségolène l’a bien compris : son opinion s’efface derrière celle des français, son action sera celle du peuple, bref elle annonce qu’elle sera transparente, invisible, incolore et inodore. Il est certain qu’en procédant ainsi, la critique n’est pas aisée... Mais qui sera gagnant si elle est élue ?


  • patrick patrick 14 novembre 2006 12:11

    @ l’auteur

    Je souscris globalement à votre analyse qui decrit bien l’évolution. Il est certain, et nous le voyons bien en ce moment avec les cris de Marie Ségolène, qu’il faudra un peu de temps aux politiques pour s’adapter. Et cela dans trois axes me semble t il :

    1.Trouver la capacité à réagir intelligement lorsqu’ils se font piéger . Bien sûr plus personne ne poura nier ou denoncer la manipulation puis que ce type d’action deviendra monnaie courante. Il faudra apprendre la modestie et la « contrition » . Oui je l’ai dit et voici pourquoi ... Les « gens » comme dit ségolène n’accepterons plus une autre attitude.

    2. trouver un nouveau langage et surtout un langage unique et si une adaptation légère peut etre utilisée suivant l’interlocuteur, cela ne pourra être que suis l’intonnation et sur la forme. Nos élites sont condamnées à conserver le même fond quelle que soit les auditoires ! L’ ENA ne les a point formé à cela.

    3.La troisième adaptation est celle qui devront effectuer en apprenant à utiliser ce nouveau média. Et là , je crois que la disparution des Elephants et autre Baron est en marche dans un mouvement darwinien pas désagréable à regarder.

    Mais il existe une autre catégorie dans l’obligation de s’adapter ; La presse traditionnelle ! On sent bien que le phenomène actuel derange les journalistes qui ne savent pas comment le traiter. L’idée première chez certains etait peut etre de ne pas trop en parler, de garder la « maitrise » de l’information et de ne pas se faire depasser ni manipuler. La posture etait intenable. Ils ont du lacher .

    Je ne fais pas partie des critiques faciles de la presse mais je pense que l’emergence du net transformera la pratique du journalisme.

    On sait depuis 2005 ( et mêm bien avant) qu’il existe un fossé entre la vérité des journalistes et celle des Français. Je ne veux ps parler de manipulation mais simplement d’axe de pensée, de « verité » proposée, d’image sans cesse assénée au peuple mais surtout et en sens inverse cette propention de certain à faire parler les français avec les mots choisis par les redactions.

    Aujourd’hui l’exemple est flagrant de la rupture entre la presse ( particulièrement télévisée) et les blogs. D’un coté on préserve autant que faire ce peut Madame Royal. On entretient son image. j’ai faillit dire on preserve la candidate que l’on a crée pour se persuader que l’on a raison. De l’autre coté, des gens discutent , argumentent, boursculent, vituperent et se confrontent sur les blogs. Force est de constater que Madame Royal est globalement bien moins apprecié sur le web que sur le plateau de LCI ou I TELE ! Ah ce n’est pas Jean Michel Appatie ou PL Seguillon qui l’auraient bousculé dimanche soir !

    Bien sur la blogosphere est excessive, passionnée, peu moderée mais elle ouvre beaucoup de portes et les journalistes, grâce à leur competence supposées devraient s’en servir pour s’ouvrir l’esprit et faire évoluer leur façon de faire. D’ailleur la pertinence des « commandements » de l’auteur ne peut elle s’appliquer aussi aux journalistes ?

    Patrick


    • (---.---.113.30) 14 novembre 2006 16:20

      reply to patrick :« les journalistes, grâce à leur competence supposées »:Grâce à un accès privilégié au ministre de l’Intérieur DSK et Fabius ou S. Royal depuis mai ’07 ? Pauvre patrick ... .


    • patrick (---.---.105.226) 15 novembre 2006 22:25

      ? ??????? si vous pouvez eclairer ma lucarne bien sombre ?


  • Johan Johan 14 novembre 2006 12:36

    L’article est intéressant mais nous sentirons probablement les effets négatifs avant les effets positifs.

    Il est de bonne guerre que les armes de la vidéosurveillance soient utilisées par la population comme par les politiques.

    Jusque là, ok. Mais on creuse d’avantage le fossé de méfiance entre les « élites dirigeantes » et le « peuple ». Il va falloir un jour ou l’autre converger vers la préoccupation de l’Intérêt général plutôt que d’accentuer toujours le corporatisme.

    Ensuite, l’effet viral est une chose importante et vouée à se développer, mais il n’est pour l’instant amplifié que lorsqu’un « grand média » reprend le Buzz.

    Je crains que ça ne nous oriente vers toujours plus de langue de bois et que l’info soit encore plus jalousement gardée : les hommes politiques n’ont pas encore compris que nous voulons la vérité ! Pourtant Bush aux USA, Aznar en Espagne et Gyurcsany en Hongrie ont payé cher leurs mensonges

    Ils vont se faire damer le pion par le premier dont la ligne est claire (même si elle reste inquiétante : suivez mon regard).

    Le problème c’est que la duplicité des grands partis va encore décrédibiliser la classe politique toute entière. Ils ne sont pas formés pour tenir une discours constant. Le vote extrème sera fort en 2007, comme l’abstention.


    • parkway (---.---.18.161) 14 novembre 2006 13:42

      très bon commentaire de johan !

      accord total...


  • (---.---.164.125) 14 novembre 2006 12:46

    Je hais la transparence, semblant du vrai....


  • parkway (---.---.18.161) 14 novembre 2006 13:30

    « Mais cela va être difficile, tant ils sont habitués à être des caméléons, justement. »

    des camé(ra)leons !


  • Internaute (---.---.138.20) 14 novembre 2006 15:08

    Votre article montre les hommes politiques sous un bien mauvais jour mais porte en soi une fantastique espérance. L’information libre sur le Net et la multiplicité des sources va servir de filtre efficace contre les caméléons et les menteurs. Au lieu d’avoir une multitude de politiciens qui ne valent pas grand chose, le Net fera rapidement le tri et nous verrons émerger quelques personnages dignes des plus hautes responsabilités.


  • Daniel (---.---.51.178) 14 novembre 2006 16:00

    Autant la nécessité de transparence d’un personnage en chair et en os (entendons : télévisé) va l’entrainer à plus de langue de bois, et au politiquement correct en toutes circonstances, autant la blogosphère, écran de fumée garantissant un quasi-anonymat à ses contributeurs, permet de répandre rumeurs, humeurs déplacées et anecdotes déplaisantes. Il n’est pas exclu que les contributeurs d’un blog en apparence très politiquement correct (désir d’avenir par exemple), soient pilotés par une équipe communicante bien rodée. Histoire de désinformer, conditionner, manipuler les lecteurs, sans que la candidate elle-même ne puisse en être accusée : ce sont des contributeurs anonymes qui l’ont dit, des internautes (mot magique... et générique)


  • (---.---.31.108) 14 novembre 2006 16:10

    cet article est d’une grande naïveté. Il pense qu’une vidéo est une PREUVE et que les politiques devront rendre des comptes en fonction de celle-ci.

    Or l’exemple même de cette vidéo de S. Royale démontre qu’elle n’en est pas une : Elle a été volontairement tronquée pour déformer ses propos. C’est pourquoi S Royale n’y répond même pas puisqu’elle est fausse. Par contre elle en profite, pas folle la guêpe ! smiley


  • Dominique Larchey-Wendling 14 novembre 2006 18:32

    Franchement, c’est bien vu le :

    « alors qu’elle propose que les conseils des ministres soient filmés sauf erreur de ma part, »

    barré ... ça me rappelle un journaliste qui a fait la remarque suivante dans une réunion publique récente (sur un autre sujet que S. Royal) : aujourd’hui tous les journalistes parlent des appels du pieds de SR à JP Chevènement mais ils ont oubliés qu’il y a quelques mois, SR vantait les mérites de la régionalisation. Il se trouve que JP Chevènement est l’une des personnalités de la gauche les plus jacobines, donc favorables à une centralisation de l’Etat. Cherchez l’erreur ...

    Un beau clin d’oeil donc au dur métier de journaliste : qu’est-ce que je dois oublier de dire aujourd’hui ?


  • Sam (---.---.110.8) 14 novembre 2006 21:25

    Tu surestimes un peu la puissance du Net dans l’opinion. La majorité des français n’est pas connectée.

    CA c’est un problème. Ca serait pas mal qu’une association se lance pour créer un « FAI du pauvre ». Accés avec minimum de fonctions mais très bon marché. Ainsi le Net pourrait vraiment se démocratiser.

    Par ailleurs, d’accord pour le fait que les vidéos (non truquées...) induisent une transparence accrue et peuvent signer la fin du double langage,de la double attitude de trop nombreux élus.

    Cette montée en puissance va certainement s’accompagner d’une tentative de reprise en main. Les blogueurs devraient y penser dès maintenant, à mon avis, au lieu de céder aux sirènes politiques qui leur sussurre qu’ils sont l’alpha et l’oméga de la transparence politique. Sauf à se faire à terme démolir, ou utiliser, ce qui revient au même. smiley


    • (---.---.57.51) 14 novembre 2006 21:57

      L’auteur surestime un peu la puissance du net, ce qui est normal c’est son métier, donc il le valorise, un peu trop en effet, mais bon... Pas autant que cela.

      Association « FAI du pauvre » > Free (groupe Iliad) a répondu en partie a ton probleme en lancant l’association qui permettra aux plus pauvres, comme aux plus éloignés des centres d’avoir un acces internet. Affaire a suivre...


  • Jonathan Malentin 14 novembre 2006 23:59

    Une réflexion intéressante qui vient compléter la mienne (sur le web politique 2.0, paru récemment sur la section politique d’Agoravox). Pour ceux qui pensent que l’audience du web est négligeable : il me semble que cela est en train de changer, que le web dépasse déjà les médias papier, et que seule la télévision est encore plus influente. Pour combien de temps ?


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