lundi 1er juin 2015 - par Sylvain Rakotoarison

La renaissance de Nicolas Sarkozy ? (1/2)

Petits extraits des discours des trois principaux responsables de l’UMP devenue "Les Républicains" au cours d’un congrès qui a consacré magistralement le retour politique de l’ancien Président de la République. Première partie.

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Ce samedi 30 mai 2015 se tenait le congrès fondateur du nouveau parti "Les Républicains" qui est la nouvelle appellation de l’UMP. Durant cinq heures, une soixantaine d’orateurs sont venus parler aux quelques huit mille militants UMP présents à la Grande Halle de la Villette, dans le nord de Paris.

La salle était entièrement acquise à Nicolas Sarkozy, le nouveau président des "Républicains" et ce congrès semble être le point de départ d’une véritable volonté de reconquête, honorée même par la présence vidéo de la Chancelière allemande Angela Merkel.

Le parti (qui est loin d’être nouveau, donc) possède une grande puissance de frappe : 199 députés (sur 577), 144 sénateurs (sur 348), 19 députés européens (sur 74), 44 présidents de conseils départementaux (sur 98), 4 présidents de conseils régionaux (sur 27), 35 maires de ville de plus de 70 000 habitants (sur 67) et revendique même 298 935 conseillers municipaux (sur 526 341). Son premier objectif est électoral avec les élections régionales de décembre 2015.


"Les Républicains"

Revenons très rapidement sur la nouvelle appellation "Les Républicains" dont le dépôt de marque à l’INPI a été publié le 5 décembre 2014 (BOPI 2014-49). Elle m’a paru assez peu pertinente pour un nom de parti politique à la fois par le côté générique du terme (la République appartient à tous) et par la morphologie (ce terme est un oxymore : "Les Républicains" ne désignent pas un parti mais les membres de ce parti).

Néanmoins, libre à chaque parti de s’appeler comme il le désire, et c’est ce qu’il s’est produit lors d’une consultation le 28 mai 2015 : 83,28% ont approuvé la nouvelle appellation (ce qui n’était pas gagné d’avance) même si seulement 45,74% des adhérents ont voté, soit 97 440 votants. À noter (en terme de mathématiques militantes) que Jean-Christophe Cambadélis a mobilisé, lui, le même jour, près de 50% des adhérents du PS (soit environ 60 000 adhérents) qui lui ont accordé la confiance comme premier secrétaire du PS pour "plus de 70%" d’entre eux (je n’ai pas de résultats plus précis).

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Par ailleurs, la décision de justice du 26 mai 2015 qui a donné tort à ceux qui contestaient devant la justice cette nouvelle appellation me paraît logique et même rassurante d’un point de vue de la démocratie et des libertés politiques.

Après tout, le mouvement gaulliste s’était bien appelé au début Union pour la nouvelle République (UNR) sans qu’on lui ait reproché de vouloir s’approprier la Nouvelle République ; tout comme le Parti républicain (PR) que Valéry Giscard d’Estaing a modernisé sur les bases des Républicains indépendants (RI) n’a pas été taxé d’hégémonisme dans la défense de la République ; tout comme Force démocrate (FD), créée à partir du Centre des démocrates sociaux (CDS) de François Bayrou, n’a pas eu ce procès de monopolisation de la démocratie. Enfin, on concède leur nom au Parti socialiste (PS) et à Europe Écologie Les Verts (EELV) sans pour autant les imaginer préempter l’exclusivité du socialisme ou de l’écologisme. Et pour finir, qui a cru que la désormais ancienne Union pour un mouvement populaire (UMP) avait pris en otage le terme de "populaire" dont le sens politique ne se conçoit qu’à l’échelle européenne avec le Parti populaire européen (PPE) ?

Dans tous les cas, ça n’empêchera pas le Front national de continuer à croire à la collusion, l’UMPS s’est transformée en mauvais herpès par un tweet de Florian Philippot : « Bienvenue à l’RPS ! Ca gratte, ça démange, c’est mauvais pour la France ! » (30 mai 2015).


Nicolas Sarkozy, grand gagnant, grand revenant de ce congrès

J’exclus de mon analyse les huées contre Alain Juppé et François Fillon voire les micros subitement tombés en panne lors de certains discours (comme celui de Bruno Le Maire) car un congrès et une salle, ça se prépare et nul doute qu’une très large majorité des participants à ce congrès étaient des militants sarkozystes acquis.

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J’évoque seulement les interventions, et il est clair que le discours de Nicolas Sarkozy de ce samedi 30 mai 2015 a été excellent, peut-être l’un de ses meilleurs discours dans sa vie politique. Certains présents se croyaient même revenus neuf ans en arrière, à l’époque où Nicolas Sarkozy s’engageait dans sa première campagne présidentielle.

Je l’écris d’autant plus volontiers que ma préférence intellectuelle se porte plutôt vers Alain Juppé dont la sagesse raisonnable me paraît la seule option possible pour le salut du pays. Mais c’est un fait : Nicolas Sarkozy a dépassé largement dans les mots ses deux seuls réels concurrents dans la primaire qui se profile en novembre 2016, à savoir François Fillon et Alain Juppé.


Sur la forme, il s’est montré très à l’aise, très différent du Nicolas Sarkozy de ses nombreux meetings vespéraux des mois précédents (depuis septembre 2014) où l’on l’imaginait se faire plaisir dans des one-man-shows de commentaires de l’actualité (comme le fit Thierry Le Luron au Théâtre du Gymnase, mais en moins rigolo).

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette, le fait est là : Nicolas Sarkozy est un grand "animal politique" et un grand communicant ; ce samedi, il a montré qu’il avait un talent que peu de monde est capable d’égaler. Sans doute au sein de sa formation, Jean-François Copé pourrait avoir son aisance mais son destin à court terme paraît assez compromis avec l’affaire Bygmalion. Ce discours de Nicolas Sarkozy m’a paru l’équivalent du très efficace discours du Bourget de François Hollande le 22 janvier 2012.

D’ailleurs, si la volonté d’en découdre à l’élection présidentielle et même de prendre sa revanche sur 2012 n’est pas un secret, rien n’indique que Nicolas Sarkozy sera effectivement candidat à la primaire de 2016, lui-même ne doit pas le savoir car il ne maîtrise pas forcément un calendrier judiciaire qui, d’ailleurs, resterait dans tous les cas une épée de Damoclès peu heureuse pour ses amis politiques.

Si bien que Nicolas Sarkozy s’est évertué à rassembler rassembler rassembler, son camp, en disant à quel point chaque personnalité est indispensable, en convaincant qu’on ne peut rassembler les Français si on divise son parti (l’argument de diviser son camp est très connu chez les gaullistes, déjà utilisé par Jacques Chirac pour discréditer Raymond Barre en 1985), et son discours fut truffé de clins d’œil aux différents responsables de son parti, en fonction des thèmes abordés : "cher Jean-Pierre", "cher Bruno", "cher Nathalie", "cher Gérard", "cher Laurent", "cher Alain"… jusqu’à faire ovationner Éric Woerth doublement relaxé le 28 mai 2015 par le tribunal correctionnel de Bordeaux dans l’affaire Bettencourt : « Les droits de chacun seront respectés à la différence de ce qu’a vécu Éric Woerth après cinq années d’insultes et d’injures médiatiques. Nous sommes heureux d’accueillir un très honnête homme et un républicain ! ». Un savoir-faire de manager capable de valoriser ses collaborateurs… (Éric Woerth avait confié quelques heures avant : « Merci pour votre force, de ne pas avoir douté, merci pour votre confiance, merci du fond de mon cœur ! »).

Cela peut paraître étonnant voire aberrant, puisque dans les sondages, plus des trois quarts des sondés disent régulièrement qu’ils ne veulent pas comme candidats à l’élection présidentielle ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande, mais la probabilité d’être présents dans la course reste néanmoins encore très forte aujourd’hui. On sait d’ailleurs ce que valent les sondages et les cimetières politiques sont jonchés de présidentiables très populaires, de Jacques Chaban-Delmas à Raymond Barre, d’Édouard Balladur à Lionel Jospin, de Jacques Delors à Dominique Strauss-Khan

Dans la forme, il n’y avait pas photo.

D’un côté, un homme qui a repris la totale maîtrise d’un appareil, et on sait ce que cela signifie dans une perspective présidentielle : total contrôle des fédérations (les secrétaires départementaux sont désignés par le président), des finances, du programme politique, etc., un homme qui est en bonne forme personnelle, avec du dynamisme, de la combativité, de la pugnacité et une capacité évidente de rassembler son camp.

D’un autre côté, deux anciens Premiers Ministres très valables, aux compétences reconnues, à l’expérience gouvernementale impressionnante et incontestable, mais qui ont visiblement eu du mal à trouver leur souffle durant ce congrès. Leurs discours laissaient entendre une démarche isolée, solitaire, avec souvent un "je" face au "vous" qui correspondait aux militants réunis, tandis que Nicolas Sarkozy usait allègrement du "nous" en se mettant pleinement dans le groupe.

Même dans l’allure générale du corps, l’un était ouvert et les deux autres prenaient plutôt des positions fermées, et se tenaient essentiellement sur la défensive.

On pourra toujours s’étonner que ce ne sont pas les plus intellectuels qui gagnent les élections mais même François Bayrou avait compris en mars 2007 qu’une élection se gagnait aussi physiquement, à la sueur du front. D’ailleurs, le 5 novembre 2013, la chaîne Direct 8 avait diffusé un documentaire ("Campagne intime") qui avait montré des images inédites de Nicolas Sarkozy après son dernier grand meeting avant le second tour, le 1er mai 2012 au Trocadéro, on le voyait habillé décontracté, en jogging, visiblement aussi éprouvé que dans une épreuve sportive de haute compétition.

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Dans le fond aussi, malgré la richesse des autres discours, le point était acquis à Nicolas Sarkozy qui, loin d’être consensuel, n’a fait que balancer des scuds contre ses deux adversaires du moment, le pouvoir socialiste d’un côté, et il avait de nombreux arguments pour le faire (l’école, l’emploi, le logement, l’Europe, etc.) mais aussi, contre la "famille Le Pen" de l’autre côté : « Je déteste les extrêmes parce que je refuse les impasses. ». Tandis que ses deux rivaux potentiels restaient encore dans une optique interne, tout en présentant leur vision en politique générale mais de façon très peu combative.

Parmi les critiques contre le gouvernement, la réforme du collège : « Nous serons les Républicains avec toutes celles et tous ceux pour lesquels l’héritage des Lumières n’est pas une option ! ». Mais aussi l’absence de la France aux cérémonies du 9 mai 2015 à Moscou : « Quel Français aimant passionnément son pays n’a pas éprouvé un sentiment mêlé de honte et de tristesse à voir les plus hautes autorités françaises préférer aller serrer la main de Fidel Castro au lieu d’aller rendre hommage au peuple russe pour les terribles épreuves qu’il a endurées lors de la Seconde Guerre mondiale et dont le courage a joué un si grand rôle dans la défaite du nazisme ? On doit pas confondre notre amitié avec le peuple russe avec les divergences légitimes avec son gouvernement. ».

Nicolas Sarkozy a longuement accusé les socialistes de ne pas avoir protégé la République : « La gauche ne respecte pas la République, elle la trahit par des coups de force permanents. » ou encore : « À ceux qui nous accusent de vouloir confisquer la République, nous répondons que s’ils ne l’avaient pas trahie, s’ils ne l’avaient pas abandonnée, s’ils ne l’avaient pas abaissée, nous n’aurions pas besoin de la relever, cette République. ». Les mots sont excessivement durs ("trahir"), ce qui nuit aux propos, mais l’observateur avisé aura noté un clin d’œil au "Coup d’État permanent", livre publié en 1964 par …François Mitterrand.

Son thème central, au-delà de sa défense des "Républicains" et de la République, c’est redonner la confiance : « Je vous propose de construire la République de la confiance. » en précisant : « La République de la confiance sera la République où il n’y aura plus de boucs émissaires livrés en pâture à l’actualité du jour. ».

Et de décliner, parfois de manière assez simplifiée : « [La République de la confiance] apprend aux enfants que la réussite est la récompense du travail et de l’effort. Elle dit au voyou : "Tu seras puni". Elle dit au délinquant : "Tu n’as pas d’excuse". Elle dit au citoyen : "Pour avoir des droits, il faut remplir ses devoirs". Elle dit aux religions : "La République vous respecte mais vous devez respecter la République. Ce n’est pas à la République de s’adapter à vous mais à vous de vous adapter à elle". ».



Est-ce suffisant qu’on parle de confiance pour retrouver la confiance ? En tout cas, le diagnostic est valable : sans confiance envers les gouvernants, aucune réforme ne peut durablement aboutir sans qu’il y ait à un moment une explosion et un point de non retour. Mais inspirer la confiance, cela reste à inventer de nos jours.


Il a aussi évoqué le rassemblement : « Le redressement, on ne le fait pas seul ! » mais on peut se demander avec qui il voudrait le faire, alors qu’il a pilonné la majorité et que les centristes n’ont pas été particulièrement honorés face à des militants qui n’hésitaient jamais à huer le nom de François Bayrou (lâché à la salle par un ancien centriste, Marc-Philippe Daubresse). Un thème qui aurait été important pour les centristes, l’Europe, qui reste encore vague dans la bouche de Nicolas Sarkozy : « J’ai envie de crier à cette Europe que j’aime tant : réveille-toi ! (…) Il faut refonder l’Europe dont le monde a un grand besoin. ».

Nicolas Sarkozy a aussi évoqué le "grand effondrement" qui semblerait faire écho au "grand remplacement" dont parlent de plus en plus les militants d’extrême droite, comme il a cité le "N’ayez pas peur !" du pape Jean-Paul II, qui avait été aussi cité par Jean-Marie Le Pen avant le second tour de l’élection présidentielle de 2002.

Dans son vocabulaire, il a utilisé des dizaines de fois "civilisation", aux côtés de "confiance" et de "République". Au final, un texte peut-être pas très constructif d’un point de vue programmatique mais très porteur politiquement. C’est la différence entre le politique et l’intellectuel : il faut une incarnation de la parole et de la pensée, et Nicolas Sarkozy excelle dans cet exercice.

Dans le second article, j’évoquerai les discours de François Fillon et d’Alain Juppé.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (1er juin 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Nicolas Sarkozy.
Alain Juppé.
François Fillon.
Bruno Le Maire.
Dans deux ans.
Changement de paradigme.
Piège républicain.
Être républicain.
Tout est possible en 2017.
Mathématiques militantes.
Discours de Nicolas Sarkozy du 30 mai 2015.
Discours d’Alain Juppé du 30 mai 2015.
Discours de François Fillon du 30 mai 2015.


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