mardi 5 octobre 2010 - par
Le comptage des manifestants : une diversion !
Depuis que les manifestations contre le projet de « réforme » des retraites se multiplient, on assiste - entre incompréhension et abattement - à des querelles de chiffres sur le nombre de manifestants. Pourtant compter n’est pas si compliqué que cela ! Cependant, le problème ne se situe pas vraiment dans le dénombrement…
Le citoyen lambda ne peut que s’étonner des différences relatives aux chiffres de participation, annoncés à la suite des manifestations récentes. On pourrait comprendre une fourchette de 1 à 2 , mais lorsque l’on constate que les chiffres varient de 1 à 4 voire de 1 à 10 dans certaines villes, des questions se posent.
Pour expliquer ces différences, plusieurs spécialistes nous ont dit que la police ne compte pas comme les syndicats : les personnes sur les trottoirs, celles à l’arrêt, mêmes munis de badges ou pancartes, ne seraient en effet pas comptabilisées par la force publique. Soit. Mais cela n’explique pas les différences. Nous nous sommes donc livrés à un petit test lors de la manifestation parisienne du 2 octobre entre République et Nation. Deux personnes se sont placées à l’extrémité du Boulevard Beaumarchais, côté Bastille, à l’endroit où le parcours était le plus resserré, et ont comptabilisé les manifestants sur ce seul Boulevard. La technique a été celle du comptage des rangs, ce qui permet ensuite de multiplier le nombre de rang par le nombre de personnes moyennes sur ces rangs et d’en déduire un chiffre. Une personne a eu pour mission de compter « serré », seulement les personnes sur la chaussée, et en tassant bien les rangs, donc en minimisant les chiffres, l’autre à l’inverse de compter large, personnes présentes sur tout le boulevard, et rangs lâches. Nous avons appliqué une fourchette d’erreur de 30%, arbitrairement. Nos comptages ont donné : fourchette basse : de 90 000 à 120 000 personnes, fourchette haute de 140 000 personnes à 180 000 personnes. Soit une moyenne de l’ordre de 135 000 personnes. Rappelons pour mémoire les chiffres donnés par les syndicats pour cette manifestation : environ 300 000, et pour la police 63 000 !
Ce comptage ne prétend pas être exact, mais quelques éléments peuvent être présentés pour expliquer ces différences. Côté syndicat, il y avait deux parcours, dont l’un a occupé le Boulevard Voltaire. Par voie de conséquence, les participants sur cet itinéraire n’ont pas été comptabilisés. Côté police, le chiffre a été donné très tôt (trop ?) dans l’après midi, alors que la tête du cortège arrivait juste à la Bastille et que la queue se trouvait encore bloquée au point de départ de la manifestation. Par ailleurs, les manifestants sont arrivés très décalés dans l’après midi, place de la République, le public se trouvant composé en grande partie de familles avec enfants voire avec poussettes.
Côté police, il faut aussi savoir que les chiffres des comptages sont obtenus le plus souvent par des personnels des ex-renseignements généraux, puis remontés à la Préfecture de police, qui les diffuse ensuite aux médias. Plusieurs syndicalistes organisateurs des manifestations m’on dit que leur chiffres étaient souvent en accord avec, ou voisin du comptage que les RG leur communiquait sur le terrain. Mais curieusement, le soir, la télévision et la radio annonçaient un chiffre officiel souvent fortement revu à la baisse. Cette tendance à modifier les chiffres, plus prononcée depuis 2 ans, a récemment été dénoncée par des policiers, dont le bien nommé Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat Unité Police SGP-FO. Lors des manifestations, « le nombre de manifestants compté sur le terrain par les policiers n’est pas toujours celui communiqué » explique-t-il. « Il y a souvent des modes de calcul assez similaires entre les syndicats et la police » mais ajoute-t-il, derrière les chiffres, il y a « un enjeu politique ». Nicolas Comte cite ainsi une manifestation de policiers à l’automne 2009. « Nos collègues avaient compté 5.000 manifestants », chiffre transmis à la Préfecture. « Pour finir, la préfecture a donné moins d’un millier de manifestants ».
Il est possible qu’en réponse à ce « tripatouillage » des chiffres par la Préfecture, voire par les ministères et peut être par l’Elysée, les syndicats aient tendance à gonfler les leurs. C’est une double erreur. Tout d’abord, un comptage sérieux risque de montrer que les chiffres syndicaux sont juste un peu plus fiables que les « comptages » préfectoraux, eux déjà attaqués et décrédibilisés, donc d’affaiblir les syndicats. C’est aussi une erreur, car les médias se focalisent ensuite sur la simple querelle de chiffres, en oubliant l’essentiel, à savoir le pourquoi de la manifestation.
On peut donc parler de diversion organisée, à laquelle malheureusement les syndicats contribuent. Par ailleurs, cette guerre de communication favorise le pouvoir politique qui dispose de l’appui de nombreux médias, lorsqu’il ne les contrôle pas. Il est donc peut être temps de penser au niveau syndical à d’autres moyens d’actions tel le blocage de la collecte de l’impôt, qui se met en place sans que l’on en parle outre mesure, ainsi que les possibles blocages de dépôt de carburants. Ce sont autant de pistes à explorer si l’on veut que la question des retraites, qui dépasse largement le simple cadre de nos pensions pour déborder sur des notions de redistribution de richesse, de solidarité inter générationnelle, de vivre-ensemble, ne s’enlise pas dans de simples querelles de chiffres. Ce débat mérite mieux que cela.