mardi 17 octobre 2017 - par Orélien Péréol

Le « e » qui ferait voir les femmes

Le réel et le symbolique sont deux dimensions des choses et phénomènes dont il convient de garder la distinction. Ce sont des outils pour penser. Dégrader, oublier voire confondre ces deux dimensions serait ruine de toute possibilité d’analyser. Le réel ne nous appartient pas, nous ne pouvons agir sur lui. Nous agissons dedans, avec. Le symbolique est construction commune. Les mots sont symboliques et les choses réelles. Le mot rose ne sent pas la rose ; le mot chien n’aboie pas.

Dans certains discours sur des questions touchant les rapports entre les femmes et les hommes, cette distinction tombe. Il y a un intérêt supérieur à respecter les outils de la pensée et à contrer les nombreuses nouveautés porteuses de cette confusion des mots et des choses. Distinguer le mot de la chose relève d’une nécessité intellectuelle indispensable. Le mot court est court, le mot long aussi.

L’extension volontaire et même militante de cette confusion (dans le domaine des relations hommes/femmes) a un nouvel objet à imposer à tous : « l’écriture inclusive ». Ce mot, choisi par les tenants de cette proposition, décourage toute critique : qui va oser être pour l’exclusion ?

Il s’agirait d’inclure « des ­signes graphiques permettant de ­visualiser la présence des femmes. » Les mots sont les choses, donc ; en rajoutant un (e), certains voient la femme et prétendent que tout le monde la voit, établissant une égalité manquante entre les femmes et les hommes. Dans cette « logique », écrire « il y avait cent spectateurs » signifierait qu’il y avait cent hommes et aucune femme. Il faudrait donc faire savoir qu’il y avait aussi des femmes en écrivant (pour l’instant il n’est pas question de le prononcer, peut-être cela va venir) « il y avait cent spectat(rices)eurs ». Tout le monde sait que « il y avait cent spectateurs » ne signifie pas qu’il n’y a que des hommes. Mais, il faudrait rendre la femme visible.

Ce qui est vraiment destructeur, c'est cette idée que le féminin grammatical représente le sexe féminin et qu'écrire en même temps le masculin et le féminin des mots est une nécessité du point de vue de l’égalité des sexes. Alors qu’un homme est une personne, et une femme un individu (et réciproquement, il vaut mieux le dire). Une fripouille peut être un homme, une sentinelle est plutôt un homme qu’une femme… Une bicyclette et un vélo sont le même objet. La poule est un animal et le coq une volaille… Sexe et genre ne sont pas liés entre eux par un lien fixe. Le rapport entre la chose et le nom est arbitraire, et perdre cette considération de simple observation est semblable à un renoncement à bien penser qui nous sommes et ce qui nous arrive.

Quitter le cadre de la grammaire, se situer à ce niveau philosophique du réel et du symbolique, arrivera rarement. Tout le monde discute au sein de la grammaire, de l’orthographe de l’écriture, de la nouveauté ou de la conservation… Tout le monde discute de l’intérêt de proposer ce type de réforme ou non. Il me semble que la violence intellectuelle de cette affaire est dans la confusion des mots et des choses. La Loire n’est pas une femme du fait de son genre féminin et le Rhône n’est pas un homme.

Cela dans un contexte distillé depuis plusieurs années, où l’on superpose les mots sexe et genre et l’on substitue le second au premier. Les humains trouvent en eux l’existence des sexes, ils n’y peuvent rien. Cela concerne nombre d’animaux et certaines plantes… Il y a deux corps d’humain, un corps de femme et un corps d’homme. Cette différence n’est pas niable et pas niée, ni dans la sexualité ni dans la procréation. Une tendance idéologique, tenace, voudrait qu’il n’y ait aucun retentissement de cette différence de corps au-delà de ses manifestations qu’on ne peut nier. Tout comme le nuage de Tchernobyl, la différence de sexe ne dépasse pas la frontière du visible !

C’est un idéalisme total. Le genre ou les genres est ou sont la façon dont les sociétés s’emparent de cette différence et la mettent en œuvre dans le quotidien, dans le discours, dans la pensée… Il peut y avoir une recherche de ressemblance ou de distinction. Cela peut être très codifié, dans une religion par exemple, ou laissé à l’usage, comme dans nos sociétés. Cela bouge et nous n’avons jamais été aussi près de l’égalité. Nous sommes dans des sociétés libérales où ce traitement psychique et sociétal des sexes n’est pas piloté par une autorité étatique ou religieuse : nul ne nous commande de réduire la visibilité des femmes réelles, ce qui, si cela se produisait serait grave et nécessiterait des combats déterminés pour l’empêcher.

Les concordances qui existent bien entre sexe et genre parfois ne signifient pas l’équivalence entre les deux et si on reçoit un mot féminin qu’on ne connait pas, on ne peut en tirer la certitude qu’il s’agit d’une personne, d’un animal ou d’une chose de sexe féminin. « C’est une bête de scène ! » Homme ou femme ? On ne peut le savoir. « C’est une victime ». Femme ou homme ? Bien malin qui pourrait le dire. « C’est une perle »… etc.

Un autre aspect des choses est dans le faible intérêt que les jeunes élèves ont pour l’orthographe. Les enseignantes (majorité de femmes chez les enseignants où personne ne demande la parité) passent des milliers d’heures à tenter d’enseigner l’orthographe avec un faible résultat. Les enfants pensent que ce qui n’est pas nécessaire à l’oral n’a pas de raison d’être nécessaire à l’écrit. Ils le pratiquent dans leurs textos et dans leurs mails sans en être gênés, ni en termes de communication ou de compréhension. Inclure et rajouter cette difficulté inédite qu’on ne peut absolument pas prononcer n’a aucune chance d’être apprise en classe, même avec encore plus de temps et d’énergie.

Mais surtout, faire croire que le mot, c’est la chose, est un perturbateur radical de la pensée aussi nocif que les perturbateurs endocriniens.

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Ceci n’est pas une femme, c’est un pictogramme


24 réactions


  • JC_Lavau JC_Lavau 17 octobre 2017 15:28

    Encore eût-il fallusse que vous le sussiez vous-même, et que eux aussi le sachiassent. Qui ? Bin ! Les téléspectateurs et tateuses.


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 17 octobre 2017 15:35

    Ce n’est que rajouter des problèmes à d’autres. Moi-même j’ai toujours des hésitations avec les redoublement de consonne(s). J’ai besoin de trucs pour : mourir (on ne meurt qu’une fois), courir (vous coupe l’« r »), pourrir (comme la terre), ,,...


  • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 17 octobre 2017 15:37

    D’autant plus que l’« e » se rapproche de euh,... ??? (hésitation).


  • Albert123 17 octobre 2017 16:21

    « Ce mot, choisi par les tenants de cette proposition, décourage toute critique : qui va oser être pour l’exclusion ? »


    Quand on est déjà catalogué nazi pour avoir osé défendre la liberté d’expression,

    Quand on est déjà catalogué facho pour ne pas souhaiter la marchandisation du vivant,

    on est plus à une accusation de sexisme près pour avoir refusé l’abrutissement des masses via le saccage de la langue française transformée en purée pour crétins mort vivants,

    la diffamation et le dénigrement ça marche au début et à petite dose, quand ceux qui en font usage en permanence pour ne pas avoir à argumenter n’ont rien d’autre à apporter ça finit non seulement par être remarqué du plus grand nombre, puis à lasser et enfin à être massivement rejeté.

    Donc allez y, osez l’exclusion.

    Les exclus seront de toute façon bientôt largement majoritaires.



  • McGurk McGurk 17 octobre 2017 16:46

    Je trouve que la distillation volontaire de la presse des « e » à tout va est d’une absurdité gigantesque sous couvert de « féminité » et d’ « égalité ».

    On bousille la langue française à dire que l’orthographe est « misogyne » et qu’il faut donc rectifier le tir. Mais du coup ça me choque pas mal de voir des « procureurE » ou des « LA juge », c’est d’ailleurs très bizarre niveau visuel.

    N’oublions pas que dans bien des métiers et ce pendant longtemps, il n’y avait que des hommes - et ce pour des raisons diverses et variées n’étant pas forcément liées à l’exclusion des femmes de ces professions. Ces mots sont donc masculins, certes, mais cela ne veut pas dire pour autant que la société n’a pas évolué entre temps.

    A mort les « e » débiles !


  • cevennevive cevennevive 17 octobre 2017 18:04

    Bonjour Orélien Péréol,


    Heureux les escargots qui sont à la fois mâle et femelle ! On dira toujours « un » escargot...

    Rajouter des « e » à tout va est parfaitement ridicule. Je suis un être humain et le hasard a fait que je naisse fille. Mais je ne sens pas ostracisée pour autant.

    J’ai fait trois enfants avec l’aide d’un mâle. C’est dans l’ordre des choses. Que vont-ils encore chercher pour ajouter à cette dichotomie mâle/femelle ??

    Bien à vous.


    • Orélien Péréol Orélien Péréol 17 octobre 2017 23:07

      @cevennevive Merci de ce mot. J’ai trois enfants moi aussi qui sont aussi les enfants de leur mère. C’est plus qu’une aide, c’est une alliance profonde et indestructible.

      Bien à vous et encore merci. Orélien

  • cevennevive cevennevive 17 octobre 2017 18:14

    En ce qui concerne les mots attachés au sexe : on dit :


    - « un » utérus, « un » clitoris, attributs typiquement féminins, 

    - « une prostate », « une verge » attributs typiquement masculins.

    C’est ainsi.
     

    • Orélien Péréol Orélien Péréol 17 octobre 2017 23:03

      @OMAR Mon article a pour intention de permettre de se rendre compte que le genre grammatical n’a rien à faire avec le sexe.

      Vous listez des mots avec, me semble-t-il, l’intention de montrer que le féminin est négatif et le masculin positif.
      Je vous redis donc que le grammatical n’a rien à faire avec ce qui existe dans la vie. Une souris n’est pas nécessairement une femelle.
      Le mot guerre est du genre féminin, mais le mot paix aussi... un étron est un mot masculin... La mort et la vie sont deux mots féminins... etc.

    • Orélien Péréol Orélien Péréol 17 octobre 2017 23:11

      @cevennevive Pas mieux. Merci.


    • Orélien Péréol Orélien Péréol 18 octobre 2017 11:52

      @OMAR
      Il n’était guère visible que c’était pour rire. Des gens, des femmes surtout, vous expliquent que le mot table est féminin et bureau masculin à cause de sa taille et de sa dignité (le bureau, c’est vraiment le travail), etc. une voiture et un camion, une montagne et un mont (Mont Blanc). En général, les exemples sont prévus et tombent bien, la personne ne connait pas les contre exemples, qui peuvent être plus nombreux... (le Mont Saint-Michel qui n’est pas très élevé)...

      Je suis un peu petit, j’aurais bien aimé être une armoire à glace. (je ne parle pas de moi, je fais de la grammaire dans notre sujet).
      Merci de cette précision.
      Bonne journée.

  • mursili mursili 17 octobre 2017 23:36

    Du coup, j’ai envie de relire Terre des Humain.e.s, de Saint-Exupéry et dans la foulée l’Humain.e Unidimensionnel.le de Marcuse...


  • ricoxy ricoxy 18 octobre 2017 08:38

     
    L’« écriture inclusive », c’est le mariage pour tous appliqué à la grammaire. Encore une idée alacon.
     


  • Crab2 18 octobre 2017 11:12

    Pourquoi beaucoup trop d’hommes se considèrent propriétaires de leur femme, sinon des femmes ?

    https://laicite-moderne.blogspot.fr/2017/10/les-indefendables.html


  • Jason Jason 18 octobre 2017 11:15

    Tout ça parce qu’on est enfermé dans une langue qui impose un genre masculin ou féminin aux noms communs, avec les accords des adjectifs que cela entraîne.

    L’Anglais ne connait pas ces problèmes puisque ces mêmes noms sont neutres, à part quelques exceptions. Le sexisme en GB doit se manifester autrement, par des paroles et des actes.

    La langue française est très sexiste dans ce domaine et elle n’est pas la seule. Réformer le vocabulaire de fond en comble me paraît hasardeux, et vouloir débarrasser notre langue de ses préjugés profondément incrustés fait donc polémique. Mais on peut toujours essayer de changer les habitudes, avec les confusions que cela va créer.

    Le mot et la chose. Toute une histoire. Je vous invite à lire le poème de l’abbé de l’abbé Gabriel-Charles de Lattaignant. Tout une autre époque, ça lui vaudrait sans doute aujourd’hui d’être poursuivi en justice. La galanterie sera-t-elle condamnée, ou si codée qu’elle en mourra ?


  • zzz999 18 octobre 2017 14:21

    Ce à quoi me fait penser cette dinguerie de l’écriture inclusive c’est que quand on a plus de pouvoir sur les choses on essaie de changer les mots c’est valable ici comme dans une foule de domaines, d’où les ravages de la nov langue.


  • JC_Lavau JC_Lavau 18 octobre 2017 18:18

    On attend encore le masculin de « chipie » et le masculin de « harpie ».


    Au 21e siècle, les héritières de la 3e génération de féministes de mère en fille, sont-elles des imposteures, ou des imposteuses ? Ou des imposteresses ?

  • vesjem vesjem 19 octobre 2017 11:06

    des connards-des, dont il faudrait décoder les desseins obscurs, viennent de nous pondre une énième utopie ; le « genre » en marche dans toute sa splendeur ;
    On voudrait « dégénérer » la langue française, on ne s’y prendrait pas mieux ;
    Il en est de même pour la féminisation des mots ;
    la langue française est très compliquée ; qui veut la rendre plus complexe encore ? dans quel but ? quels-elles sont les instigateurs-trices de ces idioties ?


    • JC_Lavau JC_Lavau 19 octobre 2017 13:24

      @vesjem. Pff ! Quel sexisme ! Idioties, conneries, bêtises, stupidités, bourdes, escroqueries, impostures, balivernes, carabistouilles, menteries, fraudes, rien que du féminin !


    • JC_Lavau JC_Lavau 20 octobre 2017 09:57

      @JC_Lavau. Sexisme toujours : calomnies, langues de vipères, langues de putes, accusations mensongères, calembourdaines, rumeurs, embrouilles, arnaques, niaiseries, ...


  • Orélien Péréol Orélien Péréol 12 juillet 2021 09:24

    Je reçois une invitation à un spectacle théâtral centré sur « la marié ». Vous avez bien lu, quelqu’un appartenant au milieu culturel écrit « la marié ».

    Vous avez tous des exemples comme celui-là.


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