Le séisme politique qui ne dit pas son nom
La récente élection a été un véritable séisme politique, mais les médias sont majoritairement passés à coté de l'événement. Nicolas Sarkozy avait promis une campagne sur les valeurs et cette promesse la, il l'a tenue. Ce faisant, il a décalé le clivage droite / gauche de l'économie vers les valeurs. Le parti socialiste a finalement largement bénéficié de ce nouveau clivage. Toute la politique française va s'en trouver chamboulée.
On sait tous que le positionnement politique est plus complexe qu'une simple opposition gauche / droite se fait en réalité sur deux axes :
- Un axe entre le libéralisme et le dirigisme économique.
- Un axe entre les libertés individuelles et l'autoritarisme.
Or, depuis l'après guerre, le clivage se fait majoritairement sur l'axe économique. L'axe des libertés sociales était peu clivant, même si un décalage entre la gauche et la droite existait.
Or, sur le terrain économique, la gauche se rapproche de plus en plus depuis les années 80 de la droite parlementaire, ce que le front de gauche n'a pas manqué de faire remarquer durant cette campagne. Le front national quand à lui nomme "UMPS" l'ensemble des partis de gouvernement, pour signifier qu'il ne voit aucune différence entre les deux.
Sarkozy ayant compris le danger d'une indifférenciation entre gauche et droite, il a entrepris depuis le début des années 2000 de se repositionner sur le terrain des "valeurs". Dès lors, la "nation", "l'identité nationale", "l'immigration", "le travail" deviennent sa marque de fabrique.
L'aboutissement de cette stratégie a été complet avec la campagne de 2012 qui pour la première fois ne s'est pas faite sur le terrain économique. Nicolas Sarkozy l'a dit lui même : "Je ferai campagne sur le thème des valeurs". De son coté, la gauche s'est choisit un homme qui a tout fait pour ne pas donner l'impression qu'il représentait la partie la plus à gauche (comprendre économiquement) du PS. Sur ce point, il s'est distingué fortement de Martine Aubry, la grande perdante de ce scrutin. Par contre, il a été très ouvert sur des points comme le droit de vote des immigrés ou le mariage gay.
Ainsi, d'un strict point de vue économique, nous avons deux programmes relativement proches, même s'il reste bien sur des différences. Les marchés financiers n'ont d'ailleurs pas réagis à l'élection de François Hollande, signalant qu'au dela de quelques effets d'annonce, ils n'attendent que peu de changement dans la politique économique du pays.
Il faut également remarquer que les points sur lesquels Sarkozy est libéral économiquement ne sont plus justifiés par des arguments libéraux (au sens de la défense de la liberté) mais par des arguments d'ordre moraux ("la défense d'une vie de travail"). Dans le Sarkozysme, la doctrine libérale procéde de la morale et non l'inverse. C'est ainsi que l'important n'est plus de vous donner la liberté d'agir mais de récompenser l'effort, le travail et la souffrance, comme si toute réussite devait être justifiée par une souffrance qui la rendrait juste. C'est ainsi que l'axe économique devient pour le Sarkozysme quelque chose d'accessoire, l'axe moral suffisant à justifier son programme économique.
Au cours de cette campagne, le clivage économique n'est resté présent que pour évoquer ce que l'adversaire risquait de faire s'il était élu. La droite accuse la gauche de vouloir faire du communisme, la gauche accuse la droite de vouloir faire de l'ultralibéralisme. Sauf que dans leurs programmes respectifs, la droite ne souhaite pas plus donner dans le libéralisme que la gauche dans le communisme.
Les journalistes eux, le nez dans le guidon ont fait semblant de ne pas remarquer ce changement. Il s'agit pourtant d'un séisme politique qui aura des conséquences bien plus grandes que le second tour Chirac - Le Pen de 2002.
Conséquences immédiates
La première conséquence immédiate a été un retour du clivage droite / gauche fort. Les positions sociales étant beaucoup plus différenciées que les positions économiques (par exemple sur l'immigration ou le mariage gay) nous avons eu une élection virulente.
La deuxième conséquence immédiate est un renforcement des extrèmes. A gauche, l'abandon du champ économique par le PS est visible pour une partie traditionelle de son électorat. Dès lors, elle se reporte sur Mélenchon dont le score dévevant validera la stratégie du PS de ne pas faire campagne trop à gauche économiquement. A droite, Sarkozy a agité pendant 5 ans le thème des valeurs autrefois réservé à l'extrême droite. Plus que Marine Le Pen, Sarkozy est ainsi le véritable "dédiabolisateur" du FN. Mais sa stratégie a échouée et n'a servie qu'à améliorer le score du Front National.
La conséquence la plus spectaculaire est un basculement fort d'électeurs d'un camp vers l'autre. Une partie des électeurs qui étaient de droite lorsque l'axe de décision était l'économie deviennent de gauche lorsque l'axe de décision devient les valeurs. Et inversement ! Une partie de l'électorat chrétien bascule à droite car le programme social de Hollande (mariage gay mais surtout légalisation de l'euthanasie) lui parait insupportable. Au fur et à mesure que cette nouvelle ligne de clivage va s'installer dans le paysage politique, les migrations d'électeurs vont s'amplifier.
L'électorat parisien nous donne une illustration de ces migrations d'électeurs : A Paris, ville aisée, la droite a toujours été majoritaire. Nicolas Sarkozy y a battu Ségoléne Royale en 2007. Mais en 2012, François Hollande gagne avec 5 points d'avance sur Nicolas Sarkozy. Or, Paris, ville riche n'est pas à gauche économiquement parlant, mais Paris, ville ouverte est à gauche sur le plan social. En clair, avec un clivage gauche droite basé sur l'économie Paris est à droite, mais Paris passe à gauche avec le clivage sur les valeurs. Les grandes métropoles régionales suivent majoritairement ce schéma, de même que les zones périurbaines proches. A l'inverse la droite (UMP et FN) a fait de très beaux scores en zone périurbaine lointaine et les zones rurales.
Cette différence de valeurs entre le monde des villes et la ruralité s'explique paradoxalement par l'économie. Dans les grandes villes, le mouvement de désindustrialisation est terminé. Elles vivent d'une économie de service et d'une économie de la connaissance (recherche, informatique, marketing, finance, droit, ...). Or, pour réussir dans une économie de la connaissance, le capital humain est le plus important. On demande à ce capital humain d'être créatif, ouvert, bien formé et adaptable. Pour attirer ces talents, un environnement ouvert et excentrique est nécessaire. Un environnement trop conservateur nuit à l'attractivité d'une ville en l'empêchant de recruter les bonnes personnes. La ville qui bénéficie des richesses de la mondialisation (et est donc de droite si le clivage est économique) devient de gauche lorsque le clivage devient social. C'est dans son intérêt.
A l'inverse, les zones périurbaines lointaines, dépendaient encore de l'industrie et l'agriculture. Elles ne sont de plus pas assez dense pour qu'une économie de la connaissance puissent s'y développer. Et souvent de toute façon trop conservatrices pour que de jeunes cadres aient la moindre envie d'aller s'y installer. Dans ces zones, la mondialisation a fait des ravages. Ces ravages donnent l'envie à ses habitants de revenir au monde d'avant, d'ou un rempli sur les valeurs.
Un monde qui change
Ce resserrement sur les valeurs de la société ne doit pas étonner. Le monde change et dans un monde qui change certains se recentrent dans un conservatisme qui rassure, la ou le changement fait peur.
Parmi les principaux changements, l'immigration et la mondialisation. Il s'agit d'un changement immédiatement visible ne serait ce qu'en observant la population ou les commerces dans les grandes villes. Il s'agit d'un changement parfois menaçant : le petit commerçant de village craint l'arrivée de commerces étrangers, aux horaires étendus et aux prix cassés. Ce changement n'est pas prêt de s'arrêter. Faute de natalité suffisante, nos pays vont devoir accueillir des millions d'étrangers supplémentaires pour payer les retraites.
Si parmi ces étrangers, il y a un "lumpenprolétariat" bien visible et qui attise une certaine haine de par son comportement , il y a aussi une élite qui profite de ses origines pour réussir dans une économie mondialisée. Qu'ils fassent du commerce avec l'asie ou le moyen orient, ils réussissent souvent très bien. Dans l'économie de la connaissance, ces profils d'origine étrangère apportent une vision différente de celles des "locaux" : en apportant leur culture, ils apportent de la créativité dont l'économie a besoin pour fonctionner.
La disparition de la religion catholique autrefois si structurante est également un point important. Nicolas Sarkozy ne s'y est pas trompé : Il a évoqué de nombreuses fois "le clocher" comme symbole de la France. Il tient a rassurer une partie de la population fasse à la perte de ce repère qui rassurait et face à l'irruption de l'islam dans la société française qui suscite des peurs irrationnelles. Ce changement la non plus n'est pas prêt de s'arrêter. L'age moyen des prêtres et des pratiquants fait que la religion catholique va connaître d'énormes difficultés dans les années à venir. Au point d'en devenir presque invisible.
Au niveau social, les 68-ards se sentent dépassés par ce qu'ils ont crées. En libérant les moeurs, ils n'avaient pas prévu que cela irait aussi loin. Pourtant le mariage gay et même l'adoption sont en passe d'être acceptés par la société française si l'on en croit les sondages. De plus, ce qui était autrefois du domaine de la sphère privée se fait désormais au grand jour via internet. L'ignorance hypocrite n'est plus une option.
Ainsi, l'électorat le plus conservateurs (retraités et habitants en zone rurale) prend peur devant tant de changement. Le monde dans lequel ils ont été élevé disparaît petit à petit. Et lorsque les médias leur montrent le monde nouveau au travers le prisme du sensationalisme (qui fait vendre), ils prennent peur et se mettent à rêver au retour de la France des clochers, des frontières, du général de Gaulle. Mais cette France la est morte depuis longtemps.
Ce changement de ligne de clivage correspond donc à un réel changement et besoin social et Sarkozy, en fin politique l'a bien compris. Ce qu'il a en revanche moins bien compris c'est que la droite qu'il représente allait en être la grande perdante. Son pari a en effet longtemps été que la gauche resterait archaique du point de vue économique, alliée avec les communistes. Mais on constate petit à petit qu'une histoire différente s'écrit. Ce nouveau clivage aide la gauche a se séparer de ses alliés encombrants. Elle l'aide à se repositionner politiquement. A l'inverse, l'UMP coincée entre le FN et cette gauche soft occupe une place étriquée dans le jeu politique. Le séisme politique de 2012 est la.