Macron : l’inégalité en marche
Comment des idées qui paraissent généreuses sont créatrices d'inégalité et de frustration.
Ce matin je m’apprêtais à lire le projet de loi que le gouvernement a déposé hier à l’Assemblée nationale afin de faire valider les mesures prises en réaction au mouvement des Gilets Jaunes. J’ai abandonné ce projet de lecture qui promettait d’être édifiant lorsque j’appris le résultat des négociations entre les syndicats de policiers et le ministre de l’Intérieur. Nous ne pouvons que nous réjouir de ce que les policiers bénéficieront de hausses de salaires substantielles et que les heures supplémentaires dues seront enfin payées ; en même temps quelle désolation pour les autres fonctionnaires notamment ceux de la santé eux aussi malmenés par d’épouvantables conditions de travail, sous-payés et dont les heures supplémentaires dues ne sont ni payées ni « récupérées ». Voilà l’inégalité en marche.
Dans les mesures annoncées par le président de la République pour améliorer le pouvoir d’achat des « plus modestes » outre les approximations qui frisent souvent le mensonge et la duperie, on peut observer une foultitude de voies vers des inégalités de traitement. Ainsi, alors que le SMIC devait être augmenté de 100€, non seulement il ne le sera pas mais 45 % des salariés qui perçoivent le SMIC ne percevront rien autre que l’augmentation réglementaire de 1,8 % à laquelle s’ajoute la suppression des charges sociales. Ceux qui sont exclus le sont parce que l’augmentation ne portera pas sur le SMIC mais sur la prime d’activité. Il y a donc un écart de traitement par rapport à l’annonce présidentielle selon laquelle l’augmentation concernait le SMIC donc l’ensemble des salariés rémunérés au SMIC. Une fois cela posé on peut discuter de la prime d’activité et de ses conditions d’attribution, on verra que l’équité n’est pas vraiment au rendez-vous.
Parlons CSG, et nous verrons que toute taxe porte en elle de l’inégalité en raison du calcul des seuils d’attribution ou de perception. Le gouvernement, relayé par les députés LREM comme des perroquets enrubannés, nous explique que les seuils choisis sont ceux qui lui paraissaient les moins pénalisants. Il demeure que la différence de conditions financières de vie entre un couple qui gagne 2700€ et son voisin qui a un revenu de 2710€ n’est pas véritablement différente. Et, c’est sans compter tous ceux qui ne bénéficieront pas du dégrèvement de l’augmentation imposée par Monsieur Macron en 2017 et qui voient leur pouvoir d’achat lourdement amputé. Dans cette surtaxation puis cette détaxation pour certains il y a plus qu’une question de pouvoir d’achat, il y a du symbole ; il y a désormais ceux qui ont travaillé et qui peuvent percevoir leur pension de retraite, et les autres qui aussi ont travaillé souvent aussi durement et à qui on refuse le droit à percevoir leur pension de retraite ; l’importance de la pension n’efface pas cette blessure symbolique.
Parlons prime exceptionnelle : qui va la percevoir ? Sera-t-elle d’un montant significatif pour tous ? Bien sûr que non, certaines entreprises pourront verser cette prime, d’autres ne le pourront pas ; pareillement le montant variera suivant la capacité financière de l’entreprise. Était-il nécessaire que l’État ajoute de l’inégalité à une inégalité déjà existante ? Non content de cela le gouvernement en rajoute en demandant à la SNCF et à la RATP de verser cette prime alors que l’ensemble de fonctionnaires est écarté de l’octroi de la prime ; dans la fonction publique le salaire médian est de 1710 euros nets, c’est-à-dire que 50 % des fonctionnaires gagnent mois de 1710 euros par mois. Exit donc la prime pour les fonctionnaires, à moins que comme les policiers et les Gilets Jaunes ils deviennent « menaçants » alors le gouvernement reculera et paiera !
Parlons heures supplémentaires défiscalisées et « désocialisées », en soi c’est plutôt une mesure attrayante mais est-elle une bonne mesure ? Les économistes sont partagés, comme d’habitude dirai-je, mais c’est une mesure par essence inégalitaire car seuls ceux qui sont appelés à faire des heures supplémentaires en bénéficieront, ils sont loin d’être la majorité des salariés. Parmi ceux qui ne bénéficieront pas de cette mesure : les enseignants, la plupart des agents administratifs des fonctions publiques, ceux qui suite à un accord d’entreprise pour le maintien des emplois effectuent déjà 39 heures hebdomadaires.
Il est une inégalité dont on ne parle pas : celle entre les entreprises. Quelle que soit leur taille les entreprises qui verseront « la prime » bénéficieront de la défiscalisation, n’est-ce pas un cadeau fait aux grandes entreprises comme Total, LVMH… Il est vraisemblable que ces entreprises versaient déjà une prime de fin d’année, désormais elles ne paieront plus de charges sur ces montants, autant de bénéfices à répartir entre les actionnaires.
In fine à travers ces mesures extrêmement génératrices d’inégalité, financière mais aussi symbolique, n’est-ce pas deux questions fondamentales qui sont posées : le juste niveau de salaire, la gestion des prélèvements publics.
On demande à une partie de la population, notamment les retraités, de financer une partie des salaires à travers la prime d’activité financée par la hausse de la CSG. Je veux bien entendre qu’on ne peut pas augmenter les salaires mais alors clarifions les choses en instaurant un revenu universel de base qui remplacerait l’ensemble de toutes ces allocations sociales ? Quant aux prélèvements, soyons plus clairs parlons de l’impôt, il est grand temps de mettre notre système fiscal à plat, de supprimer les « niches fiscales », d’améliorer la progressivité, de revoir la nature des taxes dont certaines ne correspondent plus à une réalité tangible et surtout sont sources d’inégalité. La suppression, avant toute réflexion d’ensemble, de la taxe d’habitation a été le marqueur d’une erreur grave de gouvernance. D’abord parce que les modalités de cette suppression ne correspondent pas à ce qui était annoncé ; elle est progressive, elle laisse sur le côté de nombreux foyers, alors qu’elle aurait dû se faire en une fois. Avoir enclenché ce processus sans avoir pensé le remplacement c’est comme enlever un pilier porteur et disgracieux d’un bâtiment sans avoir envisagé au préalable par quoi le remplacer : l’édifice s’écroule. Une autre façon de travailler adoptée par ce gouvernement, à l’identique de ceux de l’Ancien Monde, c’est d’instaurer des taxes pour répondre au financement d’un problème et en même temps de créer un arsenal de possibilités d’exemptions ou des primes pour compenser ces taxes, là aussi ce ne sont que machine à créer de l’inégalité.
Au bout, cette péripétie gouvernementale aggravée par l’incurie présidentielle à comprendre la société, montre que le Nouveau Monde fonctionne sur les mêmes bases, les mêmes modèles et les mêmes principes que l’Ancien Monde avec toutefois, facteur aggravant, une volonté farouche de complaire au « grand capital » et un renforcement de la logique comptable pour élaborer sa gouvernance. Les gens sortiront de cet épisode soit avec de la satisfaction s’ils appartiennent aux inconditionnels de la macronie, suffisants et imbus d’eux-mêmes, incapables d’empathie et tellement vérolés par le numérique et l’éphémère, ou pleine rancœur s’ils sont parmi les plus modestes de la société, éloignés du numérique, des transports en commun, des loisirs, des vacances…
Ce moment fort de la vie sociale de la France nous a montré un incroyable déficit de gouvernance, une gestion d’amateur et un exercice par l’État de la violence légitime rarement vu dans ce pays.