Macron sauvera-t-il la soldate Hayer
L’irruption du Premier ministre Gabriel Attal au beau milieu d’une interview de la tête de liste Renaissance, Valérie Hayer, pour les élections européennes a suscité plus d’émoi dans le landerneau médiatique que parmi les citoyens. Un émoi tel que la classe politique s’en est emparé pour une Affaire. Cet incident, aussi déplacé et impoli qu’il soit, vaut-il le battage qui est fait autour de lui ?
Un Premier ministre qui surgit, de façon inopinée, au beau milieu d’une interview est une marque d’impolitesse et d’irrespect ; irrespect vis-à-vis des journalistes qui conduisent l’interview et irrespect (si celle-ci n’était pas au courant) de la candidate. Irrespect aussi vis-à-vis des téléspectateurs qui mesureront les qualités « humaines » du parti Renaissance à l’aune de cette impolitesse. C’est une impolitesse dans la mesure où il s’agit d’un irrespect des règles de la politesse : qu’est-ce ici la politesse ? Il est bien difficile de définir la politesse qui repose essentiellement sur des conventions entre les gens dans un milieu donné : ici on peut considérer qu’il y a impolitesse dans la mesure où il est convenu que l’on ne se mêle pas d’une conversation dans laquelle on n’est pas invité. Mais, Gabriel Attal qui ne manque pas d’éducation (reste à savoir laquelle) est suffisamment infatué pour se dispenser de toute politesse. Or il est reconnu que l’infatuation et le manque d’éducation sont les sources ordinaires de l’impolitesse ; les parlementaires en font la démonstration régulièrement au cours des débats à l’Assemblée nationale. Jean Giraudoux, dans La guerre de Troie n’aura pas lieu, écrit : « Les nations, comme les hommes, meurent d'imperceptibles impolitesses. » Une phrase qui peut sans doute s’appliquer pleinement aux femmes et aux hommes politiques ainsi qu’à leurs partis.
Gabriel Attal, né et élevé dans la bourgeoisie, biberonné à la politique quasiment depuis sa naissance, non seulement ignore ce que sont les gens autres que ceux « de sa classe » et de surcroît manifeste un certain mépris pour eux. Il ne suffit pas d’aller serrer des mains au cours d’une visite pour être respectueux des gens ; je reprends ici la définition du respect que donne l’ONU[1] : « Respecter, c’est penser et agir positivement avec autrui comme avec soi-même (respect de soi). Respecter implique de se soucier de l’impact de nos actes sur autrui, d’être inclusif et d’accepter les autres pour ce qu’ils sont, même lorsqu’ils sont différents. Le respect commence par la confiance et il est lié à l’empathie, la compassion, l’intégrité et l’honnêteté ». Autant de choses qu’ignore ce trop jeune Premier ministre ; son âge n’est pas en cause, ce qui l’est c’est son immaturité comme l’a très bien expliqué Lionel Jospin dans une récente tribune dans le journal Le Monde. Emmanuel Macron en nommant Gabriel Attal a commis la même erreur que celle que les Français qui l’ont élu avaient faite en oubliant que d’Hannah Arendt à Jean-Paul Sartre en passant par Jean Piaget (et d’autres) on sait qu’un homme n’est pas ce qu’il est, mais ce qu’il fait, « qu’il n’a pas de nature mais une existence » ; Sartre écrivait : « L’homme n'est rien d'autre que son projet, il n'existe que dans la mesure où il se réalise, il n'est donc rien d'autre que l'ensemble de ses actes, rien d'autre que sa vie. »
G. Attal, ce godelureau de la politique dont les manières galantes ne concernent que la sphère de la politique politicienne présente bien l’image du « Miles gloriosus » ou « soldat fanfaron », ce personnage type de la littérature qui désigne le soldat se vantant d'exploits qu'il n'a pas accomplis. Ainsi, ce soir-là il est entré sur scène goguenard avec force postures théâtrales, interrompant l’interview il s’adressa directement au public faisant fi de la candidate et surtout des journalistes dont l’un d’eux eut tout de même le courage (l’audace) de lui demander s’il pouvait continuer son interview, en somme il demandait si le Premier ministre l’autorisait à effectuer son travail. Un fanfaron sur scène fut de nature à émouvoir la classe politique et les journalistes. Je comprends l’émotion de ces derniers si peu habitués à mener des interviews inopinées, désormais toute interview est préalablement calibrée dans une relation de complicité entre les services de communication (du politicien comme de l’artiste ou le sportif) ; souvenons-nous de l’interview qu’accorda Emmanuel Macron où Edwy Plenel osa interroger le Président au-delà du cadre habituel ou/et de celui prévu : on ne revit jamais un journaliste de Médiapart interviewer en direct un membre du gouvernement et il est à se demander si les membres de ce média ne sont pas persona non grata à l’Élysée. Le « corps » journalistique vexé et courroucé, soit, mais moins que les politiciens qui ont vu dans cette intrusion une occasion de démonter les manœuvres du pouvoir macroniste. Alors il y a une Affaire qui, toutefois, ne vécut pas plus qu’un fétu de paille, ces politiciens ignorant sans doute la phrase de Richard de Bury[2] : « C'était précisément, remarque l'auteur que nous suivons, découvrir un fétu dans l'œil de son voisin, pendant qu'il portait une poutre dans le sien. »
Mais, Valérie Hayer fut-elle déstabilisée, vexée ou simplement affectée par l’intrusion de Gabriel Attal ? J’ai regardé une dizaine de fois la vidéo montrant l’intrusion et la saynète (pour faire plus moderne : le sketch) jouée par Attal et je n’ai pas trouvé qu’elle ait été déstabilisée ni même gênée. N’était-elle pas tout simplement avertie que le Premier ministre allait venir interrompre l’interview ? Éclater de rire en voyant le Premier ministre entrer sur scène ne me semble pas être la manifestation d’une surprise lorsqu’on a affaire à une femme politique de la trempe de Valérie Hayer. Certes elle fait un peu figure de dernière roue de la charrette que le président Macron a choisie après que les principaux leaders (parmi eux d’ailleurs le Premier ministre en personne) de son parti aient refusé de conduire la liste Renaissance pour ces élections européennes ; ce n’est que le 28 février qu’il fut porté à la connaissance des citoyens que Valérie Hayer conduirait la liste Renaissance pour ces élections au Parlement européen. La presse ne manqua pas de sauter sur cette situation pour essayer de montrer les difficultés que pourraient rencontrer le mouvement macroniste et avec lui son leader Emmanuel Macron dont le leadership apparaît nettement en état de faiblesse. Au-delà de la presse les leaders politiques de l’opposition emboîtèrent le pas aux journalistes à la fois pour critiquer Emmanuel Macron et déstabiliser la candidate macroniste en appuyant sur trois points : la candidate fait figure de « roue de secours », elle est inconnue du grand public, elle ne présenterait pas une personnalité politique forte. Pourtant sa biographie sur Wikipédia donne à penser qu’elle est une « vraie femme politique », d’ailleurs il n’apparaît pas qu’elle ait fait beaucoup d’autres choses que de la politique : « Valérie Hayer est fille d'agriculteurs établis à Saint-Denis-d'Anjou en Mayenne. […] Elle passe un diplôme de droit public et devient experte en finances auprès de collectivités locales (pendant combien de temps). Elle travaille ensuite en tant qu'assistante parlementaire pour plusieurs sénateurs, parmi lesquels Pierre Jarlier, membre de l'Union des démocrates et indépendants (UDI) puis de La République en marche (LREM), puis pour l'eurodéputé mayennais Jean Arthuis (UDI puis LREM). Elle est élue députée au Parlement européen en 2019 sur la liste Renaissance de La République en marche. En avril 2021, elle est nommée présidente de l'Association pour une Renaissance européenne. En octobre 2021, elle est désignée coprésidente de la délégation Renaissance (renommée L'Europe Ensemble à l'été 2022) au Parlement européen. » Finalement elle est assez semblable à Emmanuel Macron et à Gabriel Attal : elle n’a jamais véritablement travaillé ailleurs que dans la politique ; ce qui la différencie d’eux c’est qu’elle n’est pas issue de la bourgeoisie, elle est issue d’une famille d’agriculteurs[3], bien sûr il y a des agriculteurs riches et des agriculteurs pauvres mais là n’est pas le débat ; de cette ascendance elle a sans doute retenu des valeurs qui peuvent la rapprocher des citoyens ordinaires. Donc Valérie Hayer n’est pas une novice en politique et elle possède les compétences et les capacités à organiser un discours politique censé être efficace même si cela ne se voit guère et ne s’entend pas beaucoup. Il est vrai que jusqu’à présent, elle le reconnaît, elle s’était tenue très éloignée des médias. Or de nos jours il n’est pas possible d’œuvrer en politique au sens de la politique qui conquiert le pouvoir sans maîtriser parfaitement la communication médiatique. De fait, son début de campagne fut assez morne et on n’y voyait pas apparaître des objectifs politiques nets. Alors, tel Zorro, le binôme gouvernemental (Emmanuel Macron et son clone Gabriel Attal) devait monter au créneau et assurer la défense de la candidate. C’est ainsi que l’un et l’autre ont de très nombreuses fois pris la parole à propos de l’Europe en lieu et place de la candidate[4]. L’incursion de Gabriel Attal sur le plateau de télévision marquant une sorte d’apogée dans ce travail de sauvetage ; il fallait montrer que la liste Renaissance a un programme politique et des ambitions pour l’Europe, et que Valérie Hayer est la courroie de transmission entre Emmanuel Macron et les citoyens français pour porter à leur connaissance ce programme.
Cela ne suffira pas à sauver la soldate Valérie Hayer, si tant est qu’elle ait besoin d’être sauvée (et de quoi), car ça ne réconciliera pas les Français avec Emmanuel Macron. À travers l’analyse que Félicien Faury a faite du vote en faveur du Rassemblement National on voit l’ampleur du fossé entre les citoyens et le président de la République que l’auteur relate dans une interview donnée au média en ligne BASTA[5] : « Ce qui est intéressant avec Emmanuel Macron, c’est qu’il synthétise ces deux critiques[6]. Ancien banquier, il est très fortement identifié au monde de l’argent. C’est aussi une personne qui est souvent qualifiée d’« intelligente », mais cette intelligence va être mise au service d’une certaine hypocrisie, de manière à cacher sa propre impuissance et le fait qu’il va servir avant tout ses propres intérêts. » On retrouve une analyse convergente bien que n’évoquant pas les mêmes problématiques dans la dernière émission de XERFI Canal[7] intitulée « Emmanuel Macron face au spectre du déclassement des classes moyennes » : « Plus globalement, l’objectif de plein-emploi de Macron a eu un coût social. Il a été mené en rognant sur deux grandes assurances : les retraites d’abord, attaquées en début de mandat par un report des cotisations sur le travail sur la CSG puis sur le terrain de la durée de cotisation. Installant le sentiment qu’il faut aujourd’hui travailler plus pour gagner moins et moins longtemps en tant que retraité. Et ensuite l’assurance chômage qui a subi de nombreux assauts. Le risque de chômage est moindre sous Macron, mais il est aussi moins bien assuré. » […] « À cela s’ajoute en arrière-plan l’incroyable accélération numérique de l’IA, qui vient percuter tous les métiers de services, avec un fort pouvoir de déstabilisation des professions dites intellectuelles. Et face à cela un appareil éducatif perçu comme dysfonctionnel et de plus en plus sélectif, qui au lieu d’être le marchepied de l’ascenseur social, se transforme de plus en plus tôt en machine à frustration et à exclusion, le psychodrame autour de Parcoursup en faisant pour sa part l’écho chaque année. En misant trop sur l’emploi et le ruissellement, Macron a loupé son rendez-vous avec les classes moyennes. »
Ce n’est pas la soldate Valérie Hayer que cherche à sauver Emmanuel Macron, c’est lui-même qu’il veut sauver ; à travers cette campagne électorale il veut redorer un blason qui est particulièrement terni, il cherche à masquer ses échecs politiques qui ne sont pas loin d’être aussi graves et catastrophiques que ceux qu’avait engrangés François Hollande. En tout cas sous « le règne » de Macron les riches sont plus riches et il y a de plus en plus de pauvres.
Il n’y a donc pas véritablement d’Affaire à propos de l’intrusion de Gabriel Attal, il y a simplement une pantomime minable orchestrée par un président de la République aux abois dont l’image est plus qu’écornée, qui déclarait pendant sa campagne électorale vouloir rassembler la France et qu’il a clivée comme jamais ce ne fut le cas. Une pantomime jouée par un godelureau qui n’a aucune consistance. De cette séquence pitoyable personne ne sort grandi ni les politiques, ni le gouvernement, ni la Politique, pas même les journalistes trop prompts à faire du sensationnel avec la moindre broutille « politique » ou sociétale.
Quant aux citoyens, tellement habitués à être méprisés, ils ont surtout bien rigolé de cette pantomime, conscients qu’ils sont qu’elle ne changera rien à leur intention de vote ni à leur destin.
[2] Dictionnaire Le Robert, définition de « fétu de paille ».
[3] Revue française de généalogie : Comme indiqué dans n° 272, on ne peut trouver meilleur exemple de généalogie paysanne que celle de Valérie Hayer, sœur, fille et petite-fille d’agriculteurs. […] Des paysans presque tous modestes […] tous concentrés dans un cercle d’à peine 20 km de rayon : la région du Haut-Anjou, […] Les HAYER eux-mêmes offrent un remarquable exemple d’enracinement, puisque établis, au moins depuis Étienne, né vers 1580, dans cette commune de Saint-Denis-d’Anjou…
[4] On notera le débat télévisé qui réunit Jordan Bardella, candidat du RN, et Gabriel Attal, candidat « à rien ».
[5] BASTA Vote RN : « Le racisme est une force d’attraction politique qui ne doit pas être prise à la légère » interview de Félicien Faury à propos de son livre Des électeurs ordinaires - Enquête sur la normalisation de l'extrême droite. Vote RN : « Le racisme reste une force d’attraction importante » - Basta !
[6] La première a trait à l’argent : certaines élites politiques se seraient « gavée » en profitant de leur position dominante pour s’enrichir, la deuxième concerne la « parole politique » où on trouve que les élites politiques sont de beaux parleurs, des donneurs de leçon, qui parlent beaucoup mais qui ne font rien.