vendredi 6 juillet 2018 - par Michel DROUET

Macron sera-t-il le fossoyeur de la décentralisation ?

En 1983, Gaston Deferre, alors Ministre de l’intérieur du Gouvernement Mitterrand proposait au Parlement sa loi relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat qui allait bouleverser le paysage des territoires en donnant à chaque collectivité la possibilité de régler eux-mêmes par délibérations les affaires relevant de leur compétence. Finie l’omniprésence du Préfet qui décidait quasiment de tout pour le compte des élus locaux. Finie la France administrée de Paris. Place à la prise en mains de compétences dévolues par la loi par les assemblées locales avec toutefois un contrôle de légalité des Préfet et un examen attentif des décisions financières par les Chambres Régionales des Comptes. Cela peut-il durer ?

Tout allait pour le mieux, au début…

Tout le monde se souvient des progrès réalisés en matière d’investissements et de fonctionnements des collèges et des lycées, de l’amélioration des routes, des transports régionaux ferroviaires ou bien des transports scolaires.

C’était l’époque bénie où les transferts financiers de l’Etat (généreux au début : il fallait que la décentralisation réussisse) et leur augmentation constante année après année permettaient notamment aux Départements et aux Régions d’investir dans des projets dépassant le cadre strict des compétences dévolues pour le plus grand bien des édiles locaux en leur permettant d’accroitre leur aura auprès des Maires et des électeurs.

Au début, également, on recrutait à tour de bras dans ces collectivités, parce que les transferts de personnel de l’Etat n’avaient pas été à la hauteur des besoins.

C’était aussi l’époque de la croissance de la fiscalité locale.

Et puis, et puis,…

On s’est dit qu’en descendant un peu plus dans l’échelle des territoires, on arriverait à créer d’autres dynamiques et on a créé les communautés de communes, exercice raté au début puisque les barons départementaux soucieux de garder la main sur le petit peuple des communes ont fait en sorte que ces nouveaux territoires restent sous leur tutelle en les limitant aux cantons existants.

On s’est dit également qu’il y avait beaucoup de syndicats intercommunaux (regroupements d’écoles, adduction d’eau, ordures ménagères,…) créés au fil du temps au gré des accointances politiques des communes et parfois sans souci de cohérence territoriale et d’économies financières.

On s’est dit aussi que les grandes agglomérations confrontées à des problématiques spécifiques se devaient d’avoir des statuts spécifiques et que malgré tout cela, les découpages territoriaux n’étaient pas toujours cohérents par rapport aux bassins d’emplois et aux habitudes des citoyens. Alors, on a créé des Pays, espaces de coopération entre intercommunalités.

L’empilement des collectivités a-t-il été un bien ?

Pas sûr ! Les français sont avant tout attachés à leur commune et à leur Maire, même si aujourd’hui les décisions importantes sont prises par les intercommunalités. Certaines communes n’ont de commune que le nom. Cela se décide ailleurs et les rares espaces décisionnels des élus des petites communes concernent le quotidien des poubelles, des problèmes de nuisances entre voisins, étant entendu que les finances contraintes ne permettent pas d’investir et de développer sans l’aval de l’intercommunalité.

Sur le plan des fonctionnaires territoriaux, on a connu une inflation des effectifs, chaque intercommunalité créée se dotant de nouveaux personnels alors que les effectifs dévolus pour les mêmes missions dans les communes restaient en place, d’où explosion des budgets.

S’agissant de la démocratie locale, nous sommes passés de la commune où se décidait beaucoup de choses à un truc mal connu des français qui ne savaient plus à quelle porte frapper pour avoir des réponses à leurs préoccupations.

Pendant ce temps là…

L’Etat a continué de décentraliser des missions aux départements et aux Régions avec la gestion des personnels des collèges et lycées et ceux des routes nationales devenues départementales. Ces deux collectivités sont devenues en peu de temps des machines à gérer du fonctionnement dont elles se seraient bien passées et la dynamique de l’investissement que l’on pouvait observer au début de la décentralisation s’est peu à peu éteinte.

On s’est longuement posé la question de la suppression des conseils généraux. Sous Sarkozy, il a été question de les fusionner avec les Régions, mais en gardant le même nombre d’élus (la question de la diminution du nombre d’élus n’a jamais été abordée et pour cause : les élus et les partis politiques étaient contre), alors que les assemblées départementales coûtent très cher en fonctionnement (indemnités d’élus, frais de communication et de fonctionnement des assemblées,…). Hollande a mis fin au projet élaboré par son prédécesseur ce qui ne l’a pas empêché de prévoir la suppression des conseils généraux puis de revenir sur cette décision (le lobby des élus locaux est très puissant).

Un mouvement de regroupement des communes est en cours. Il a produit quelques effets grâce à des incitations financières, mais il restera forcément limité compte tenu des réticences des élus eux-mêmes et des administrés

Dernier avatar, le regroupement des Régions avec regroupements de tous les élus et toutes les administrations et inflation des coûts de fonctionnement du fait de l’éloignement : tout ce qu’il ne fallait pas faire…

Et Macron est arrivé…

Dans son programme, il a prévu de fusionner des départements avec certaines grandes métropoles, mais connaissant la technique déjà en œuvre qui veut que tout regroupement se traduise par des surcoûts alors que logiquement des économies d’échelles sont possibles, on ne peut qu’être dubitatifs.

Sous Macron, la question des compétences ne se posent plus, c’est la question financière qui est mise en avant et toute réforme doit intégrer cette dimension.

Les rapports financiers entre l’Etat et les collectivités locales ont été profondément modifié et celles-ci se trouvent sommées d’appliquer un taux directeur décidé par l’Etat à leurs dépenses de fonctionnement ce qui constitue un sérieux coup de canif aux principes de la décentralisation.

Mieux, même, à Bercy on plaide pour l’unification des budgets publics (Etat, Collectivités locales, Sécurité Sociale) afin de plaire aux institutions européennes, ce qui constituerait un retour à la tutelle financière en vigueur avant 1983.

Où se trouve le maillon faible ?

C’est indubitablement le Département dirigé par le Conseil Départemental avec ses compétences très marquées par les dépenses sociales dont Macron dit que « cela coûte un pognon dingue ». Plus de 60 % des dépenses des départements sont des dépenses d’interventions sociales et de coût des personnels qui les exercent sur le terrain.

Par ailleurs, dans la mesure où l’investissement des Départements diminue comme peau de chagrin au fil du temps et que 80% des dépenses sont des dépenses de fonctionnement incompressibles on est en droit de se demander si on a encore besoin d’une assemblée d’élus pour diriger ces collectivités.

Ne vaudrait-il pas mieux transférer les quelques compétences résiduelles (routes, collèges, aménagement du territoire,…) aux Régions (qui gèrent déjà les lycées) et demander à l’Etat de reprendre l’ensemble des compétences sociales comme c’était le cas avant avec les DDASS et d’assumer lui-même sa politique de fermeté ?

Cela aurait le mérite de la clarté et éviterait les empoignades médiatiques convenues entre élus locaux et Etat, sachant que ce dernier aura toujours raison. Cela suppose que les plus de 4000 élus départementaux se fassent harakiri, et ça, ce n’est pas gagné.

Les résultats de LREM aux élections locales seront déterminants. S’ils devaient se traduire par un désaveu de la politique de Macron dans les urnes, alors la voie de la diminution des collectivités locales serait ouverte. 



12 réactions


  • baldis30 6 juillet 2018 11:00

    bonjour,

    bon article ..

    quand en plus certaines grandes villes ne se mêlent pas de régies hors de propos …. Et la première d’entre elles dont la responsabilité est au plus haut niveau de l’Etat : celle de l’eau !

    Combien de communes ont-elles les moyens d’une politique de l’eau : de l’approvisionnement au traitement des eaux usées ? Peu, très peu ! La seule solution est une nationalisation INTEGRALE de la distribution d’eau ( Spartacus va hurler j’en ai rien à f... parce que dans l’état actuel : l’eau ça mouille, ça trempe et ça arrose … comprenne qui voudra ! ).

    Gaspillage sublime (voir le nombre de communes où les pertes hydriques dépassent les 20 % ) avec les risques graves induits par les pertes ce qu’on ne recherche que rarement .

    Aucune politique de rationalisation des équipements ( on en est au même stade imbécile des entreprises privées auquel on en était en matière de tensions électriques voire de fréquence en 1945 et il fallut plus de trente ans pour arriver à une normalisation donc réduction des coûts (cela emm…. Spartacus mais je n’en ai rien à f....) .

    Seulement voilà : l’eau ça mouille, ça trempe et ça arrose et cette situation permet tellement de facilités….

    et pour mouiller, tremper et arroser c’est au nom du marché la concurrence libre et non faussée

    N’y aurait-il pas d’autres exemples que celui de l’eau …..


  • Michel DROUET Michel DROUET 6 juillet 2018 11:12
    Bonjour Baldis30
    Merci !
    Autre exemple : les autoroutes...
    Pour l’eau je vous suis complètement. Il s’agit d’un bien commun qui ne devrait pas être privatisé. Les réseaux devraient être entretenu afin d’éviter les pertes, mais cela ferait ça de moins en dividendes...
    Dans la Métropole dans laquelle j’habite, il y a eu enfin une SPL (société publique locale) qui a pris la place du privé, mais cela a été dur, la majorité « socialiste » n’étant pas plus pressée que ça pour passer à un autre mode de gestion.
    Les habitudes ont la vie dure et le poids des lobbies se fait toujours sentir.
    Quand à Spartacus, il demandera bientôt la privatisation des déserts de sable.

  • Clark Kent Clark Kent 6 juillet 2018 12:56

    Clientélisme et fromages de mille-feuilles sont les deux mamelles de la France. Non seulement le mafieux n’ont pas pour coutume de se faire hara-iri, comme le signale l’auteur, mais ils connaissent l’art de l’arrosage qui explique leur durabilité aux sinécures qui les engraissent. La paix sociale repose là-dessus et les stratèges affiliés néocons de Bruxelles et du Medef qui ont propulsé le petit marquis là où il est avec un gros booster dans le cul le savent.


    • Michel DROUET Michel DROUET 6 juillet 2018 14:53

      @Clark Kent
      Diviser pour régner et comme le citoyen de base ne comprend rien à la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivité et à la répartition des impôts locaux, le système perdure.


  • zygzornifle zygzornifle 6 juillet 2018 13:31

    le fossoyeur du social ça c’est sur ....

    Un énarque Rothschildien ne va faire aucun cadeau a tout ce qui gagne peu , il veut tenter de redresser le pays en enfonçant les « gagne peu ou presque rien » ....

  • Fergus Fergus 6 juillet 2018 19:29

    Bonsoir, Michel

    « Ne vaudrait-il pas mieux transférer les quelques compétences résiduelles (routes, collèges, aménagement du territoire,…) aux Régions (qui gèrent déjà les lycées) et demander à l’Etat de reprendre l’ensemble des compétences sociales comme c’était le cas avant avec les DDASS et d’assumer lui-même sa politique de fermeté ? »

    100 % d’accord avec cette proposition de bon sens !


  • grangeoisi grangeoisi 7 juillet 2018 09:43

    Bof ! Le prurit français du changement (Metternich) avec l’antidote Macron...Heureusement les cheminots sont là avec leur devise : « plus je pédale moins vite , moins j’avance plus lentement ».


  • generalchanzy generalchanzy 8 juillet 2018 11:57
    La décentralisation a permis de...
    Qui vous dit qu’avec la centralisation il n’en aurait pas été de même ?

    Le mille feuille... mais nous avions les communes, cantons, départements, régions et l’état.
    Pourquoi avoir ajouté des étages supplémentaires ?

    Macron n’est pas le fossoyeur de la décentralisation mais le énième fossoyeur de la France...puisqu’il est (l’un des derniers) fervent partisan de la construction européenne.

    Pour ce qui est des élus, il n’y a pas si longtemps, ils pouvaient être maires et députés, faisant ainsi remonter leur vécu de terrain au plus haut sommet.
    Aujourd’hui, l’assemblée nationale est composée en majorité de DRH et de comptables.

    Arrêtons de parler de décentralisation et parlons d’aménagement DU territoire avec des élus locaux et nationaux capables de défendre nos intérêts.
    Ils sont de moins en moins de droite, de gauche ou d’extrêmes. Ils existent et sont malheureusement peu médiatisés..

    • Michel DROUET Michel DROUET 8 juillet 2018 16:30

      @generalchanzy

      Avec la centralisation c’était mal barré, je le sais, j’ai récupéré les merdes en 1984. Il faut savoir que la décentralisation consistait à faire mieux dans les collectivités qu’avec l’Etat : ça a été le cas tant que les dotations ont suivi. C’est maintenant que l’Etat bloque les dotations et supprime les recettes des collectivités (TH) que ça se gâte.
      Les élus cumulards, je les ai côtoyé : jamais là au bon moment !

    • Michel DROUET Michel DROUET 9 juillet 2018 09:37

      @jesuisdesordonne
      Oui, étonnant que fifi n’ait pas réagit ! Mais je constate que le permanence est assurée pendant l’été...


Réagir