Marine Le Pen chahutée dans le Var : le vrai du faux
Marine Le Pen avait appelé une dizaine de journalistes en leur disant : "Venez dans le Var, je vais y faire un grand coup médiatique à la Salvini". Durant la campagne législative italienne, le chef de la Ligue s'était effectivement rendu dans un village où un camp pour 3000 migrants était en construction. Son discours y avait été applaudi par les habitants et ce coup de force lui avait donné une embellie dans les sondages. La fille Le Pen a voulu l'imiter, mais force est de constater que c'est un échec patent.
Le petit village varois de Châteaudouble (470 habitants) a défrayé la chronique l'été dernier, avec l'annonce par la préfecture varoise d'y envoyer 72 demandeurs d'asile en attendant que leur dossier soit étudié par l'OFPRA et qu'ils obtiennent ou non l'asile politique : leur séjour devrait durer deux mois dans une ancienne maison de retraite désaffectée. Le Rassemblement National a saisi l'occasion au vol dès le mois de juillet, dénonçant, par la bouche de son représentant local Frédéric Boccaletti un "bradage" du territoire français. "Les nôtres avant les autres", devise inspirée de la philosophie thomiste, a également été invoquée par plusieurs cadres frontistes qui ont dénoncé que l'on mette "des migrants clandestins" dans une maison de retraite "alors que nos aînés meurent de faim", dixit M. L., une militante varoise sur twitter. Une affirmation qui s'effondre comme un château de cartes face aux faits : 1) il s'agit bien de demandeurs d'asiles parfaitement réguliers et non de clandestins ; 2) la maison de retraite n'est plus fonctionnelle depuis plusieurs années ; 3) bien que une personne âgée sur dix soit hélas en situation de précarité financière, personne ne meurt de faim en France.
La venue des réfugiés est prévue en plusieurs vagues successives, la première devant arriver dans les prochains jours. A la traîne dans les sondages, confrontée à une rentrée difficile entre départs massifs (60% des militants ont quitté le parti depuis la raclée des présidentielles) et baisse draconienne du budget de son parti, Marine Le Pen a décidé d'effectuer un retour médiatique audacieux avec ce qu'elle imaginait comme un buzz d'enfer. Sa "visite surprise" à Châteaudouble était en fait planifiée depuis une semaine et publiquement connue depuis plus de trois jours. Des habitants avaient même annoncé la veille sur les réseaux sociaux leur volonté de manifester pour s'opposer à l'instrumentalisation de leur village par le RN.
Marine Le Pen s'est donc rendue dans le village varois en compagnie d'une dizaine de journalistes et de militants frontistes sans prévenir la préfecture qui aurait alors, conformément à la loi, envoyé des policiers pour la protéger. En guise de fleurs et de tapis rouge, c'est par des huées qu'elle a été accueillie. Plusieurs dizaines de personnes s'étaient en effet rassemblés sur le chemin principal du village pour l'empêcher de passer, une pelleteuse ayant même été mise en travers de la voie pour lui barrer le passage. Le déplacement aura duré en tout quarante minutes. La scène a été capturée par les caméras des journalistes présents sur les lieux et diffusée en boucle sur les chaînes d'information. On y entend clairement les huées et les "dégage !" et autres "cassez-vous !" mais il n'y a aucune violence physique du côté des manifestants. On ne peut en dire de même pour les frontistes accompagnant Marine Le Pen : un sexagénaire est violemment poussé par un malabar au crâne rasé. Plusieurs femmes présentes sur les lieux sont aussi poussées et insultées par les frontistes. Il est tout de même drôle qu'un parti prônant le respect des femmes et des anciens et dénonçant les "étrangers qui nous imposent leur loi chez nous" aille molester des vieux et des femmes dans leur propre village…
Car, ces protestataires n'étaient pas des "antifas d'extrême-gauche venus en bus de Marseille" comme l'a déclaré Marine Le Pen, mais bel et bien des habitants de la petite commune. Agathe Lambret, journaliste de BFM TV, présente sur place pour couvrir l'évènement, affirme avoir vérifié qu'il s'agissait bien de locaux. Georges Rouvière, le maire de la commune, ainsi que plusieurs conseillers municipaux disent la même chose. Marine Le Pen et David Rachline (porte-parole du RN) ont annoncé leur intention de déposer plainte pour "entrave à la liberté de circulation" et mettent nommément en cause la préfecture pour ne pas avoir sécurisé les lieux avant l'arrivée des frontistes. Une déclaration qui a beaucoup étonne le sous-préfet qui affirme n'avoir été sollicité ni par Marine Le Pen, ni par Frédéric Boccaletti, le dirigeant de la fédération RN varoise.
Dans les médias, l'affaire a évidemment fait la une, éclipsant même l'interminable "affaire Benalla" pour quelques heures. Les réactions sont plutôt contrastées. Si pour Laurent Joffrin il s'agit d'une manifestation de citoyens hostiles à l'instrumentalisation de leur commune, Charlotte d'Ornellas dénonce quant à elle "un véritable problème de liberté d'expression" et un "acharnement" contre Marine Le Pen, rappelant que la candidate du FN avait recueilli "plus de 30% des suffrages dans la commune". Il y a cependant une question à laquelle la journaliste de Valeurs Actuelles ne peut apporter de réponses : si elle est aussi populaire dans ce village et si l'arrivée des migrants est aussi contestée, pourquoi ses partisans n'ont-ils pas été au rendez-vous pour l'accueillir ? Car il est bien curieux que seule une partie du village fasse l'effort de se déplacer pour s'opposer à une personnalité et que l'autre partie reste dans l'apathie. Or, parmi les habitants, seuls les opposants étaient sur place. Cela se comprend mieux lorsque l'on se penche plus en profondeur sur les affirmations de Mlle. d'Ornellas : le chiffre de 30% représente le score du second tour des présidentielles et non celui du premier tour. "30% ont voté pour Le Pen" peut donc tout à fait être retourné en "70% ont voté pour Macron".
Une phrase, en apparence anodine, a curieusement échappé à l'attention des journalistes et des observateurs politiques. Entre les huées et les insultes fusant de toutes parts, on entend clairement Marine Le Pen dire : "On vous défendra malgré tout, y compris contre vous-mêmes"… Une phrase encore inspirée de la philosophie thomiste dans laquelle il est clairement énoncé que l'on doit forcer les "hérétiques" à être sauvés, quitte à les livrer aux flammes : "car le feu purificateur du bûcher est moins douloureux que les flammes de la damnation éternelle". Enfin, dernier mensonge de Marine Le Pen : la non-consultation des citoyens et du maire pour l'arrivée des migrants. A la mairie, que j'ai personnellement contactée par téléphone, on assure que le conseil municipal a bel et bien statué pour l'accueil des réfugiés dans l'ancienne maison de retraite. Et, même si tel n'avait pas été le cas, la manifestation citoyenne d'aujourd'hui démontre que les seules personnes indésirables à Châteaudouble, ce sont Marine Le Pen et ses acolytes.