Municipales 2020 (2) : le coronavirus s’invite dans la campagne
« Les réunions politiques publiques sont interdites. Le préfet autorise les réunions des conseils municipaux (et communautaires) à huis-clos, selon les dispositions de l’art. 2121-18 du CGCL [code général des collectivités locales]. Le public ne peut pas se rassembler dans une autre salle en marge du conseil municipal. (…) Les rassemblements dans les lieux de culte sont interdits. Les mariages et enterrements peuvent être célébrés à la condition de réduire le public présent au strict minimum. » (3 mars 2020).
Interdiction de rassemblement politique et religieux : sommes-nous dans la pire des dictatures ? Non. Cette courte citation d’une circulaire du préfet du Morbihan en date du 3 mars 2020 a de quoi faire frémir les besoins de liberté des citoyens. Le département du Morbihan semble très touché par le coronavirus provoquant la maladie dite COVID-19, les mesures de protection contre la propagation du virus sont draconiennes. Ce serait facile à admettre… mais hors contexte. Car nous sommes en pleine campagne des élections municipales et le scrutin a lieu dans moins de dix jours.
Le premier principe de réalité à accepter, c’est que le coronavirus n’est pas un simple virus de la grippe. Il peut y avoir un côté morbide à comptabiliser chaque jour le nombre de personnes infectées et le nombre de personnes décédes par le coronavirus, car chaque personne atteinte est un scandale, mais l'approche statistique est pourtant essentiel en épidémiologie. Au 5 mars 2020, il a déjà tué 3 356 personnes en moins de deux mois, soit à peu près l’équivalent de l’hécatombe sur les routes françaises chaque année, et il a infecté déjà 98 088 personnes, dont 54 237, heureusement sont aujourd’hui guéris. Il touche quasiment tous les pays, 89 États à ce jour, et le risque est que des pays africains, d’Amérique latine et aussi l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie… sous-évaluent énormément le nombre de personnes infectées par manque de tests de dépistage.
Depuis une semaine, la France, comme l’Allemagne (545 cas) et l’Espagne (282 cas, 3 décès), se trouve en pleine "flambée" du coronavirus : 423 cas d’infection, dont 23 en état sérieux ou critique, qui ont entraîné la mort de 7 personnes. C’est, par rapport à la veille, 138 de plus. Alors que l’épidémie a atteint son pic il y a quelques jours en Chine, trois pays sont en "mauvaise posture" : la Corée du Sud (6 088 cas soit +467 en un jour, 40 décès), l’Iran (3 513 cas soit +591 en un jour, 108 décès) et l’Italie (3 858 cas soit +769 en un jour, 148 décès). Rien n’indique que la France ne suive pas la pente de l’Italie d'ici à la semaine prochaine.
Certains disent que le nombre de morts est somme toute très faible par rapport à la population d’un pays ou par rapport à d’autres causes de mortalité. Néanmoins, j’attire l’attention sur le fait que ces morts se cumulent aux autres et que, sans ce coronavirus, des milliers de vies auraient été sinon sauvées au moins prolongées. C’est même très stupide de vouloir faire un concours de mortalité. Car à ce compte-là, laissons les meurtriers tuer leurs victimes, puisqu’il n’y a pas 1 000 homicides chaque année, un nombre très faible qui ne devrait pas justifier une telle couverture médiatique ni une telle démagogie politique sur la supposée insécurité.
L’esprit républicain français rappelle d’ailleurs, au même titre que certaines religions, qu’une vie est une vie, que la mort d’une personne, c’est une bibliothèque qui brûle, que tout doit être fait pour sauver même une seule vie. Et puis, la mécanique de l’épidémie justement mélange liberté individuelle et conséquences collectives.
Ce virus est dangereux pour plusieurs raisons : au moins vingt fois plus létal que la grippe, et surtout, il est inconnu, on ne connaît pas toutes les conséquences de ce virus à court et long terme.
Un gouvernement, quel qu’il soit, sera toujours critiqué dans de telles circonstances : on dira qu’il n’en a pas fait assez ou qu’il en a fait trop. Le juste équilibre nécessite une observation fine et dynamique, sans cesse renouvelée, pour éviter le pire tout en continuant à vivre normalement. Même si gouverner, c’est prévoir, personne n’est madame soleil.
La situation se complique évidemment encore plus lorsque nous sommes en période électorale. La campagne et aussi les opérations de vote. Repousser le scrutin ? Si c’est d’un ou deux mois, rien ne garantit que la situation ne sera pas pire dans un ou deux mois. Et repousser dans six mois, un an, pourrait bouleverser complètement les institutions, en particulier parce que les élus municipaux et leurs délégués représentent environ 95% des grands électeurs pour les élections sénatoriales qui sont prévues le 27 septembre 2020 (renouvellement de la moitié du Sénat).
De plus, la situation étant ce qu’elle est, à savoir une forte probabilité pour que ces élections marquent une certaine défiance vis-à-vis de la majorité, les repousser pourrait laisser prise aux soupçons d’autoritarisme du gouvernement. Résultat, ce 5 mars 2020, le gouvernement a confirmé que les élections municipales auraient bien lieu les 15 et 22 mars 2020.
Or, pour faire campagne, généralement, il faut rencontrer les électeurs. Pour la dernière semaine, cela va être très difficile. Les mesures de protection sont connues, et le sont même hors période d’épidémie, bien se laver les mains régulièrement, tousser dans son coude (pas dans ses mains car on touche beaucoup de choses avec les mains), et aussi ne plus se serrer les mains ni faire la bise, ce qui va être difficile pour faire campagne. Et ne porter un masque que lorsqu’on est malade, pour ne pas transmettre le virus, pas avant, pour laisser les masques à ceux qui en ont besoin.
Ces mesures de précaution, de bon sens finalement, ont déjà désengorgé les services des urgences (souvent en grève théoriquement) de autres infections habituelles de l’hiver (rhume, bronchite, etc.). Il y a quand même un petit côté de défiance dans le refus de se toucher pour saluer, du reste comme pour se protéger du sida avec un préservatif, son utilisation pouvant être une preuve de manque de confiance de son ou sa partenaire.
Certains pourraient croire qu’ils ont la baraka, qu’ils ne craignent pas le virus, qu’ils en ont connu d’autres, mais le fait de ne pas se toucher n’est pas qu’une question de peur, c’est aussi une question de responsabilité collective : en serrant la main d’une autre personne, on envisage de se faire contaminer par le coronavirus, on envisage beaucoup moins de le transmettre, et pourtant, on peut être un porteur sain, et donc, l’avoir sans le savoir et le transmettre sans l’avoir voulu.
Le plus dur est évidemment l’interdiction, dans certains territoires, de faire des réunions publiques, car comment pouvoir convaincre les électeurs si on ne tente pas de les rassembler dans un même lieu ? Sans compter qu’il faut se méfier de toutes les sources de contamination, notamment les microphones (postillons) et les téléphones fixes (utilisés par plusieurs personnes, le smartphone étant plus individuel, le risque est beaucoup plus faible).
Mais le problème ne s’arrête pas avec la campagne électorale, il reste tout entier dans la journée même du scrutin, dans les opérations de vote. Il y a quelque temps, j’avais argumenté pour refuser absolument le vote électronique au nom de la sincérité, de la liberté et du secret du vote, mais le vote électronique a au moins cet avantage (le seul qui pèse faiblement face à ses grands défauts) d’éviter plus efficacement la propagation des virus.
En effet, les assesseurs devront prendre la carte d’identité de plusieurs centaines de personnes (les votants), les électeurs devront ensuite émarger la liste électorale avec un stylo utilisé par d’autres, et au moment du dépouillement, il faudra bien toucher des centaines de bulletins de vote issus de centaines de personnes. On pourra toujours prendre des gants, ceux-ci ne sont utiles que si on les change souvent, autant se laver souvent les mains dans ce cas-là. Le peuple israélien a voté le 2 mars 2020 et la procédure ont été très rigoureuse pour éviter la propagation du coronavirus.
Probablement que les électeurs et les assesseurs attendent du gouvernement qu’on les rassure sur les opérations de vote. Il faut noter que la peur pourrait engendrer une très forte abstention, en particulier des plus fragiles, à savoir, majoritairement, des plus âgés. Ce qui aura nécessairement des conséquences sur les résultats électoraux…
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 mars 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Municipales 2020 (2) : le coronavirus s’invite dans la campagne.
Municipales 2020 (1) : retour vers l’ancien monde ?
Article 49 alinéa 3 : le coronavirus avant la réforme des retraites ?
Les frontières arrêteront-elles le coronavirus ?
Coronavirus : la croisière ne s’amuse plus.
Le docteur Li Wenliang, lanceur d’alerte de l’épidémie de coronavirus.
Le coronavirus de Wuhan va-t-il contaminer tous les continents ?
L’apocalypse par l’invasion de paléovirus géants ?
Le virus de la grippe A(H1N1) beaucoup plus mortel que prévu.
"Estimated global mortality associated with the first 12 months of 2009 pandemic influenza A H1N1 virus circulation : a modelling study" ("The Lancet", 26 juin 2012).
Publication d’origine sur le Mollivirus sivericum du 08 septembre 2015 (à télécharger).
L’arbre de la vie.
Découverte du virus du sida.
Vaccin contre le sida ?
La grippe A.
Un nouveau pape de la médecine.