samedi 25 septembre 2021 - par Sylvain Rakotoarison

Paul Quilès, X PS RIP

« Il avait la trempe, lui aussi, d'un ténor du socialisme et d'un pilier de la République. Sa proximité avec ses administrés, son sens aigu des enjeux locaux, ne l'empêchaient pas de s'intéresser aux questions stratégiques et géopolitique. » (Emmanuel Macron, le 24 septembre 2021).

L’ancien ministre socialiste Paul Quilès est mort ce vendredi 24 septembre 2021 dans la matinée à l’âge de 79 ans (né le 27 janvier 1942) des suites d’un cancer contre lequel il luttait depuis des années. Sa mort avait malencontreusement été annoncée dans la soirée du 21 septembre 2021 par une dépêche AFP qui avait mis foi à quelques déclarations d’élus locaux du Tarn. La famille avait alors démenti l’information mais indiqué qu’il était hospitalisé et en soins palliatifs. C’est sa fille Emmanuelle qui l’a annoncé : « Mon père s’est éteint ce matin à Paris. Il s’est battu jusqu’au bout comme il l’avait toujours fait dans sa vie pour les autres. ».

Paul Quilès n’a jamais cessé son combat politique, malgré sa retraite parlementaire en 2007. Il tenait même un blog qu’il alimentait très régulièrement où il se concentrait surtout sur son opposition à la dissuasion nucléaire, partisan du désarmement nucléaire.

Il était l’un des grands barons du mitterrandisme triomphant des années Mitterrand, celle du PS, des années 1970, 1980 et 1990. Il faisait partie des dirigeants du parti socialiste lorsque ce dernier, réunifié, s’impatientait encore dans l’opposition.

Incarnation d’une élite qui n’était pas administrative (il n’a pas fait l’ENA) mais scientifique (il a fait des études à Polytechnique), Paul Quilès a commencé sa vie active comme ingénieur dans le secteur pétrolier (chez Shell) tout en s’engageant aux côtés de François Mitterrand en 1973. Membre du Conseil Économique et Social de 1973 à 1976, il fut élu député de Paris (à l’âge de 36 ans) en mars 1978 et renouvela son mandat jusqu’en 1993.

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Pour avoir une idée de la confiance qu’il avait nouée avec le futur Président de la République, il suffisait de savoir que c’était lui, Paul Quilès, qui fut le directeur de campagne de François Mitterrand lors de l’élection présidentielle de 1981. La victoire socialiste n’a cependant pas résonné immédiatement jusqu’à sa propre carrière puisqu’il a dû attendre deux ans avant de participer au gouvernement, souvent par "effraction".

Représentant du militantisme socialiste conquérant, Paul Quilès a mené les listes du PS aux élections municipales de mars 1983 à Paris contre le chef de l’opposition et maire sortant Jacques Chirac. Ce dernier a cependant remporté une très large victoire, gagnant la totalité des arrondissements de Paris (le "grand chelem"). Paul Quilès fut réélu conseiller de Paris en mars 1989 et quitta le conseil de Paris en janvier 1993.

Cette défaite ne l’a pas empêché d’enter au gouvernement, mais il l’a fait à plusieurs reprises comme "remplaçant". Ainsi, le Ministre du Logement Roger Quilliot, également maire de Clermont-Ferrand, a préféré reprendre son mandat de sénateur du Puy-de-Dôme en se faisant réélire en septembre 1983, laissant la place à son collègue député de Paris.

Ainsi, Paul Quilès fut nommé Ministre de l’Urbanisme et du Logement du 4 octobre 1983 au 20 septembre 1985, dans le gouvernement de Pierre Mauroy puis, à partir du 19 juillet 1984, dans le gouvernement de Laurent Fabius (où son ministère fut élargi aux Transports). Puis, remplaçant Charles Hernu contraint à démissionner à cause de l’affaire du Rainbow Warrior, il fut nommé Ministre de la Défense du 20 septembre 1985 au 20 mars 1986.

Après la réélection de François Mitterrand, Paul Quilès fut membre de tous les gouvernements socialistes de 1988 à 1993. D’abord Ministre des Postes, Télécommunications et Espace du 13 mai 1988 au 15 mai 1991 dans les gouvernements de Michel Rocard, il fut nommé Ministre de l’Équipement, du Logement, des Transports et de l’Espace du 15 ami 191 au 2 avril 1992 dans le gouvernement d’Édith Cresson. Enfin, il fut nommé Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité intérieure du 2 avril 1992 au 29 mars 1993 dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy.

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En mars 1993, Paul Quilès a préféré se "délocaliser" et quitter Paris, pour s’implanter dans le Tarn et se faire élire député du Tarn sans discontinuer de mars 1993 à juin 2007, dans la circonscription même de Jean Jaurès. Il fut également élu maire de Cordes-sur-Ciel de juin 1995 à mai 2020 (ainsi que président de la communauté de communes associée de janvier 2013 à mai 2020).

Parlementaire très actif, Paul Quilès présida la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale de juin 1997 à juin 2002. Il présida également plusieurs missions d’information, notamment une sur le génocide rwandais (rapport publié le 15 décembre 1998) et une autre sur énergie et géopolitique (rapport publié le 29 novembre 2006).

En 2011, Paul Quilès a soutenu la candidature de Martine Aubry à la primaire du PS. Il a ensuite formé une formation avec Marie-Noëlle Lienemann.

D’un point de vue réputation, Paul Quilès a eu un sparadrap qui n’a cessé de lui coller depuis 1981, avec un surnom qu’il n’a jamais accepté, Robespaul. En effet, lors du premier congrès socialiste à Valence après la victoire du 10 mai 1981, Paul Quilès a fait partie, le 23 octobre 1981, de ceux qui réclamaient des têtes : « La naïveté serait de laisser en place des gens déterminés à saboter la politique voulue par les Français, recteurs, préfets, dirigeants d’entreprise nationale, hauts fonctionnaires. ».

Et de continuer : « Croyez bien, chers camarades, que personne ne nous saurait gré de laisser en place tous ces hauts responsables de l’économie ou de l’administration qui sont nos adversaires. Il ne faut pas avoir peur de le dire. Souvenons-nous qu’en politique, faire un cadeau de ce genre, c’est se condamner soi-même. Mais il ne faut pas non plus se contenter de dire, de façon évasive, comme Robespierre à la Convention le 9 thermidor 1794, des têtes vont tomber. Il faut dire lesquelles et le dire rapidement. C’est ce que nous attendons du gouvernement, car il en va de la réussite de notre politique ! ».





Depuis cette date, l’extrait était régulièrement repris par la droite pour illustrer l’esprit intolérant des socialistes, et en particulier lors de la campagne présidentielle de 2012. Pourtant, Paul Quilès a toujours regretté cette interprétation erronée de ses propos. Au contraire, il a fait allusion à Robespierre car il n’avait pas nommé les personnes qu’il voulait condamner et cela a précipité sa chute, tous les conventionnels ayant eu peur d’être ciblés par le maître de la Terreur.

Ainsi, comme l’a assuré Michel Rocard dans "L’Histoire" d’octobre 1993 : « On a fait dire à Paul Quilès le contraire de ce qu’il avait dit, puisque ses propos visaient précisément à empêcher toute chasse aux sorcières. ». Dès le 28 octobre 1981, certains journalistes ont noté le problème d’interprétation. Ainsi, dans "Le Matin de Paris", Laurent Dispot : « De critique de Robespierre, il est devenu Robespierre lui-même ! ».

Le 14 novembre 2008, l’ancien orateur du congrès de Valence a en effet constaté : « Ce faisant, je commettais l’erreur de prononcer un nom, Robespierre, ayant une forte charge négative et de surestimer les connaissances historiques des commentateurs. ». La dernière remarque était d’ailleurs un peu condescendante.

Et il concluait sur le ratage de ce congrès de Valence qui fut pollué par cette mauvaise interprétation : « Le parti socialiste, qui venait d’obtenir la majorité absolue au Parlement, vit son congrès proprement détourné. Et les socialistes assistèrent impuissants, à une espèce de rapt idéologique : ils étaient devenus les spectateurs de leur propre congrès. ». Pourtant, ce climat de chasse aux sorcières était bel et bien confirmé par certains journalistes.

Pour avoir une clef de cette déclaration maladroite, on doit indiquer que cet épisode historique était régulièrement cité par François Mitterrand, mais dans ce contexte de Valence, il était très mal employé politiquement par Paul Quilès dont la maladresse l’a poursuivi tout au long de sa carrière politique.

À tel point que lorsque Jean-François Copé a rappelé cette saillie le 2 mars 2012 sur Europe 1, Paul Quilès s’est cru obliger, deux jours plus tard, de citer deux leaders de l’UMP en guise de témoignage de moralité.

Le premier vient de Gérard Longuet le 20 mai 1990 : « Monsieur le Ministre, 1/ Désolé pour les têtes, n’y voyez aucune malice. 2/ En plus, vous avez historiquement raison. Robespierre a été abattu parce qu’il n’avait pas désigné ses ennemis, et donc chacun se sentait concerné. Vous proposiez de dénommer vos seuls adversaires, et il est normal d’en avoir. ».

Le second vient de Patrick Devedjian le 26 mai 2003 : « Monsieur le Ministre, votre mise au point était tout à fait nécessaire. J’étais de bonne foi et je ne le dirai plus, me réjouissant de ce rejet de Robespierre. Le phénomène est d’ailleurs intéressant car la conviction est très largement répandue. Vous avez été victime de la subtilité de votre propos, dont la pertinence est plus facile à faire passer à l’écrit. ».

Il n’en reste pas moins que si je crois bien sûr en la sincérité de Paul Quilès, il a prononcé ces phrases de manière maladroite ; le ton restait violent et laissait entendre beaucoup d’intolérance et de clanisme.

Je propose ici quelques réflexions récentes de Paul Quilès sur des sujets d’actualité, puisées dans son blog.

Sur la prédictibilité douteuse des sondages préprésidentiels, le 12 septembre 2011 dans "Marianne" : « Sans être un grand politologue, on sait (…) qu’un sondage réalisé aussi loin de l’échéance [à plus de trois mois] ne peut intégrer plusieurs facteurs déterminants, notamment les conséquences de la campagne électorale proprement dite, qui fait bouger les lignes ; le handicap de celui qui est en tête longtemps à l’avance et qui devient au fil du temps l’objet de toutes les critiques… y compris du monde médiatique, qui résiste rarement à la tentation de brûler ce qu’il a porté au pinacle ; le changement de certains électeurs du camp adverse, favorables par effet de mode à un candidat dans les sondages… mais qui retrouvent leur camp quand l’affrontement se radicalise. ».

Sur les commentaires faits à la suite des dernières élections régionales et départementales, le 28 juin 2021 : « Deux tiers d’abstention et encore plus dans les catégories populaires et chez les jeunes : ces chiffres parlent d’eux-mêmes et il n’était pas besoin de se disputer sur la signification du vote des courageux votants. (…) Le seul sujet de débat qui a passionné les commentateurs et les politiques interviewés a été l’élection présidentielle de 2022. Pourtant, l’observation de l’histoire des élections en France montre que les candidatures ne se déclarent que quelques mois avant cette élection et qu’il est vain de chercher à tirer des enseignements d’élections locales comme celles qui viennent de se dérouler. ».

Sur la dissuasion nucléaire, le 4 juillet 2021 : « Le développement de nouveaux armements comme les missiles hypersoniques, les armes à énergie dirigée ou à hyperfréquences se conjugue avec l’apparition de nouveaux champs de conflictualité comme le cyber-espace, l’espace lui-même et l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique. (…) Dans ce paysage stratégique bouleversé où la distinction entre la guerre et la paix devient plus floue, où l’agresseur devient difficile à identifier et où la guerre devient instantanée, la dissuasion nucléaire n’a pas sa place. ».

Enfin, sur le "triste départ des Américains" et la victoire des Talibans en Afghanstan, dès le 5 juillet 2021 : « (…) Ce qui n’a pas empêché les États-Unis d’injecter dans cette guerre, la plus longue de leur histoire, des sommes ahurissantes : plus de 2 000 milliards de dollars, soit 10 fois plus que le coût de la première guerre mondiale. (…) Quant aux forces talibanes, elles se sont organisées. Elles sont bien équipées et disposent d’importantes ressources, puisque 40% à 60% de leur budget proviennent de l’héroïne. (…) Il est vrai que les États-Unis ne sont pas les premiers à quitter l’Afghanistan avec un sentiment d’échec : après les Perses, les Grecs d’Alexandre le Grand, les empereurs Moghols, la Couronne britannique et l’Union Soviétique ! ».


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2021)

http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le congrès de Valence.
François Hollande : au secours, l’esprit de Valence revient !
Paul Quilès.
Anne Hidalgo.
André Chandernagor.
Michel Jobert.
Arnaud Montebourg.
Roland Dumas.
Bernard Tapie.
Laurent Fabius.
Louis Mermaz.
Marie-Noëlle Lienemann.
Jean-Luc Mélenchon.
Danièle Obono.
François Ruffin.
François Mitterrand.
François de Grossouvre.
Le congrès de la SFIO à Tours du 25 au 30 décembre 1920.
Le congrès du PS à Épinay-sur-Seine du 11 au 13 juin 1971.
Le congrès du PS à Metz du 6 au 8 avril 1979.
Le congrès du PS à Rennes du 15 au 18 mars 1990.
Le congrès du PS à Reims du 14 au 16 novembre 2008.
Édith Cresson.
Pierre Joxe.
Patrick Roy.
Raymond Forni.
Georges Frêche.
Michel Delebarre.

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4 réactions


  • zygzornifle zygzornifle 25 septembre 2021 13:22

    Avec Rakoto les morts ne peuvent même plus se reposer tranquillement, il doit utiliser un guéridon ou une planche ouija ....


  • ETTORE ETTORE 25 septembre 2021 13:53

    Bon alors ? Rakotonanobis....Ben alors ?

    Depuis quelques temps, ils semblerait que les morts attendent leur tour, devant votre froide porte, pour avoir leur oraison funèbre,

    La haie d’honneur, de tête de faux, forgées , érigées en oriflammes, tels des tickets de gestion de file d’attente, devient forêt bruyante .

    Vous accumulez du retard, et cela en devient gênant, pour ces pauvres défunts, qui ne peuvent accéder aux Champs Elysées, tant que vous ne leur avez pas signifié leur pass âge !

    A moins, à moins, que le présent-PET-Tueux, locataire actuel Elyséen, sature, de toutes ces commémorations, et vous demande instamment, de vous occuper de la sienne, en priorité !


  • zygzornifle zygzornifle 25 septembre 2021 17:07

    Pour faire l’objet d’un article il faut que le mort ait un pass sanitaire.....


  • devphil30 devphil30 26 septembre 2021 08:29

    Allégement des dépenses publiques


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