mercredi 11 novembre 2009 - par jps

Protéger les « petites affaires »

Il est prévu la suppression du juge d’instruction, d’une part, et de confier les fonctions d’instruction et de mise en accusation au parquet, d’autre part, ce qui est contraire au droit communautaire (CEDH, 4 déc. 1979, n° 7710/76, Schiesser c/ Suisse). Je rappelle que le parquet ou ministère public regroupe des magistrats (procureurs, procureurs généraux, etc…) sous la hiérarchie du pouvoir politique en l’occurrence du ministre de la justice, garde des sceaux.

Il est regrettable que la solution de collégialité de juges dans l’instruction n’ait pas été retenue, d’autant que la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le procureur de la République n’est pas une autorité judiciaire indépendante au sens de l’article 5 de la Convention (CEDH, 10 juill. 2008, Medvedyev c/ France).

Le parquet aura le choix du moment de l’ouverture de l’instruction. Il pourra également faire traîner les dossiers jusqu’à ce qu’à ce que la prescription de l’action publique puisse être opposée. Bien sûr, la loi du 9 mars 2004 prévoit l’exercice d’un recours gracieux devant le procureur général, mais le problème reste entier car ce dernier est soumis hiérarchiquement au ministère de la Justice.

A l’incrimination portée au gouvernement de vouloir ainsi étouffer les affaires, certains pourraient rétorquer que le juge de l’enquête et des libertés (JEL) est censé assurer la loyauté de l’enquête. Il est en capacité d’interpeller le magistrat-enquêteur appartenant au parquet. Mais ce dernier n’a aucun pouvoir hiérarchique, comment peut-il exiger qu’un membre du parquet se dessaisisse de tel ou tel dossier ? Le JEL sera t-il révocable à tout moment ? Si tel est le cas, cela nuirait à son indépendance.

De nombreuses informations judiciaires en matière économique et financière, de santé publique, ou d’homicides involontaires sont à l’origine de plainte déposée avec constitution de partie civile. Hors cette possibilité ne semble plus ouverte. Ainsi, si le parquet décide de classer sans suite une affaire, étant donné que le JEL à une marge de manœuvre plus restreinte que l’actuel juge d’instruction, les incriminés seront à l’abri et pourront continuer leurs "petites affaires".

Si ces dispositions préconisées avaient été en vigueur par le passé, y compris récent, alors les affaires d’ELF et du sang contaminé n’auraient jamais vu le jour. De même, Jean-Marie Messier, dans le dossier Vivendi-Universal, n’aurait jamais été renvoyé en correctionnel car le procureur y était opposé. Ainsi, en cas d’abus de biens sociaux concernant des personnes incriminées proches du pouvoir les petits actionnaires qui voudraient se plaindre feraient face à une forte inertie ou un classement sans suite. Jean Tiberi n’aurait jamais été poursuivi pour fraude électorale car le parquet avait fait preuve d’une abstention volontaire selon Syndicat de la magistrature. Et Chirac n’aurait jamais et renvoyé en correctionnel, pour détournements de fonds publics et abus de confiance, dans le cadre des emplois fictifs supposés à la ville de Paris.

On peut légitimement s’inquiéter de l’issue qui sera réservée aux futures affaires en lien avec la raison d’Etat, ou concernant de forts lobbies, même si le droit communautaire en dispose autrement. Lorsqu’ils veulent passer un texte en force, les politiques ne se soucient guère de savoir s’ils sont conformes à cette source de droit. En effet, il a été , tant de fois, rappelé à la France de respecter le droit communautaire. Le justiciable se voit, parfois, contraint d’épuiser les voies de droit interne avant de saisir la juridiction européenne.



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