vendredi 31 juillet 2009 - par Voris : compte fermé

Réforme du mille-feuille pour une meilleure part de gâteau ?

La réforme du mille-feuille français est engagée. Au chapitre des innovations, une nouvelle collectivité « la Métropole », et des élus d’un nouveau genre « les conseillers territoriaux » (ils siègeront à la fois à la région et au département). Au chapitre des suppressions, aucun échelon administratif n’est retiré. On garde donc les communes, départements et régions mais des fusions sont envisagées. La suppression qui fait réagir est celle de la clause générale de compétence des départements et des régions.

 
 
En plein cœur de l’été, le gouvernement a dévoilé son "avant-projet de loi relatif aux collectivités territoriales", bien décidé à s’attaquer au mille-feuille administratif tant critiqué. Le document comporte pas moins de 73 articles dont je vous épargnerai la lecture en vous en restituant la substantifique moëlle.

Cette somme est, on peut dire, la synthèse des rapports "Balladur" et "Belot". Le projet de loi proprement dit devrait être présenté en conseil des ministres à la rentrée. La question du mode de scrutin n’est pas évoquée ; elle ferait l’objet d’un projet de loi ultérieur mais Sarkozy a annoncé tout récemment son intention de presser le mouvement afin de faire gagner son camp (il est président de l’UMP avant tout). Pour cela, il veut imposer un mode d’élection à un seul tour. Ce système favoriserait l’UMP et affaiblirait la gauche .

Le but de l’opération, qui était au départ de faire des économies et de rationaliser le fonctionnement administratif territorial, changerait de nature : il s’agirait désormais de réformer le mille-feuille pour donner la meilleure part du gâteau au parti du président. Lire sur ce point l’article d’Antoine Vielliard "L’UMP veut supprimer les seconds tours qu’elle perd"

1 - Pas de suppression d’échelon

"Aucun grand pays européen ne choisit la fusion département-région " déclare Jean Jack Queyranne, président (PS) de la région Rhône-Alpes et député du Rhône. Et, de toute façon, une suppression d’échelon obligerait à réviser la Constitution qui reconnaît l’existence de ces deux échelons.

2 - Regrouper plutôt que supprimer et créer des conseillers territoriaux 


Les conseillers territoriaux assureront à la fois un mandat de conseiller général et de conseiller régional. C’était une proposition que défendait François Bayrou dans son programme présidentiel. Deux propositions de loi l’ont suivi sur ce point.

Au MoDem encore, la première vice-présidente de l’Association des Maires de France, Jacqueline Gourault, plaide en faveur de l’unification des missions d’enseignement. Depuis la Décentralisation, en effet, les écoles sont gérées soit par la commune (école primaire) soit par le département (collègue) soit par la région (lycées). Plusieurs autres voix prêchent en faveur d’un regroupement.

Deux départements ou deux régions pourront fusionner, s’ils sont d’accord. Cette disposition vise notamment la Normandie, divisée en deux régions (Basse-Normandie et Haute-Normandie). Une collectivité alsacienne unique se dessinerait aussi à l’horizon 2010.

Les conseillers territoriaux seraient renouvelés intégralement tous les six ans et rééligibles, alors qu’actuellement, les élus des départements sont ’hui renouvelés de moitié tous les trois ans.

3 - Les financements croisés remis en cause :

La multiplication des cofinancements publics allonge les délais d’instruction et augmente souvent le coût des projets. Ses détracteurs proposent, notamment, de limiter les intervenants locaux au nombre de deux.

Un élu souligne le grotesque de certaines situations : "Lors de l’inauguration d’un petit équipement de 30 000 euros, nous étions sept à couper le ruban : les représentants de la commune, de l’intercommunalité, du département, de la région, de l’Etat, d’une agence nationale et de l’Union européenne. Cela signifie sept équipes, sept dossiers et sept financeurs. Cela veut dire des délais plus longs pour un coût plus élevé"

Le rapport "Warsmann" propose donc des fusions horizontales et verticales sur la base d’incitations financières.

Pierre Maille, président (PS) du conseil général du Finistère, juge au contraire que "les financements croisés ne sont pas un problème, sauf vis à vis de la lisibilité démocratique. Aujourd’hui, nos actions exigent de plus en plus de transversalité. Alors que la vie est complexe, peut on imaginer n’intervenir que sur un aspect des choses, vouloir à tout prix tout organiser en cases étanches ?"
 
4 - La clause générale de compétence des départements et des régions sera supprimée.

Seule demeurerait la clause générale de compétence de la commune, le maire étant considéré comme un élu généraliste. Il faut savoir que la clause générale de compétence partagée par trois échelons (communes, départements, régions), est une rareté en Europe. 

Arnaud Montebourg, député (PS) et nouveau président de l’assemblée départementale de Saône-et-Loire, tempête quand même : "Si la clause générale est supprimée, il ne nous restera que des dépenses subies. Autant redonner les clés aux préfets". Cette remarque en forme de provocation grossière n’est pas très sensée. D’abord, l’avant projet précise : "Toutefois, dans les conditions définies par la loi, certaines (…) compétences peuvent être partagées". En cas de partage de compétence, un chef de file serait désigné, sur le modèle du social pour lequel le département est chef de file. Les collectivités pourraient, dans le cadre d’un accord, désigner "l’autorité chargée de l’exercice coordonné".

Les conseils généraux et conseils régionaux pourraient néanmoins participer financièrement à des projets hors de leur champ d’intervention. Enfin, les actions facultatives et extra légales resteront sans doute possibles mais elles sont financées par la seule collectivité qui les met en oeuvre (et les partenaires locaux éventuels).

5 - Une création : la Métropole 

Une nouvelle collectivité "la métropole", remplacera le département dans les agglomérations de plus de 500.000 habitants comme Lille et Nantes. Ce seuil pourrait être revu à la baisse selon une source très proche du gouvernement. Et la communauté urbaine de Strasbourg (CUS) pourrait prétendre à un regroupement similaire. Mais quid de la Bretagne ? Retrouvera-t-elle la configuration qu’elle avait avant le décret du Maréchal Pétain qui lui a soustrait la Loire-Atlantique où se trouve située Nantes, sa capitale historique ? 

Ces métropoles - facultatives - seront dotées, au minimum, de l’ensemble des compétences des conseils généraux et des communautés urbaines. 

L’avant projet de loi prévoit enfin un achèvement de la carte intercommunale d’ici au 1er janvier de l’année 2014 en facilitant un certain nombre de procédures de dissolution ou de fusion.

Le projet de loi de réforme territorial constituera le grand rendez-vous politique de la rentrée mais il fait d’ores et déjà grand bruit, en particulier depuis l’annonce par Sarkozy d’un possible scrutin local à un seul tour.
 
 
 
 


14 réactions


  • Michel DROUET Michel DROUET 31 juillet 2009 12:26

    Bonne analyse du projet, mais il est intéressant de constater que son contenu actuel est la résultante d’interventions répétées d’associations d’élus afin qu’on ne réduise pas trop leur nombre.
    Et pour faire passer la pilule auprès des élus de la majorité et les inciter à voter le projet de loi on leur promet un bon gros mode de scrutin à un tour qui favorisera outrageusement l’UMP dans les élections locales.
    Rien par ailleurs sur le cumul des mandats et leur limitation dans le temps, ce qui ferait pourtant du bien à notre démocratie en évitant que ce soient toujours les mêmes depuis 20 ou 30 ans qui tirent les ficelles de la vie politique.
    Bref un projet fait par les politiques, pour les politiques, et qui oublie totalement le citoyen.


    • Paul Cosquer 31 juillet 2009 12:30

      Les contours de l’avant-projet sont changeants...
      Pour le cumul des mandats, une proposition de loi a été inscrite ce jour à l’Assemblée Nationale par un député dont le nom m’échappe, mais ce n’est qu’une proposition de loi.


  • Jean-Pierre MARC Jean-Pierre MARC 31 juillet 2009 13:01

    Bonjour,
    il est vrai que manque dans le projet de lois des informations sur les modes de scrutin. quel sera-t-il pour les conseillers territoriaux proportionnel de liste avec parité obligatoire ?
    Mais je ne suis pas aussi pessimiste envers un projet qui, s’il ne supprime pas de structure (et il ne pouvait pas le faire dans le cadre d’une simple loi il aurait fallu réviser la constitution), fragilise quand même le département à terme (voir par exemple les compétences reprises par les métropoles).
    Projet qui par ailleurs fait apparître une autre nouvelle structure la « commune nouvelle » mi interco mi commune chargée de réduire le nombre de communes.
    (CF une petite synthèse que j’ai réalisée sur la commune nouvelle)

    Cordialement


  • Walden Walden 31 juillet 2009 13:43

    Merci pour l’info. Encore une belle usine à gaz à la française en perspective, qui évite les réformes institutionnelles de fond pour ménager les petits intérêts des professionnels de la politique.

    Ce projet ne s’attaque nullement au « millefeuille », il redistribue seulement les parts du gâteau. Il y aura toujours autant d’élus inutiles, de superpositions de compétences absurdes, et d’impôts locaux gaspillés.

    Quant aux nouvelles métropoles départementales, si dorénavant les grosses agglomérations peuvent imposer leurs choix, de manière unilatérale et centralisée, aux petites communes de leur périphérie, ce sera la fin de la démocratie locale dans certaines circonscriptions.


    • Fergus fergus 31 juillet 2009 14:23

      Grâce à une réforme de ce type, à laquelle je suis globalement favorable, le problème de la coexistence région-départements sera de facto supprimé, l’une devenant totalement complémentaire des autres par le biais d’une répartition rationnelle des missions et par la création des conseillers territoriaux. Encore faudra-t-il être vigilant sur le mode d’élection. 

      L’insupportable du millefeuilles n’est pas là, de mon point de vue, mais dans la survivance de milliers de communes microscopiques. Or l’attrait de l’écharpe et du pouvoir symbolique qu’elle représente constitue un frein très fort, notamment dans le monde rural, à des regroupements pertinents et à plus forte raison à des fusions.


    • Paul Cosquer 31 juillet 2009 14:42

      La « survivance de milliers de communes microscopiques »  : tu viens de mettre le doigt sur mon prochain article, en préparation.


    • Paul Cosquer 31 juillet 2009 16:12

      ça y est l’article est pondu en modo. Cocorico ! Je sais, la poule ne fait pas cocorico, mais lis l’article et tu comprendras.


    • Fergus fergus 31 juillet 2009 16:33

      Je manquerai d’autant moins de le lire que le sujet m’intéresse tout particulièrement, étant originaire d’une région de montagne où ces micro-communes pullulent, et sont parfois si petites qu’il est très difficile de constituer un Conseil municipal, ou alors en faisant appel à des vieux parfois à moitié gâteux.


    • Walden Walden 31 juillet 2009 18:09

      Pour ma part j’estime que la commune constitue la base de la démocratie locale ; certes des regroupements peuvent s’avérer appropriés, mais cela devrait relever du seul choix des citoyens. Il ne m’apparaît pas légitime de l’imposer d’en haut. Des référendums locaux seraient un bon moyen d’en décider.
       
      D’autre part, le maintien des échelons départementaux et régionaux semble absurde. Avec la multiplication de fait des communautés de communes, l’échelle du département n’est plus justifiée. Des circonscriptions de cette taille avaient sans doute un sens à l’époque de leur création, quand les déplacements ainsi que le transport du courrier s’effectuait à cheval : ainsi la Préfecture n’était jamais à plus d’une journée de transport. Aujourd’hui, l’échelle régionale est bien suffisante, et par ailleurs analogue à bon nombre de types de zonage chez nos voisins d’Europe, qu’on les appelle ici provinces, ou là cantons, etc.

      Non, il y aurait un sérieux ménage à faire dans les circonscriptions, et d’une manière générale au sein de nos institutions vieillotes (la liquidation du Sénat, par exemple, autre relique cacochyme), ce que personne n’ose, le fanfaron pas davantage que les autres.


    • Fergus fergus 31 juillet 2009 19:05

      A ce détail près, Walden, concernant les communes, qu’il en existe des milliers qui comptent mois de... 100 habitants ! Des communes où le maire n’a nullement l’intention de fusionner avec qui que ce soit et où, trop souvent, il se comporte en... propriétaire parfois despotique. Rien à voir avec des villes ou des bourgs de plusieurs milliers d’habitants !


  • Michel DROUET Michel DROUET 31 juillet 2009 16:03

    à Paul Cosquer

    J’aimerai aussi avoir votre avis sur l’intercommunalité : le projet de loi propose la suppression des pays. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose. On aurait pu prévoir la fusion des intercommunalités qui sont très disparates et souvent peu peuplées (et donc relativement inefficaces) au sein des Pays (avec statut EPCI à la clé), ce qui aurait été, à mon sens, une avancée de ce projet de loi.
    Les compétences sociales qui pourraient être transférées aux nouvelles métropoles auraient alors pu être transférées également aux pays. Ce système aurait certainement facilité le fonctionnement du nouveau couple Région Département prévu dans le projet.


    • Paul Cosquer 31 juillet 2009 16:16

      Mon prochain article sur le thème de la réforme territoriale et le rapport que j’y mets en lien répondent en partie à vos questions. En partie seulement car je n’ai pas d’avis tranché sur tout ni la connaissance suffisante de tous les enjeux (vu que je passe d’un sujet à l’autre assez allègrement tel le papillon qui...oh ! hé ! stop ! OK...)


    • Céline Ertalif Céline Ertalif 31 juillet 2009 23:17

      Le Pays n’a jamais eu de vocation gestionnaire, mais c’est vrai que beaucoup d’interco sont trop petites.

      Personnellement, je ne crois pas que les réformes législatives puissent jouer un grand rôle dans la rénovation du réseau institutionnel territoriale. D’autre part, la question de la clause de compétence générale des Conseils généraux est liée au problème des micro-communes, généralement regroupées en interco elles-mêmes trop faibles. J’ai essayé d’expliquer cela ici :

      http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/la-transformation-du-paysage-54566

      Le problème du nombre de communes n’est pas toujours bien compris, faute de percevoir les disparités réelles :
      - environ 1000 communes de plus de 10 000 habitants (50% de la population)
      - environ 2000 communes de plus de 5 000 habitants
      - environ 5000 communes de plus de 2 000 habitants

      donc 32 000 communes de moins de 2 000 et environ 22 000 communes de moins de 700 habitants. Le seuil où le dernier commerce a du mal à résister... Vous pouvez vous faire une idée avec les communes que vous connaissez en regardant leur rang démographique sur http://www.annuaire-mairie.fr/
       


  • georges 1er août 2009 07:38

    la reformette balladur va sauter , comme d habitude ca va reculer de plus en plus puis plouf .. ca fait des decennies qu on sait ce qui cloche et ce qu il faudrait faire , le probleme de la France c est juste l action ..
    personnellement j ai abandonné l idée que la France et son mille feuille administratif puisse evoluer rapidement , ya trop de conservatismes, si c est pas une association ou un syndicat ce sont les deputés


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