vendredi 7 mars 2008 - par Voltaire

Représentation politique à la télé : pas mieux qu’à la radio

Après une première étude publiée sur Agoravox le 19 décembre 2007 sur la couverture des partis politiques au sein des émissions phares des principales radios, il était intéressant d’analyser comment les télévisions et internet équilibrent leurs reportages politiques, à quelques semaines des élections locales. Le constat est assez similaire à celui observé pour la radio : un fort déséquilibre persiste, mais la présentation joue aussi un rôle important dans la perception que le spectateur peut ressentir.

Les télévisions demeurent le principal média d’information politique et, donc sans doute, le plus influent. À ce titre, on pourrait espérer que la couverture des personnalités et partis politiques au sein des journaux télévisés soit la plus équilibrée possible, et suive au plus près les recommandations du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Afin de me rendre compte de la réalité de la situation, j’ai procédé à une analyse des reportages à teneur politique lors des journaux du soir de quatre des principales chaînes de télévision, qui figurent donc parmi les plus regardées. En complément, j’ai aussi regardé la couverture effectuée sur internet par deux sites très différents : Yahoo actualité et Agoravox.

La méthode

Cette analyse a été réalisée au cours du mois de janvier 2008. Cette période pré-électorale est propice à ce type d’étude : les médias disposent encore d’une grande liberté dans leur programmation (les temps de parole ne sont pas encore comptabilisés strictement par le CSA), et les sujets politiques sont nombreux. Les résultats sont donc assez représentatifs des politiques suivies par les différentes chaînes de télévision.

- les médias : j’ai choisi d’étudier les journaux télévisés nationaux du soir des quatre grandes chaînes hertziennes : TF1 (20 h 00), France 2 (20 h 00), France 3 (19 h 30) et M6 (19 h 50). Les journaux de TF1 et de France 2 sont du même format et de même durée. Celui de France 3 est légèrement plus court (environ 25 minutes contre 35), et celui de M6 assez bref (10 minutes). En raison des différences de durée, j’ai exprimé les résultats en pourcentages plutôt qu’en nombre absolu afin qu’une comparaison soit possible.

J’ai aussi analysé Le Grand Journal de Canal+ qui a régulièrement des invités politiques, mais, en raison de critères différents et de l’indisponibilité de certaines émissions, les résultats ne sont pas exprimés dans le tableau ci-dessous.

En ce qui concerne internet, j’ai choisi d’analyser deux sites totalement différents : Yahoo actualités, dans sa page politique (ce site reprend essentiellement des dépêches d’agences de presse), et Agoravox, site d’information participatif, où les articles sont fournis par les lecteurs.

- Les critères : pour les journaux télévisés, le décompte a été effectué pour tout reportage dans lequel apparaissait une personnalité politique dans un contexte de politique générale. Sauf exception, les brèves sans reportage n’ont pas été comptabilisées. De la même façon, les apparitions de responsables politiques sur des thèmes totalement apolitiques ont été écartées (par exemple, lors du décès d’une personnalité). De la même façon, les interventions ou reportages sur des personnalités politiques de très petites communes, sans étiquette et en dehors de tout contexte politique n’ont pas été comptabilisées.

En ce qui concerne internet, le titre ou le contenu des dépêches et articles ont été pris en compte pour définir la catégorie retenue.

La comparaison a été effectuée selon 6 catégories : présidence, gouvernement, majorité présidentielle hors gouvernement, Mouvement Démocrate, Parti socialiste et apparentés, autres partis politiques (FN, Verts, PC, etc.). Il est important de noter qu’un léger biais a pu être introduit en faveur de la catégorie « autres partis » en début du mois de janvier : j’ai considéré que les reportages et dépêches consacrés à la grève de la faim de José Bové, ancien candidat à la présidence de la République, pouvaient légitimement être comptabilisés. En raison d’une couverture médiatique importante, cet événement a pu accroître artificiellement le pourcentage de cette catégorie.

- La période et les données disponibles : l’analyse a porté sur la période du 1er au 31 janvier 2008. Les journaux télévisés ont été généralement analysés sur internet en mode d’avancée rapide, pour des raisons évidentes de temps disponible. Cela a pu conduire à quelques oublis de reportages extrêmement brefs, mais de façon très rare. Pour des raisons de disponibilités des journaux sur les sites des différentes chaînes télévisées, et de mes propres disponibilités, certains journaux de la fin du mois de janvier n’ont pu être analysés pour certaines chaînes, mais l’étude exprimée en pourcentages demeure largement significative. En revanche, en raison de l’absence de disponibilité du Grand Journal de Canal+ sur internet, je n’ai pas pu mener à bien une analyse complète des personnalités politiques invitées, comme je l’avais réalisée pour les émissions de radio dans mon article précédent. Pour cette raison, je ne présenterai pas ici de résultats pour cette émission, mais un simple commentaire qualitatif.

Il est important de souligner que cette analyse comporte nécessairement des éléments subjectifs, malgré mes efforts pour utiliser les critères les plus homogènes possibles. Elle n’est pas non plus totalement statistiquement significative, en raison de sa durée limitée. Néanmoins, la comparabilité des émissions, le nombre assez élevé de reportages dans les journaux télévisés, ou de dépêches et d’articles sur les sites internet, permet de tirer un certain nombre de conclusions avec un faible risque d’erreur.

Les résultats

Les résultats bruts de cette étude sont résumés dans le tableau suivant :

Sarkozy

Gouvernement

Majorité

MoDem

PS

Autres partis

TF1 20h

27

34,5 (47)

13 (17,5)

2,5 (4)

13,5 (18,5)

9,5 (13)

France2 20h

26

34,5 (46,5)

11,5 (16)

2,5 (3,5)

15,5 (21)

10 (13)

France3 19h30

23,5

29 (38)

12 (15,5)

4 (5)

25 (33)

6,5 (8)

M6 19h50

25

35,5 (47)

6,5 (8,5)

2 (3)

18 (23,5)

13,5 (17,5)

Yahoo.fr politique

33,5

24 (36)

13 (19)

1,5 (2.5)

24 (35,5)

4,5 (6,5)

Agoravox

44,5

18 (32,5)

5 (9)

7 (12,5)

19 (34,5)

6 (11)

Les résultats sont exprimés en pourcentages du nombre total de reportages, de dépêches ou d’articles. Les nombres entre parenthèses excluent le résultat de Sarkozy

L’analyse des chiffres

La première chose qui frappe à la lecture des résultats est bien sûr la surreprésentation de reportages ou articles sur des personnalités du gouvernement. À eux seuls, ils représentent environ un tiers du total, et presque la moitié si on exclut le président de la République (suivant la comptabilisation du CSA qui exclut le président). Ce résultat est très similaire à celui précédemment observé pour les invités des principales émissions politiques des radios. Ils s’expliquent sans doute par la volonté de privilégier des reportages ou dépêches « factuelles », sur les réalisations et projets du gouvernement.

Si l’on ajoute à ce pourcentage celui des représentants de la majorité hors-gouvernement, on arrive à environ les deux tiers, proportion recommandée par le CSA (mais dans un ratio plus équilibré, un tiers gouvernement, un tiers majorité, un tiers opposition). Mais si on ajoute aussi les apparitions du président de la République, le déséquilibre se creuse fortement.

Comme observé pour les radios, et si l’on exclut le cas particulier d’Agoravox, la réplique est quasi exclusivement donnée par le Parti socialiste. Les autres partis politiques demeurent donc, en dehors des véritables campagnes électorales, quasiment invisibles dans les médias. En effet, si on retire la couverture de José Bové en début du mois de janvier, les personnalités politiques des partis hors UMP et PS ne sont présentes que dans environ 10 % des reportages et dépêches.

Néanmoins, on peut aussi constater que ces résultats ne sont pas identiques suivant le média considéré. Alors que les journaux de 20 heures des deux principales chaînes concurrentes (TF1 et France 2) présentent un profil très similaire, le journal de France 3 démontre un plus grand équilibre entre majorité et opposition.

La lecture des résultats obtenus pour le site Yahoo.fr, qui tend à donner une image de la couverture médiatique des agences de presse, montre lui une sur-représentation du président de la République par rapport à son gouvernement. En revanche, la couverture du PS est, elle, nettement supérieure à celle présente sur TF1 ou France 2.

Les résultats obtenus sur Agoravox sont très différents. Il faut tout d’abord préciser que leur analyse n’a pas été chose facile. Si ce site propose de très nombreux articles politiques, peu sont réellement liés à des personnalités ou des partis, alors que les sujets politiques d’intérêt général abondent. Contrairement aux reportages des journaux télés ou aux dépêches d’agence, le classement des différents articles publiés a été plus difficile. On observe ici la vision de la politique perçue par les auteurs de ce site, qui ont manifestement un prisme de l’actualité différent des journalistes, puisqu’ils analysent en seconde intention les événements politiques. Ce qu’ils en retiennent, et qui fait l’objet d’articles, est donc assez différent de ce que les journalistes mettent en avant. On note ainsi la forte présence de Nicolas Sarkozy, qui demeure un sujet d’intérêt majeur chez le public d’Agoravox, et une représentation du MoDem plus proche de sa représentativité politique réelle. Plus généralement, on peut observer que ce site, hors président de la République, présente une distribution plus conforme au paysage politique français, bien que les articles concernant l’extrême droite soient absents.

Enfin, les résultats obtenus pour Le Grand Journal de Canal+ (19 h 15-20 h 00), que je n’ai pu présenter en détail, sont très similaires à ceux obtenus précédemment avec les émissions radio. Il est vrai que le principe est assez similaire, avec un invité politique qui dispose d’un temps de parole assez long, et est traité de façon assez identique dans chaque émission. Sur une quinzaine d’émissions regardées, la proportion d’invités des différents courants politiques a ainsi été répartie : environ la moitié de membres du gouvernement, le reste provenant soit du PS, soit de la majorité présidentielle (un seul invité MoDem, deux de l’opposition hors PS, dont José Bové).

L’analyse des contenus

Si les résultats chiffrés donnent une première idée de la façon dont les médias télévisés et internet couvrent la politique en France, ceux-ci ne sont pas suffisants pour évaluer leur impact réel. En effet, la façon dont sont présentés les reportages, leur mise en scène, leur contenu, la présence ou nom de débat ou reportage contradictoire, influe nécessairement sur leur impact.

L’analyse des contenus est nécessairement subjective. Faute de temps, il ne m’a pas été possible en effet d’élaborer une méthode rigoureuse d’évaluation des contenus. Néanmoins, voici pour chaque média l’impression qui se dégage de façon globale :

· Pour TF1, les reportages sont quasi uniquement positifs ou neutres à l’égard des personnalités présidentielles ou gouvernementales. Le journaliste ne fait en général pas d’analyse personnelle, et les reportages contradictoires sont quasi inexistants.

· Pour France 2, les reportages sont parfois plus critiques, le journaliste présente parfois des éléments contradictoires, mais les reportages contradictoires sont rares.

· Pour France 3, les reportages (quel que soit le sujet) sont plus critiques, et surtout la grande majorité des sujets à teneur politique fait l’objet d’un « droit de réponse », par l’intermédiaire d’un contre-reportage (parti opposé, syndicat, etc.) ou par une explication du journaliste qui replace le sujet dans son contexte contradictoire.

· Pour M6, les reportages sont le plus souvent neutres, faisant parfois l’objet d’un commentaire du journaliste, mais, sans doute faute de temps, les contre-reportages sont absents.

· Les nouvelles présentées dans yahoo.fr sont des dépêches d’agence, sans contexte ni commentaire. Seul le choix de présentation des dépêches influe sur l’impression générale.

· Sur Agoravox, l’immense majorité des articles politiques rattachés à des personnalités ou des mouvements politiques présente un caractère négatif, c’est-à-dire commente de façon négative l’action de tel ou tel. Les articles de promotion, ou même d’information, sont rares. La critique domine.

Conclusions

Cette étude effectuée au mois de janvier 2008, corrobore largement celle effectuée en novembre 2007 sur les principales radios. Elle révèle une couverture médiatique très largement en faveur du gouvernement, effet encore accentué quand le chef de l’État est pris en compte. Elle confirme aussi la très forte sous-représentation, en dehors des campagnes électorales, des partis en dehors du PS et de l’UMP par rapport à leur représentation politique dans le pays. L’exemple le plus frappant est sans doute celui du Front national, quasi absent, mais le MoDem est lui aussi très peu présent.

Il a néanmoins été intéressant de constater une certaine hétérogénéité dans ces résultats entre les différents médias, surtout quand la tonalité des reportages est prise en compte. A cet égard, la couverture politique effectuée par France 3 mérite d’être signalée : si les chiffres en termes de nombre de reportages ne diffèrent pas de façon très importante avec ceux des autres chaînes, le traitement de l’information est lui beaucoup plus conforme à celui que l’on peut attendre d’un média neutre : la présence d’un « droit de réponse » quasi systématique, dans lequel un point de vue opposé à celui du premier reportage est proposé, et ce sans préférence partisane, est à souligner.

Enfin, on constate aussi une différence notoire de couverture politique sur les sites internet, qu’il s’agisse de site d’information brute (yahoo.fr) ou d’analyse (Agoravox), qui peut permettre au citoyen d’obtenir une vision différente de celle proposée par les principales chaînes de télévision.



8 réactions


  • Voltaire Voltaire 7 mars 2008 10:31

    Mes excuses pour les débuts de paragraphes tronqués dans la partie sur l’analyse des contenus (et pour les coquilles restantes), j’ai signalé le problème...

     


  • Bulgroz 7 mars 2008 12:12

    Intéressante étude et beau travail, Voltaire.

    Cependant, elle pourrait induire une erreur de lecture en mélangeant intervention et promotion.

    Je m’explique : Vous dites :

    "On note ainsi la forte présence de Nicolas Sarkozy, qui demeure un sujet d’intérêt majeur chez le public d’Agoravox"

    Effectivement, 44,5% des interventions sont relatives à Sarkozy (et 18% pour le gouvernement). Oui, d’accord, mais c’est exclusivement pour lui casser du sucre.

    Car sur Agoravox, si on parle de Sarkozy c’est exclusivement pour lui baver dessus. N’est ce pas ?

     


    • Voltaire Voltaire 7 mars 2008 12:39

      Comme je l’indique dans mon article, l’essentiel des articles qui concerne des personalités "politiques" sur Agoravox sont critiques. S’il est donc exact que les critiques du président de la république sont les plus nombreuses, la majorité des autres articles sont aussi négatifs. Cela semble changer quand on s’approche d’une élection, dans la mesure où plus d’auteurs tentent de passer des messages de soutien, ou au moins des analyses plus neutres. Néanmoins, même en cette période pré-électorale, on retrouve une majorité d’articles critiques.


  • La Taverne des Poètes 7 mars 2008 14:30

    7 (12,5) Pour le MoDem : Contrairement à ce que prétend Lerma dans ses commentaires injurieux ("pétainiste" ! etc.) dont il inonde les forums, on ne parle pas trop du MoDem sur Agoravox. Mais dans une proportion juste par rapport à l’électorat. C’est juste la Taverne des poètes qui en parle beaucoup !


    • Voltaire Voltaire 7 mars 2008 14:58

      Effectivement j’ai été surpris de ce score modeste, alors qu’Agoravox est parfois représenté comme un repère de "Modémistes"... Comme la majorité des sites de ce type, Agoravox est largement fréquenté par les CSP+ (catégories sociaux-professionnelles élevées, plutôt de professions intellectuelles), dont le positionnement politique est plutôt centré sur le centre-gauche de l’échiquier politique. Les articles se répartissent donc logiquement suivant une courbe de Gauss autour de cet axe, les extrêmes étant les moins présents.


  • stephanemot stephanemot 7 mars 2008 19:02

    Je regrette les joutes Barbier - Zemmour sur i-Tele.

    Depuis qu’il a rejoint Bouygues, le premier se contente de flagorner le Prince et d’interviewer sa Princesse.

    Depuis qu’il joue au ping pong avec Domenach, le second voit son jeu s’étioler et son esprit ralentir.

    Pendant ce temps, lassé de taper sur Bush, Sharon et leurs successeurs, Vincent Hervouët s’endord et nous avec.

    Tant que le débat porte sur le ton du président ou le look de madame, il n’y a guère de risque que ça s’anime. Le jour où on mettra les vrais sujets sur la table (la république, la laïcité, l’équilibre des pouvoirs...) on en reparlera.


    • Voltaire Voltaire 9 mars 2008 14:04

      La représentation du FN dans les média est effectivement très faible, et très largement inférieur à sa représentativité politique. Comme pour le MoDem, on est là face à un problème démocratique.


  • Nemo 11 mars 2008 11:05

    La représentation du Modem dans les médias est au contraire bien au dessus de son réel poids dans l’électorat : 3,69% au niveau national pour les municpales. Moins que Besancenot aux présidentielles, à peine autant que Voynet. Au lieu de plkeurnicher, vous feriez mieux de vous construire une ligne politique claire.

    Aujourd’hui vous léchez les bottes de la gauche, vous soi-disant si indépendants (sauf quand il s’agit d’aller à la soupe).

    Vos scores ridicules sont à la mesure de votre influence réelle : insignifiants.


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