mercredi 18 décembre 2019 - par Laurent Herblay

Retraites : la majorité tente de diviser pour mieux détruire

La réforme des retraites promettait d’être un moment difficile pour cette majorité arc-boutée sur son bloc élitaire, sourde aux classes populaires, arrogante et donneuse de leçons, surtout après la fronde des Gilets Jaunes qui a révélé que son profond rejet est majoritaire. Mais à tout cela, les marcheurs ont ajouté amateurisme et communication effarante, comme le montre la démission de Delevoye.

 

Les sous-doués oligo-libéraux charcutent nos retraites
 
Bien sûr, l’Elysée espère probablement que le mouvement de grêve s’éteindra de lui-même, peut-être après avoir conclu un accord avec la CFDT, et il est vrai que les grévistes n’auront pas forcément les moyens de poursuivre leur mouvement longtemps. Mais le rejet tellement viscéral que la macronie provoque représente aussi un terreau fertile pour une contestation plus dure et longue qu’attendue. Le corps social est hautement inflammable et les intimidations contre des élus marcheurs, ou leur famille, aussi critiquables soient-elles, sont révélatrices d’un climat explosif. Pire, on ne peut pas dire que la majorité le gère bien, même ses soutiens médiatiques habituels relevant sa mauvaise gestion.
 
D’abord, les déclarations contradictoires de la majorité, du président à la porte-parole du gouvernement, rendent la réforme à la fois peu lisible et suspecte. L’âge pivot, pourtant remis en cause à un moment par Macron, est-il un gage de sérieux, difficile à abandonner pour la droite austéritaire et anti-sociale qu’est cette majorité, ou une monnaie d’échange destinée à être abandonnée dans un grand théâtre  ? Entendre la porte-parole du gouvernement se tromper sur le mécanisme du bonus-malus le lendemain des annonces en dit long sur le niveau de cette équipe. Et que dire des différentes activités que Delevoye avait omis d’indiquer, qu’il est effarant de découvrir à ce stade et dont l’illégalité donne un sentiment de conflits d’intérêt, de légèreté et de manque de professionnalisme de parts et d’autres.
 
La présentation du projet était assez extravagante. Pour le coup, certains humoristes ont vu juste, notant le ton social du Premier ministre, combiné à un discours sur la responsabilité, dans un « en même temps » très macronien. Mais cette équipe n’a aucune crédibilité sociale. Les 1000 euros de retraite minimum sont un progrès limité, qui avait déjà été voté en 2003 mais non appliqué, et les conditions prévues en limiteraient largement l’impact. Les régimes spéciaux représentent un bouc émissaire commode, mais on peut aussi contester le principe même d’un régime taille unique pour des emplois très différents. En outre, cela ne bouleversera pas les équilibres, et surtout cela permet aussi d’habiller un recul global des prestations d’un discours de « justice » néolibérale, d’alignement par le bas…
 
Car comme le note bien Henri Sterdyniak, cette réforme consiste d’abord à une réduction des droits par un allongement de la durée de cotisation. Cela pourrait éventuellement se défendre, mais l’habillage et la complexité du système rendent le tout suspect. En outre, le gouvernement semble prêt à réinstaurer des régimes spéciaux quand une population clé s’oppose, comme nous l’avons vu avec les policiers, pour qui ce gouvernement, qui en a tant besoin, a rapidement cédé. Et dans le cas d’une profession comme celle des professeurs, cela provoque une très juste révolte, étant donné que cette profession est déjà particulièrement mal traitée, comme le montrent toutes les études internationales. Enfin, il faut noter, comme Piketty, que cette réforme sort du cadre commun les revenus au-delà de 10 000 euros par mois, probablement pour faire de la place aux régimes de retraite par capitalisation…
 
Plus globalement, le discours financier est battu en brèche par certains économistes, Henri Sterdyniak ayant souligné que les hypothèses du COR sont contestables  : baisse du nombre de fonctionnaires (alors qu’il en manque dans bien des domaines), non compensation de certaines exonérations de cotisations, allant jusqu’à parler de « déficit imaginaire et fabriqué  »… En outre, il faut noter qu’à partir de 2024, la dette de la Sécurité Sociale, financée à hauteur de 24 milliards par an par la CRDS, sera remboursée, ce qui libèrera ces sommes dont une partie pourrait être utilisée pour le financement de la Sécurité Sociale. En outre, il y a des moyens de sortir de la logique de baisse des prestations, que ce soit par la réduction de notre déficit commercial ou la refonte des moyens de financement (TVA sociale).
 
Au global, cette réforme porte trop de stigmates pour calmer la contestation. Comme avec les gilets jaunes, le président voudra tourner la page avec quelques concessions, en pariant sur l’épuisement du mouvement. Mais ce pari pourrait être optimiste. En n’appliquant la réforme que pour les générations nées à partir de 1985 pour les conducteurs, elle n’en concerne que 22%, (contre 39% des agents, ceux nés à partir de 1980) et malgré tout, la mobilisation dépasse largement le cadre de ceux qui sont concernés car les manifestants et grévistes se mobilisent pour les autres. En somme, Macron fait le pari de l’égoïsme, mais des personnes qui n’ont rien à perdre sacrifient leur salaire pour protester contre la réforme. Ce faisant, contrairement aux dires des éditorialistes en marche, ceux qui se mobilisent aujourd’hui le font souvent pour défendre les intérêts des autres, l’intérêt général en somme, malmené par Macron.
 

 

Merci donc à vous tous qui vous mobilisez aujourd’hui contre cette mauvaise réforme, décalque paresseux de la grande régression sociale produite par la globalisation et qui sévit dans les pays pourtant dits développés, qui ne se rendent même pas compte que cela déconstruit leur développement. Macron compte sur l’usure pour gagner mais son comportement et celui de son équipe est tellement détestable qu’il aurait tort de sous-estimer la mobilisation qu’il peut susciter contre lui. Comme le dit Natacha Polony dans Marianne, le problème dans cette crise, c’est Macron.


10 réactions


  • jmdest62 jmdest62 18 décembre 2019 11:22

    Merci pour ce billet

    Juste pour complément d’info

    Au sujet de la CFDT et de Laurent Bergé

    Au sujet du nouveau « Monsieur Retraites »

    @+


  • Francis, agnotologue JL 18 décembre 2019 11:59

    Il y est écrit :2015 : AGIRC-ARCCO quand Laurent BERGER n’avait pas de ligne rouge !

     

     Et pour cause, puisque, implicitement, le piviot malus / bonus était implicitement l’âge légal de départ.

     

    Les politiciens utilisent des faits vrais pour en faire des mensonges, et les bonnes idées pour en faire des pièges à cons.


  • Captain Marlo Fifi Brind_acier 18 décembre 2019 12:48

    Le problème, c’est Macron.

    Pas du tout, le problème, c’est notre appartenance à l’ Union européenne.

    Macron, c’est juste le petit gouverneur de la Province France, chargé de faire ce qui arrange le Médef, qui rêve depuis 1845, de détruire tous les acquis du CNR.

    Si l’UE n’avait pas existé, il l’aurait inventée, c’est d’ailleurs ce qu’il a fait, avec l’aide des Américains !

    .

    Ce sont les fonctionnaires européens qui rédigent la feuille de route pour la France, ce sont eux, les vrais maîtres de la France.


    • Kapimo Kapimo 20 décembre 2019 06:04

      @Fifi Brind_acier

      Disons que Macron apporte une surprenante couche d’arrogance et de narcissisme, qui se traduit par des violences que l’on n’oserais pas imaginer dans les autres pays de l’UE.
      Il est clair que l’UE est le relais des globalistes et donc notre problème premier, mais on doit reconnaitre que Macron rajoute des problèmes liés à sa personnalité immature et à sa méconnaissance du pays qu’il dirige.


  • André Martin 18 décembre 2019 17:11

    On n’a pas fini de découvrir les entourloupes qu’ils essaient de nous dissimuler. Par exemple : au-delà de 120.000 € de salaire annuel le taux de cotisation serait limité à 2,8% ... sans acquisition de points. Il s’agit a priori d’un petit geste de solidarité. Sauf que, actuellement les cadres à haut salaire cotisent à l’AGIRC jusqu’à 26 400 € mensuels (8 fois le plafond de la Sécurité Sociale). Avec la réforme, ils contribueront énormément moins au financement collectif des retraites. Autant d’argent économisé pour souscrire individuellement à des fonds de retraites par capitalisation ... avec les incitations financières de la loi Pacte (financées par le contribuable !). Comme très bien expliqué dans Loi Pacte : quelle réforme de l’épargne retraite ?


  • ribouldingue ribouldingue 18 décembre 2019 19:50

    Certes, le roitelet de l’Élysée espère que les leaders syndicaux réformateurs plient face aux chants des sirènes, notamment sur l’âge pivot et le pourrissement du mouvement face à la grogne des clients de la sncf et de la ratp. Seulement voilà, un hic se profile en cas d’entourloupe des leaders de la cfdt et de l’unsa qui n’ont sûrement pas oubliés le désengagement massif de leurs militants de base pour venir gonfler les rangs de la cgt suite aux accords signés avec fillon sur la réforme des retraites de 2003. Le pingouin de l’Élysée était encore sous les jupons de sa maman. Aujourd’hui encore, les bases cheminotes et de la ratp du syndicat cfdt et de l’unsa ne sont pas prêtes de lâcher leurs régimes spéciaux surtout après avoir usé leurs semelles sur le pavé depuis 15jours et les pertes de salaires qui vont avec. Il serait très dangereux pour le berger et escure les deux leaders syndicaux réformateurs de faire un enfant dans le dos des militants cheminots et ratp en signant comme des carpettes tout et n’importe quoi. Quant aux pertes de salaires des grévistes, il y a toujours des solutions et des moyens de faire des appels aux dons via les réseaux sociaux et des caisses de soutiens des militants pour les camarades en grève. A votre bon cœur mesdames messieurs les citoyens… Ce mouvement concerne tous les citoyens. Les jeunes, les salarié(e)s, les vieux. Selon un sondage promulgué aujourd’hui 57 % des citoyens soutiennent toujours la grève !


  • GerFran 18 décembre 2019 20:03

    C’est la Commission européenne qui demande à la France, la réforme des retraites : 

    Page 5/9 : (10) Actuellement, 37 régimes de retraite coexistent en France. Ils concernent des catégories de travailleurs différentes et fonctionnent selon des règles qui leur sont propres. Une uniformisation progressive de ces règles améliorerait la transparence du système, renforcerait l’équité entre les générations et faciliterait la mobilité de la main-d’œuvre. Une harmonisation des règles de calcul contribuerait également à une meilleure maîtrise des dépenses publiques.

    Si les réformes des retraites déjà adoptées devraient réduire le ratio des dépenses publiques de retraite à long terme, un système des retraites plus simple et plus efficient générerait des économies plus importantes et contribuerait à atténuer les risques qui pèsent sur la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. Selon une étude récente, l’alignement de différents régimes de retraite des secteurs public et privé réduirait de plus de 5 milliards d’EUR les dépenses publiques à l’horizon 2022.

    Commission européenne : RECOMMANDATION DU CONSEIL concernant le programme national de réforme de la France pour 2018.

    Bruxelles, le 23.5.2018

  • [email protected] 18 décembre 2019 23:45

    sourde aux classes populaires

    ou sourde aux corporatismes etatiques

    car chez nous le privé on a déjà tout perdu, donc la reforme de Macron est en fait plutôt une bonne chose

    On est con mais tous les matins on prend notre médicament marqué pour les cons dessus alors on sent que entre nos deux oreilles il se développe un truc bizarre


  • André Martin 20 décembre 2019 15:32

    "C’est plus rentable d’investir dans la grève que dans les fonds de pension » ... Démonstration  


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