Riposte Laïque : des apéritifs au goût douteux
Après l’apéritif « saucisson - pinard » de cette été, nous aurons donc droit en septembre à un « apéritif républicain » au cours duquel chacun pourra amener son bonnet phrygien et son pique-nique « constitué de produits du terroir français ». Gageons qu’on y trouvera force cochonnaille et fort peu de couscous. L’objectif de l’opération est d’ailleurs de « dire non à la charia », ce qui, dirons certains mauvais esprits, témoigne d’une conception quelque peu réductrice de la laïcité.
Cette charmante petite sauterie est organisée par Christine Tassin, ancienne membre du MRC passée à Debout la République, le Parti de Nicolas Dupont-Aignan, parti qu’elle a récement quitté pour fonder sa propre organisation : Résistance Républicaine. Ce groupe, qui n’est heureusement qu’un groupuscule, affirme dans son manifeste se réconforter « en voyant que nous sommes de plus en plus nombreux à refuser la société que veulent nous imposer des politiques, des associations prétendument droitdelhommistes, de fumeux idéalistes à l´abri dans leurs ghettos dorés, des barbares imposant leur loi dans les territoires perdus de la République quand ce ne sont pas des voyous et délinquants en tous genres souvent islamisés, » et veut « passer à l´action, par des actes de résistance » puisque « les politiques, complices de l´offensive islamique » ne font rien.
Il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour deviner qu’il ne fera pas bon être musulman dans la République Résistante.
Derrière Résistance Républicaine, pour l’instant assez ectoplasmique, ce que l’on trouve c’est la mouvance Riposte Laïque. Ce journal en ligne, fondé en 2007 commence à être connu, même en dehors du petit cercle des amateurs de groupuscule et des antifascistes. Il est né d’une scission au sein de la rédaction d’un autre journal en ligne : Respublica. On était alors en pleine affaire Fanny Truchelut. Pour ceux qui ne s’en rappelle pas, cette habitante des Vosges avait refusé l’accès aux parties communes de son gite à des clientes voilées. La plupart des militants laïques, qui savent faire la différence entre laïcité et discrimination, avaient refusé de la soutenir. Certains, autour de Pierre Cassen, ont décidé de mêler leur voix à celles de l’extrême-droite villieriste, ont quitté la rédaction de Respublica et créé un autre journal en ligne, Riposte Laïque, pour populariser leurs vues.
Fanny Truchelut a été condamnée à deux mois de prison avec sursis et 6.000€ de dommages et intérêts, a tenté de créer une association puis a largement disparu de la scène publique. Riposte Laïque, elle a continué sa dérive vers les franges les plus putrides de l’extrême-droite. On y est passé assez vite d’une laïcité alibi à une islamophobie décomplexée. On y a fustigé « la France des Mosquées » où « les maires se bousculent pour être les chevaliers servants de l’islam » (Maurice Vidal dans le numéro 86). On y a dénoncé l’« enclave musulmane » de Barbès (16 novembre 2009) avant de défendre, en janvier 2011, sous la plume de Gérard Couvert, la colonisation qui aurait libéré les populations algériennes de « du triple joug de la féodalité, de la théocratie et de la misère intellectuelle ? » On y a enfin défendu, à de multiples reprises, le populiste néerlandais Geert Wilders, ultra-libéral admirateur de Margaret Thatcher et disciple de Frits Bolkestein (oui, celui de la directive) mais islamophobe forcené, ce qui, aux yeux des rédacteurs de riposte laïque compense plus que largement son indifférence à la question sociale.
Et dire que ces gens étaient des trotskystes.
Cette dérive doriottiste, pour reprendre l’expression d’un Mohamed Sifaoui peu suspect de sympathies intégristes, ne pouvait que se terminer dans la fange. Celle-ci a, en l’occurrence, pris la forme du Local, le bar associatif tenu par Serge Ayoub, plus connu des initiés sous le nom de Batskin – en référence à la batte de baseball qu’il utilisait quand il était le leader des skinheads parisiens. Riposte Laïque y a participé le 18 mars 2010 à une « rencontre » où se sont pressés le ban et l’arrière-ban de l’ultra-droite parisienne. Pierre Cassen y a prononcé un discours intitulé "Défendre la laïcité en 2010". Il faut croire qu’il a été apprécié puisque dans le numéro suivant de Riposte Laïque Christine Tassin s’est fendue d’un article encensant le public, « au look de respectables pères et mères de famille, quelques personnes du troisième âge et quelques jeunes gens, parfaitement propres sur eux et même coiffés, sans épingles à nourrice dans les sourcils » et Serge Ayoub lui-même, avant de finalement avouer qu’elle a « u aussi du plaisir à me sentir en sécurité, entre personnes de bonne compagnie, dans un lieu tenu par des gens dont on sent "qu’ils en ont", capables de ne pas se laisser faire, capables de mettre de l’ordre dans leur bar et d’imposer le respect de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font, quitte à faire le coup de poing s’il le faut. »
Est-il utile de rappeler que Batskin a été le leader d’un « club de supporters » nommé le Pit-bull Kop et le fondateur en 1987 des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR).
On comprend mieux l’ahurissante alliance qui a aboutit au fameux apéritif « saucisson - pinard ». Ce n’est en effet pas à l’extrême-droite « installée » - on n’ose pas dire responsable – que s’est associée Riposte Laïque, mais au Bloc Identitaire de Fabrice Robert. Ce groupuscule, qui s’est fait connaître par des distributions de soupes au cochons dans les rue des grandes villes française a été créé en 2003 suite à la dissolution d’Unité Radicale (le groupuscule de Maxime Brunerie). Le Bloc Identitaire a pour modèle la Ligue du Nord italienne mais héritier d’une longue tradition idéologique remontant au Waffen SS Saint-Loup et caractérisée par un refus du métissage, un nationalisme européen intransigeant et un attachement forcené aux « patries charnelles ». Naturellement, suivant en cela leur principal idéologue Guillaume Faye, auteur de La Colonisation de l’Europe. Discours vrai sur l’immigration et l’Islam et qu’Alain de Benoist lui-même qualifie d’extrémiste, ils sont viscéralement islamophobe.
Comme quoi on peut s’accommoder avec la République dés qu’il s’agit de lutter contre « l’islamisation ».
Les soutiens de l’apéritif républicain de septembre sont différents mais guère plus appétissants. On y trouve, bien sûr les chevaliers blancs de l’islamophobie : Bivouac-ID et SITA, deux sites « résistants » issus de la première génération du web anti-musulman, celle de France-Echo et de SOS Racailles. On y trouve aussi, et c’est révélateur de la dérive des ultra-laïcistes, des néo-conservateurs à la française : Drzz.info, Résilience TV ou le Free World Academy. Sur le site de ce dernier organisme on trouve, sous la plume de Claude Reichman, un article intitulé : La Securite Sociale Ruine Les Français. Cela en dit long sur la fibre sociale, ou même vaguement républicaine de ce courant. On y trouve enfin des souverainistes comme le Rassemblement pour l’Indépendance de la France de l’ancien Villieriste Paul-Marie Couteaux
En fait tout ce qui unit ces braves gens, c’est la haine des musulmans et leur refus de les voir bénéficier des mêmes droits que les autres.
La véritable laïcité consiste à laisser à chacun le droit de choisir sa religion – et donc éventuellement de choisir l’Islam – et de la pratiquer en paix – et donc de disposer de mosquées comme d’autres disposent d’églises et d’éventuellement d’occuper l’espace public comme d’autres ne se gênent pas pour le faire à Chartres, Lourde et ailleurs. Elle consiste surtout à dire que l’identité n’a rien à voire avec la religion et que si l’église de Quimper était remplacée par une mosquée, ou un cercle wiccan, cela changerait sans doute la culture bretonne mais ne changerait rien à sa bretonnité.
Y aura-t-il des « apéritifs républicains » en Bretagne ? J’espère bien que non, ne serait-ce que parce qu’apporter des « produits du terroir français » à Lannion ou Quimper relève quelque peu de l’oxymore. Nous savons ici que si les religions n’ont rien à faire dans la gestion des affaires de l’État elles ont leur place dans le débat public, comme n’importe quel autre courant de pensée. Nous savons aussi que la religion d’un homme c’est son affaire et qu’être musulman, wiccan ou metalleux adorateur de Thor n’empêche pas d’être un bon père de famille et un bon voisin.
Si par hasard, cependant, ces manifestations et l’idéologie nauséeuse qu’elles propagent devaient essayer de s’installer à Nantes, Rennes ou Brest, il serait du devoir de tout démocrate de leur faire barrage. Pour ma part, je m’y emploierais.