samedi 12 mai 2018 - par Bertrand Loubard

Rwanda, Paul Kagamé, Judi Rever ... et après ? (2/2)

Le livre de Judi Rever : « The Praise of blood. The crimes of the Rwandan Patriotic Front. Ed. Random House Canada, © 2018 suscite pas mal de réactions. Dans mon billet précédent sous l’URL [1] : https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/rwanda-paul-kagame-judi-rever-et-204101, j’avais essayé d’analyser la réaction très critique de M. Dupaquier de l’association Survie.

 

J’annonçais qu’il y avait énormément d’autres réactions sur la toile, comme tout un chacun pouvait le constater en « tapant » simplement « Judi Rever » dans un moteur de recherche et en limitant cette recherche, ne fût-ce, qu’à la dernière semaine.

Je voudrais simplement maintenant commenter quelques-uns des résultats de ma recherche.

 

1 - Des accords de paix d’Arusha au tribunal d’Arusha, Museler l’histoire 23 ans plus tard - Décembre 21, 2017 - Nicoletta Fagiolo[2] (en français)

https://www.free-simone-and-laurent-gbagbo.com/single-post/2017/12/21/Des-accords-de-paix-d%E2%80%99Arusha-au-tribunal-d%E2%80%99Arusha-Museler-l%E2%80%99histoire-23-ans-plus-tard

Cet article rédigé avant la sortie du livre de Judi Rever reprend une synthèse très complète de l’approche de la problématique du « Génocide des Tutsis du Rwanda ». Sont cités quasi tous les noms de toutes les personnes impliquées dans des prises de position pro ou anti « Génocide-comme-complot, ourdi de longue date par les génocidaires (condamnés à Arusha), etc. » (AOC). Les faits sont exposés. Les causes sont expliquées suivant les auteurs. L’analyse de ces faits et de leurs causes est effectuée d’une manière extrêmement bien structurée, complète, exacte et précise. Le texte est concis et les références nombreuses. Comme pour le livre de Judi Rever, Nicoletta Fagiolo insiste sur le fait de la réalité du génocide, et il faut donc se réjouir qu’on puisse commencer à s’en référer, enfin, à des documents déclassés ou « fuités » de l’ONU, du TPIR et de l’UN Human Right Commission à Genève, sans être traité de révisionnisme.

Citant le « classique des classiques » d’Alison Des Forges sur le Rwanda 1994 (Leave None to Tell the Story) Nicoletta Fagiolo souligne qu’il se réfère à l’ouvrage d’African Rights « Death Despair and Defiance[3] » 42 fois ; ce qui, pour elle, serait une indication des biais auxquels Alison Des Forges aurait apporté son support à la « commission » du « Livre Jaune » (Bible du TPIR) de l’ONG, liée au FPR dès avant septembre 1994 ( !).

Christophe Gargot, Sylvie Lindeperg et Thierry Cruvellier avaient, déjà en 2011, produit et réalisé un film qu’ils avaient, eux aussi, intitulé : « D’Arusha à Arusha – Expérience de diplomatie judiciaire » » en 2011[4]. Voire le DVD et lire le livret qui l’accompagne sont des compléments indispensables à l’article de Nicoletta Fagiolo. Ils y reprennent, entre autres, concernant Alison Des Forges, l’« anecdote » suivante

« Selon Des Forges, Bagosora était en charge de la défense civile mais était aussi son architecte. La chercheuse américaine tirait son analyse des annotations retrouvées dans l’agenda de l’accusé et d’une autre source qu’elle n’a pas révélée au tribunal. Officiellement, il n’existe pas d’agenda complet de Bagosora, ni d’original. Le FPR l’a gardé et n’a donné que la copie d’extraits à Des Forges qui l’a elle-même transmis au Procureur. .... Les juges, impuissants à exiger le document dans son intégrité, concluent que les trous n’apparaissent pas décisifs ....... et les juges ne peuvent suivre Des Forges dans le secret de son intuition  »

On peut aussi faire un parallèle intéressant ave le documentaire : « De Nuremberg à Nuremberg » que Frédéric Rossif et Philippe Meyer avaient réalisé en 1985. (Ce documentaire n’a été diffusé qu’en 1988 !!![5]).

Nicoletta Fagiolo ne mentionne pas explicitement Dallaire, le Commandant de la Minuar à Kigali de novembre 1993 à août 1994. De même, Judi Rever n’évoque Dallaire que pour dire qu’il a demandé en août 1994 sa relève de son commandement pour ce qui a été diagnostiqué par après comme un PTSD (Post-traumatic stress disorder). Dallaire lui a refusé toute interview.

Tout cela pour établir des liens quant aux modes de diffusion des éléments factuels qui façonnent l’histoire : comment aborder les réalités des génocides à travers des contingences politiques, rédactionnelles et surtout financières.... ? En écrivant, Judi Rever et Nicoletta Fagolio participent à l’émergence de la vérité.

 

Pour suivre deux autres articles récents :

 

2 – “Canada’s Romeo Dallaire : Promoting Africa’s Most Bloodstained Ruler, Paul Kagame - May 3rd 2018 - Yves Engler

https://dissidentvoice.org/2018/05/canadas-romeo-dallaire-promoting-africas-most-bloodstained-ruler-paul-kagame/

Ce journaliste canadien, assez polémiste et critique vis-à-vis de la politique canadienne tant intérieure qu’internationale s’est intéressé depuis longtemps à la problématique liée à l’histoire du Génocide des Tutsis du Rwanda. Il s’en est toujours pris assez farouchement au Général Dallaire. Dans cet article du 3 mai 2018, il souligne que Judi Rever ne « critique » pas de front la Chef de la Minuar à Kigali, en 1994, au moment du Génocide. Il suggère que la raison de cette retenue chez Judi Rever est due au fait qu’au Canada, on ne peut pas toucher au « conte de fée Dallaire » ... Ce qui est bien possible et ne présage rien de bon pour la publication, en français, du livre de Judi Rever.

C’est à l’occasion de la première à Chicago, en présence de Kagamé et de Dallaire, d’un film[6] de propagande pour le Rwanda selon Kagamé[7] (et non de promotion touristique) que, pour Yves Engler, Roméo Dallaire s’est, une fois de plus, positionné en ardent promoteur du dictateur rwandais. Il faut voir les images idylliques de lancement de ce document dithyrambique et s’interroger sur la réalité de ce qu’il veut représenter[8]. Par exemple : y est-il fait allusion à la clôture électrique ceinturant le parc de l’Akagera (soi - disant pour que les lions n’aillent pas manger les vaches des pasteurs du voisinage) ?

Ce qui est étonnant c’est que malgré une critique très vive et sans doute justifiée de Dallaire, Yves Engler ne semble pas vouloir considérer sa personne dans la complexité de toute sa dimension humaine. En effet, Dallaire, au Rwanda, a sans doute été victime de la Méfloquine [9]. Devant une commission d’enquête militaire sur les effets de cette prophylaxie antipaludique, il a déclaré avoir vu ses capacités intellectuelles et son intégrité mentale gravement perturbées[10] [11] lorsqu’il était en charge du commandement de la Minuar à Kigali. Ce qui est pour le moins interpellant.

La thérapie qu’il a dû suivre après (au moins) une tentative de suicide a porté sur les soins généralement apportés aux victimes des PTSD ..... Mais les questions se posent de savoir si Dallaire, souffrait réellement de PTSD ou s’il ne pouvait plus sortir du rôle dans lequel il s’était enfermé durant sa mission au Rwanda lorsqu’il avait déjà, semble-t-il, pris fait et cause pour le FPR. (Théorie du « But Conscient et de l’Anorexie Mentale », suivant Bateson)

 

3 – Politics or Pragmatism ? The International Criminal Tribunal for Rwanda and the Burying of the. Investigation into the Assassination of President Juvénal Habyarimana. Luc Reydams

Human Rights Quarterly May 2018- SSRN – id2928946.pdf -

https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2928946

J’ai acquis le livre de Judy Rever le 6 avril 2018, par hasard le jour du 24 anniversaire de l’attentat contre l’avion d’Habyarimana. J’ai « commis » mes trois premiers papiers les 19, 27 avril et 7 mai. Dans l’article de Nicoletta Fagiolo (ci-dessus) de décembre 2017 j’ai trouvé la référence à l’article de Reydams qui à l’époque était prévu pour paraître en mai 2018. C’’est chose faite aujourd’hui, accessible sous forme d’un draft PDF (à l’URL ci-dessus). Dans son livre Judi Rever ne pouvait pas encore faire référence à cet article paru il y a quelques jours à peine dans le trimestriel Human Rights Quarterly.

Il faut absolument lire ce document de 22 pages comportant 79 notes de bas de page et de nombreuses références. Ce texte est particulièrement dense et surprenant par sa rigueur et par le fait que l’auteur a eu des entrevues directes avec des acteurs de tout premier plan.

“My investigation is based on interviews or email correspondence with former United States Ambassador-at-Large for War Crimes Issues David Scheffer, former United States National Security Advisor Anthony Lake, former UN Under-Secretary-General for Legal Affairs Hans Corell, former ICTR investigator and commander of the ‘national team’ Jim Lyons, and the person most directly concerned, former ICTR Chief-Prosecutor Louise Arbour. I sincerely thank them all for their willingness to dig into their memories and, in one case, even archives. Michael Hourigan, the author of the affidavit, passed away in 2013 and could not be interviewed. Former UNSG Kofi Annan declined to comment ».

Ce serait trop long de tout reprendre ici mais il semble bien que les tournures particulières de certaines phrases révèlent, peut – être, la prudence de l’auteur à suggérerr des réponses à des questions (qui semblent des « détails », mais .... !) qui parfois pourraient tendre à mettre en doute la sincérité de « témoins » officiels .... par exemple à la page 16 de l’article, Louise Harbour dit :

“We discussed the evidence, Hourigan’s professional standing with his colleagues, and the jurisdiction of the tribunal. Hourigan’s informants, it appeared, had approached him in a bar” Or, l’auteur, dans sa note de bas de page n °52 écrit : “Jim Lyons[12] challenges this point : ‘Mike did not develop the informants and never spoke to them in a bar. Amadou Deme developed these witnesses. While you could usually find me in the American Club after working hours, Mike did not drink. Unusual for an Aussie cop I know’. (Email to author, 7 February 2017)

J’avoue que comme d’habitude, pour un tel article, je lis d’abord l’« Abstract », ensuite le « Contents », l’« Introduction » et la « Conclusion » avant de m’atteler au texte lui-même. Mais mainteant, je crois qu’il faut aller au texte lui-même, directement. Les contenus de l’abstract, de l’introduction et du résumé sont assez « différents » (dans les détails significatifs) du corps du texte lui-même. L’exemple ci-dessus illustre cette question de détail. Il serait donc à se demander si l’auteur n’a pas tenté de noyer le poisson tout en donnant des signaux (sur certains points révélateurs) pour orienter une lecture au « deuxième degré ».

 

Rwanda, Paul Kagamé, Judi Rever ... et après ?

Après ? Ce sont toutes ces questions sans réponse qui, pour appréhender l’avenir, devront bien un jour faire l’objet d’un inventaire exhaustif. Les réponses devront participer à l’émergence de la vérité, seul gage de la pacification.

Mais plus grave dans l’immédiat : c’est l’avenir politique en RDC ....

 

[1] En moins de 24h ce billet a recueilli plus de 800 visites et 12 commentaires

[3] Le Livre Jaune , bible du TPIR d à Arusha - Rakiya Omaar - Alex De Waal

[6] Rwanda-The Royal Tour (tout un programme)

[8] Cela tient du Kim Jong-un « à la sauce bling - bling de nos valeurs » !

[9] Et de Mata Hari locales ?)

[12] James « Jim » Lyons, un ancien agent du FBI, à qui l'ONU avait demandé, dès février 1996, de coordonner toutes les enquêtes au Rwanda



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