Sarkoni ou Berluscosy ?
L’actuelle « Berlusconisation » de la politique française qui explique le titre de ce billet me semble de nature à traduire l’état inquiétant de notre pays sur fond de crise de régime. Une gauche hésitante qui annonce des mesures pour dire le contraire dès le lendemain sans tenir ses promesses essentielles, une droite hétéroclite enfoncée jusqu’au cou dans les affaires, et des trublions de la politique qui tentent de récupérer les morceaux de ce désastre à leur profit sont des évènements préoccupants car ils s’opposent au fonctionnement normal d’une démocratie avancée.
Mais cela n’empêche pas le questionnement récurrent des journalistes sur le retour en politique de l’ancien président pour la prochaine échéance présidentielle. Je leur confie donc un scoop unique tout en les autorisant à le reprendre à leur compte : oui, je l’affirme et j’en suis certain parce qu’il me l’a lui-même personnellement signifié, Sarkozy va tout faire pour se représenter devant les français. Et bien qu’il ne me l’ait pas franchement avoué je vais même vous dire pourquoi, car aujourd’hui je ne suis pas avare de confidences. Bien entendu sa prestation sur la théorie du complot n’a convaincu mercredi soir que les sarkolâtres impénitents, mais il va se représenter tout simplement pour tenter d’échapper aux poursuites judiciaires dont il se dit victime dans cette saga berlusconienne digne de House of cards. Tout ceci n’est pas difficile à comprendre compte tenu des nombreuses casseroles qui trainent à ses basques :
1/ Les soupçons de trafic d’influence d’alias Paul Bismuth et de corruption active ayant abouti à sa mise en examen récente.
2/ L’affaire Bygmalion et les comptes de campagne 2012 avec de nombreuses fausses factures avérées.
3/ L’affaire Kadhafi et le financement de la campagne 2007 révélées par Mediapart.
4/ L’arbitrage curieux dans l’affaire Tapie pour régler le litige avec le Crédit Lyonnais.
6/ Les sondages sans appel d’offre de l’Élysée durant la mandature 2007/2012.
7/ Les soupçons de détournement de fonds publics pour le meeting de Toulon en 2011.
8/ L’affaire Pérol choisi pour diriger la BCPE, soupçonné de prise illégale d’intérêts.
9/ Les enregistrements à l’Élysée de Patrick Buisson, conseiller de N. Sarkozy.
10/ L’affaire Bettencourt et de possibles financements parallèles, close par un non-lieu.
11/ L’affaire Karachi avec d’opaques financements de campagne et une éventuelle complicité de violation du secret de l’instruction.
Ses défenseurs peuvent naturellement évoquer les affaires Cahuzac ou Guérini à gauche, et ils auront raison. Mais on est toujours étonné par le discours ambigu en forme de double lien tenu à droite sur une justice laxiste qui ne punit pas assez les délinquants mais accable les « honnêtes » gens, ou sur la confiance qu’il faut lui accorder tout en contestant le travail de magistrats forcément gauchistes, et - horreur ! - syndiqués. Car malgré la présomption d’innocence qui doit prévaloir en l’absence de jugement rendu, on est forcément surpris par l’accumulation sur un seul homme de soupçons qui ont tous un rapport avec l’argent. Sarkosy est à lui seul un véritable paratonnerre de la finance, il attire la foudre du malheur sur sa personne qu’il offre en sacrifice aux français comme Jeanne d’Arc pour sauver le pays du désastre, et l’on demeure pour le moins stupéfié par cette colossale malchance qui n’est selon lui que l’acharnement d’une justice qu’il voulait amputer de ses juges d’instruction, ce qui aurait fait taire les enquêtes auxquelles en tant qu’avocat avisé il se préparait à l’avance. Quant à ses thuriféraires attitrés, ils sont de moins en moins nombreux car ils ont déjà compris qu’il ne peut pas être réélu parce que le seul recours actuellement à droite est probablement Juppé comme l’attestent les sondages. Je ne suis pas Madame Soleil mais je vous annonce deux scoops pour le prix d’un : Sarkosy va se représenter mais il sera battu.
Est-ce à dire que l’on peut impunément se réjouir de tout ceci si l’on est un opposant de l’UMP ? Personnellement je ne le pense pas car une démocratie a besoin d’une opposition suffisamment forte au pouvoir en place pour faire avancer les projets des citoyens et susciter des idées nouvelles. On me répondra qu’il existe désormais en France une autre opposition représentée par les idées d’extrême droite, et je comprends la lassitude des personnes qui ont voté pour Marine. Mais hélas, dans cet univers mondialisé, on ne peut plus raisonner comme Astérix dans son village gaulois face à de méchants envahisseurs (lesquels soit dit en passant, ont apporté de nombreux changements intéressants : des routes au droit romain). Il faut donc sortir de ce que j’appelle « le syndrome Astérix » pour pouvoir affronter les problèmes réels de notre pays. Or sur ce plan il faut malheureusement reconnaître que nos concitoyens ont les politiques qu’ils méritent et qu’ils font souvent penser à ces névrosés qui se plaignent de leurs problèmes tout en s’opposant aux changements qui viendraient modifier quoi que ce soit dans leur vie.
Car nous avons en France une culture de la plainte face à l’Autre symboliquement représenté par l’État. Celui-ci est comparable à une mère omnipotente qui devrait satisfaire tous les désirs de son enfant avant qu’il ne les formule. Dès que quelque chose cloche, ce qui en soi n’a rien d’anormal, il faudrait que l’État, qui a supplanté Dieu, trouve la parade, et non les personnes directement confrontées au problème. Cela n’empêche pas les français d’avoir une très faible mobilité géographique et un apprentissage insuffisant des langues étrangères. Ils résistent aussi à créer des situations expérimentales pouvant après évaluation entrainer des modifications utiles au plus grand nombre. Ils valorisent insuffisamment l’apprentissage professionnel, comme si travailler de ses mains ne faisait pas travailler la tête et empêchait d’être légitimement gratifié par le résultat concret d’une réalisation pratique. Nous avons aussi un des plus faible taux de syndicalisme d’Europe qui s’explique peut-être par une culture systématique de l’affrontement et non de la négociation. Ceci va de pair avec une déresponsabilisation des citoyens entretenue par les pouvoirs en place : si quelqu’un trouve quelque chose d’intéressant qui peut améliorer la vie d’autres personnes, il aura les pires difficultés pour le faire aboutir. Il est vrai que le millefeuille territorial administratif et législatif français, plus européen, a de quoi rebuter quiconque. La complexité en tout et pour tout est devenue la norme. Sur ce plan l’internet n’a pas facilité grand-chose avec des sites aux règles souvent opaques délivrant une information peu claire, voire mensongère. Écrire ou répondre à des mails peut prendre plus de temps que téléphoner, mais au bout du téléphone il n’y a plus personne qui répond. D’ailleurs ce repli derrière les services virtuels, qui fait que l’on ne sait jamais à qui l’on s’adresse, facilite grandement la déresponsabilisation de tous ceux qui peuvent facilement se cacher derrière leur impunité quand on nous vante la nécessité de transparence.
Il s’ensuit que la confiance et la liberté des citoyens régresse partout et que les inégalités progressent d’autant plus que des minorités mieux informées peuvent impunément contourner les lois en raison de leur position sociale. Notre pays, peut-être pour acquérir ou entretenir des prébendes, possède le nombre d’élus le plus élevé au monde (618384 élus en 2012 soit 1% de la population) avec un très faible taux de renouvellement qui décourage ceux qui voudraient s’investir dans la vie citoyenne ou la création d’entreprises. Les clivages politiques actuels sont dépassés depuis 50 ans mais le copinage, cumul des mandats et langue de bois empêchent tout changement. Notre système éducatif demeure très inégalitaire et peu performant compte tenu des moyens financiers attribués. Mais ceux-ci ne profitent pas aux enseignants qui sont parmi les plus mal payés d’Europe et les plus insultés dans le cadre de leur travail. Je soupçonne la hiérarchie de l’Éducation Nationale d’être tout simplement incompétente. Mais elle n’est pas la seule : le suivi d’un dossier quelconque demande une grande patience pour ceux qui y ont recours : il faut à présent être juriste, tout photocopier et noter, et finalement faire le travail à la place de ceux qui devraient y pourvoir si l’on veut qu’une demande aboutisse. Le manque de rigueur et de compétence de nos concitoyens ou l’incompréhension de ce qui est dit ou écrit deviennent la règle, ce qui n’empêche pas les français de penser qu’ils sont supérieurs à d’autres peuples ou cultures, et les autorise à donner des leçons au monde entier.
Les pouvoirs politiques de tous bords qui résistent au changement comme la plupart des français qui les ont probablement choisis pour cela, afin de pouvoir s’en plaindre ensuite pour apparaître comme des victimes innocentes, n’ont semble-t-il rien compris aux réformes urgentes à faire dans ce pays depuis plus de 40 ans, et ne mesurent en aucune façon le travail des bénévoles qui œuvrent en silence pour faire avancer les choses, travail sans lequel notre pays aurait vu son rang considérablement régresser dans le monde. Mais tout cela n’est pas grave puisqu’il y a heureusement le foot pour nous intéresser aux choses vraiment importantes. Et pour ceux qui auront raté cet épisode pourtant un peu long il y aura ensuite le Tour de France. Du pain et des jeux, mais pas trop de politique pour les citoyens. Je souhaite quand même la réussite à nos sportifs et à vous de bonnes vacances.