Sarkozy, le Président cogneur des Français
Enormes, et décidément bien légitimes émotions au sujet des gardes-à-vue. Depuis longtemps qu’elles s’étendent, se multiplient sans motifs raisonnables, il fallait bien qu’une collégienne quitte son domicile menottes aux poignets pour troubler enfin le repos d’une France toujours entre deux sommeils. Pourtant, même dans la police, la magistrature, des syndicalistes courageux, consciencieux, commençaient depuis plusieurs semaines à s’inquiéter. Mais personne ne voulait les entendre dans l’apathie générale.
Demeure le mystère principal. Pourquoi, comment, à partir d’où, de qui, ce fléau des arrestations arbitraires commença-t-il ? Sur quelles instructions, après quels évènements peut-il s’étendre ensuite comme une peste ? Toujours prête à l’emphase, la Garde des Sceaux invoque le code d’instruction pénal. Mais il existe depuis des années dans ses formulations actuelles et fonctionna longtemps sans dommages essentiels pour les libertés publiques. En vérité, le changement radical débute avec l’installation de Nicolas Sarkozy à la présidence. Elle s’annonce pourtant par un beau soir de mai 2007, dans des éclats de rire, sur les Champs Elysées. Lenouvel élu rassemble ses amis les plus proches au Fouquet’s, célèbre restaurant de luxe connu comme l’un des plus chers de Paris. Rachida Dati, l’épouse Balkany et tant d’autres filles en robes éclatantes papillonnent parmi les tables couvertes de mets délicats, flûtes de champagne à la main. Décor bien loin des sordides cellules dans les commissariats de police. Alors, par quels sortilèges, par quels méchants détours va-t-on passer de mœurs aimables à des rudesses dignes d’ordinaire des bandits de grands chemins ?
Entre Johnny Hallyday, Alain Minc, Patrick Balkany, Bernard Tapie, quelques participants de la plaisante sauterie sortent parfois de pas très lointaines affaires douteuses. Leurs anciennes mésaventures avec la justice ou même la police pourraient les dissuader de se tenir à distance des plaisirs officiels, ce soir-là. Mais Nicolas, justement, a voulu qu’ils viennent. Aussi peut-il apparaître alors comme un très bon garçon, sympathique adepte de la doctrine à tout péché miséricorde. Il ne faudra pas attendre trois semaines pour découvrir qu’il incarne inversement tout le contraire, avec une conception du pouvoir identifiable à la trique, et son usage au bâton.
Nicolas ne justifie sa sévérité par aucun argument. Elle ressemble apparemment pour lui à quelque chose de banal, comme il enfile ou retire son veston. Convenons à sa décharge qu’alors, personne ne lui demande la moindre explication. Journaux, parlementaires de la majorité comme de l’opposition, écrivains, avocats, observent sur le sujet un mutisme total, sans qu’il soit possible d’en percevoir la raison, quelque part entre l’indifférence ou la lâcheté. Depuis longtemps les cadres moraux du pays ne croient plus en rien et barbotent, l’œil vitreux, dans le déshonneur. Fort de leur concours tacite, Nicolas peut partir en vacances tout joyeux pour les Etats-Unis. De pauvres bougres peuvent bien souffrir, dépérir sous les chaleurs estivales dans des cellules dont ils espéraient bien sortir ; lui s’amuse en famille dans l’une des stations les plus chics, les plus chères, sur la côte est des Etats-unis. Pour la première fois aussi de notre Histoire, un Président de la République passe en partie son mois d’août chez les Américains comme celui d’une multinationale.
Rachida l’accompagne et s’amuse en bateau avec Cécilia comme deux petites folles. Au retour, en septembre, il embrasse, tutoie Laurence Parisot à Jouy-en-Josas aux journées du MEDEF. Quand le Chef de l’Etat doit, par fonction, se poser en arbitre impartial entre les intérêts, celui-là s’exhibe dès ses débuts parmi les gros, les gras, les riches, les jouisseurs. Pourquoi d’ailleurs se gênerait-il ? Aucun de ses travers ne suscite alors la moindre indignation. Une morale ombrageuse justifie le refus hautain des grâces judiciaires ou amnistiantes ; tout coupable doit payer ses fautes. En principe quoi de plus juste ? Cette rigueur s’assouplit par miracle lorsqu’elle concerne les comparses du Président . Alain Minc, Balkany, Tapie entrent sans cesse à l’Elysée la tête haute, quoiqu’ils soient tous passés au moins une fois devant un tribunal, pour ne rien dire de Jacques Attali, contraint en 1990 de démissionner pour sa gestion scandaleuse d’une banque européenne, à Londres. Indulgence plénière et perpétuelle donc pour les amis du Président. Il ne réserve la férule, les châtiments sans fin, qu’aux autres.
Cette tendance à préférer ses proches à la foule anonyme figure parmi les tentations les plus ordinaires de la nature humaine. Encore convient-il toujours de l’appliquer avec des précautions. Sarkozy n’en prend jamais aucune, tant l’exercice du pouvoir s’apparente pour lui aux exploits de l’acrobate sous le chapiteau d’un cirque. Voilà bien une rare audace. A ses débuts, elle laissa presque tous les spectateurs sans voix. Sans doute impressionnerait-elle encore s’il ne se mêlait, à certains sauts périlleux, des caprices inattendus chez un Chef de l’Etat. Alors qu’il voyage beaucoup, et même infiniment trop pour se ménager encore le temps de réfléchir, le phénomène écourte au maximum ses séjours hors de nos frontières tant il répugne à s’endormir deux soirs de suite hors de chez lui. Curieux quand même ce besoin du toit familial, de la chambre bien à soi, pour quelqu’un de si prompt à envoyer tant d’inconnus dans les commissariats. Une inconséquence peut-être symbolique d’un double syndrome de l’enfermement. Et puis, soudain, il se libère. Il éclate. Il explose. Bêtement.
En septembre 2007, au retour de si contestables vacances américaines, où pour la première fois dans notre histoire, un successeur de Louis XIV, Charles de Gaulle, s’en va se reposer dans un pays d’une puissance supérieure au sien, notre as de pique - ou as de carreau, de cœur on ne sait trop depuis le court-circuit Cécilia-Carla - se précipite aux journées du MEDEF où il embrasse, tutoie Laurence Parisot. Encore une conquête ! Mais de la pire espèce, comme il faudrait mieux s’en abstenir. Tout Chef de l’Etat en France doit se tenir en arbitre au-dessus de tous les intérêts particuliers, qu’ils relèvent de la finance ou de l’économie. Rien à voir avec Washington où le Président élu ne doit son poste qu’au soutien des « lobby’s ».
Ainsi, depuis plusieurs siècles dans notre histoire, aucune des générations comprises entre quinze et vingt-cinq ans ne doit présenter ses pièces d’identité lors de contrôles constants. Dans leur jeunesse, le doux François Fillon, le blagueur Jean-Louis Borloo, le fiévreux Bernard Kouchner, la grasse et joviale Roselyne Bachelot n’eurent à subir ces humiliations permanentes. Depuis ces temps pas si lointains, le monde a certes beaucoup changé. L’alcool, la drogue sous toutes ses formes instituent de nouveaux dangers qu’il faut circonscrire par de constants contrôles. A condition qu’ils ne s’appliquent pas selon les fantaisies, l’arbitraire d’agents de police dépourvus souvent,semble-t-il, de la formation suffisante, ivres de leurs nouveaux pouvoirs et contaminés, eux aussi, par le laxisme des mœurs, qu’ils interprètent à leur usage comme la permission de faire n’importe quoi.
Et puis, l’aisance des gens du pouvoir à voir sans un geste leurs cadets traités avec une violence qu’ils n’endurèrent jamais dans leur jeunesse inspirerait bien des doutes sur les excuses qu’ils invoquent pour maintenir l’ordre. Parce que pour la plupart d’entre eux, voici vingt-cinq, trente ans qu’ils participent souvent comme élus aux responsabilités. Cette honteuse dégradation des mœurs si souvent consécutive au règne absolu de l’Argent qu’ils laissèrent s’établir, progressa, s’imposa tandis qu’ils disposaient dès ses débuts de tous les moyens de l’Etat pour les combattre. La facilité qu’ils mettent à tolérer la prolifération des gardes-à-vue recouvre aussi dans leurs cas bien des zones d’ombre. Ainsi, le nombre extravagant des séjours dans les commissariats de gens arrêtés sur leur mine ne relève pas seulement de la fameuse multitude dite du « chiffre », nourrie de stratégies comptables. Elle obéit au moins tout autant à une morale d’aventuriers devenus les maîtres dans un déferlement d’impostures.
Ici, toute référence au besoin qu’ils éprouveraient de satisfaire l’électorat dit « d’Extrême-Droite » épaissit un peu plus le mystère. Dans son simplisme, le « politiquement correct » fabrique à son tour des fantasmes. Quoiqu’il demeure possible de le lui reprocher à tort ou à raison, Le Pen ne peut servir à tous les besoins. Son influence dans le débat public se rétrécit selon les faiblesses de son grand âge. Ses clameurs ne montent plus comme autrefois jusqu’au ciel. Laissons donc au seul Nicolas les innovations comme tout l’héritage de Sarkozy. Puisqu’il s’accommode si bien de mettre tant de monde au bloc, qu’il y reste donc lui-même dans nos consciences. Qu’il y reste même tout le temps nécessaire d’un contrôle d’identité. Avec en plus l’avis d’un psychologue. Puis qu’on l’en sorte définitivement. Avec ordre de ne plus montrer jamais sa figure.