samedi 13 mars 2010 - par Gilbert Comte

Sarkozy, le Président cogneur des Français

 Enormes, et décidément bien légitimes émotions au sujet des gardes-à-vue. Depuis longtemps qu’elles s’étendent, se multiplient sans motifs raisonnables, il fallait bien qu’une collégienne quitte son domicile menottes aux poignets pour troubler enfin le repos d’une France toujours entre deux sommeils. Pourtant, même dans la police, la magistrature, des syndicalistes courageux, consciencieux, commençaient depuis plusieurs semaines à s’inquiéter. Mais personne ne voulait les entendre dans l’apathie générale.

 Demeure le mystère principal. Pourquoi, comment, à partir d’où, de qui, ce fléau des arrestations arbitraires commença-t-il ? Sur quelles instructions, après quels évènements peut-il s’étendre ensuite comme une peste ? Toujours prête à l’emphase, la Garde des Sceaux invoque le code d’instruction pénal. Mais il existe depuis des années dans ses formulations actuelles et fonctionna longtemps sans dommages essentiels pour les libertés publiques. En vérité, le changement radical débute avec l’installation de Nicolas Sarkozy à la présidence. Elle s’annonce pourtant par un beau soir de mai 2007, dans des éclats de rire, sur les Champs Elysées. Lenouvel élu rassemble ses amis les plus proches au Fouquet’s, célèbre restaurant de luxe connu comme l’un des plus chers de Paris. Rachida Dati, l’épouse Balkany et tant d’autres filles en robes éclatantes papillonnent parmi les tables couvertes de mets délicats, flûtes de champagne à la main. Décor bien loin des sordides cellules dans les commissariats de police. Alors, par quels sortilèges, par quels méchants détours va-t-on passer de mœurs aimables à des rudesses dignes d’ordinaire des bandits de grands chemins ?

 Entre Johnny Hallyday, Alain Minc, Patrick Balkany, Bernard Tapie, quelques participants de la plaisante sauterie sortent parfois de pas très lointaines affaires douteuses. Leurs anciennes mésaventures avec la justice ou même la police pourraient les dissuader de se tenir à distance des plaisirs officiels, ce soir-là. Mais Nicolas, justement, a voulu qu’ils viennent. Aussi peut-il apparaître alors comme un très bon garçon, sympathique adepte de la doctrine à tout péché miséricorde. Il ne faudra pas attendre trois semaines pour découvrir qu’il incarne inversement tout le contraire, avec une conception du pouvoir identifiable à la trique, et son usage au bâton. Dès qu’il s’installe dans le bureau présidentiel, tout nouveau Chef de l’Etat libère, depuis cinquante ans, par sa seule signature, plusieurs centaines de détenus en fin de peine, et annule, en même temps, peut-être un bon million d’amendes impayées par les automobilistes. Malgré des caractères très différents, de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand s’acquittèrent tous, avec la célérité nécessaire, de cette bienveillante tradition. Qualifiée de « républicaine », elle provient surtout des mœurs monarchiques, lorsqu’à son avènement, le Roi reversait sous forme de grâces, au profit du peuple, un peu de l’extraordinaire pouvoir dont il allait disposer sur les hommes. Une sorte d’équilibre psychologique spontané, où le plus fort montre qu’il n’ignore ni n’oublie le malheur des plus faibles et demeure comme eux assujetti à la nature, tributaire de l’espèce. Bien lourde loi sans doute. Sarkozy ne s’en affranchit pas moins de son pas si leste, comme s’il haussait les épaules. Une désinvolture pleine d’enseignement sur son caractère profond. Car, après tout, ce droit de grâce parvenu jusqu’à nous à travers, malgré, les révolutions, depuis l’aube si lointaine de l’Ancien régime, s’adressait d’abord au bon cœur du souverain. Même les plus durs d’entre eux l’acceptèrent. Comment un homme parvenu au bonheur de sa plus haute ambition satisfaite peut-il le refuser ? Hé bien, quitte à rompre avec tous les usages, Nicolas entend bien établir aux yeux de tous, par son refus, qu’il n’obéira jamais qu’à sa propre volonté, n’en déplaise au reste du monde. Pour la première fois depuis des décennies, une Présidence débute par un acte de force sans précédent. Pourtant portée personnellement sur la gaudriole, la nouvelle Garde des Sceaux, Rachida Dati,s’installe place Vendôme, sans transmettre aucune consigne d’indulgence aux services, quand les malheurs survenus dans sa propre famille devraient la rendre charitable. Mais sans doute ne songe-t-elle plus depuis très longtemps qu’à seule ascension sociale, quel qu’en soit le prix. 

 Nicolas ne justifie sa sévérité par aucun argument. Elle ressemble apparemment pour lui à quelque chose de banal, comme il enfile ou retire son veston. Convenons à sa décharge qu’alors, personne ne lui demande la moindre explication. Journaux, parlementaires de la majorité comme de l’opposition, écrivains, avocats, observent sur le sujet un mutisme total, sans qu’il soit possible d’en percevoir la raison, quelque part entre l’indifférence ou la lâcheté. Depuis longtemps les cadres moraux du pays ne croient plus en rien et barbotent, l’œil vitreux, dans le déshonneur. Fort de leur concours tacite, Nicolas peut partir en vacances tout joyeux pour les Etats-Unis. De pauvres bougres peuvent bien souffrir, dépérir sous les chaleurs estivales dans des cellules dont ils espéraient bien sortir ; lui s’amuse en famille dans l’une des stations les plus chics, les plus chères, sur la côte est des Etats-unis. Pour la première fois aussi de notre Histoire, un Président de la République passe en partie son mois d’août chez les Américains comme celui d’une multinationale.

Rachida l’accompagne et s’amuse en bateau avec Cécilia comme deux petites folles. Au retour, en septembre, il embrasse, tutoie Laurence Parisot à Jouy-en-Josas aux journées du MEDEF. Quand le Chef de l’Etat doit, par fonction, se poser en arbitre impartial entre les intérêts, celui-là s’exhibe dès ses débuts parmi les gros, les gras, les riches, les jouisseurs. Pourquoi d’ailleurs se gênerait-il ? Aucun de ses travers ne suscite alors la moindre indignation. Une morale ombrageuse justifie le refus hautain des grâces judiciaires ou amnistiantes ; tout coupable doit payer ses fautes. En principe quoi de plus juste ? Cette rigueur s’assouplit par miracle lorsqu’elle concerne les comparses du Président . Alain Minc, Balkany, Tapie entrent sans cesse à l’Elysée la tête haute, quoiqu’ils soient tous passés au moins une fois devant un tribunal, pour ne rien dire de Jacques Attali, contraint en 1990 de démissionner pour sa gestion scandaleuse d’une banque européenne, à Londres. Indulgence plénière et perpétuelle donc pour les amis du Président. Il ne réserve la férule, les châtiments sans fin, qu’aux autres.

 Cette tendance à préférer ses proches à la foule anonyme figure parmi les tentations les plus ordinaires de la nature humaine. Encore convient-il toujours de l’appliquer avec des précautions. Sarkozy n’en prend jamais aucune, tant l’exercice du pouvoir s’apparente pour lui aux exploits de l’acrobate sous le chapiteau d’un cirque. Voilà bien une rare audace. A ses débuts, elle laissa presque tous les spectateurs sans voix. Sans doute impressionnerait-elle encore s’il ne se mêlait, à certains sauts périlleux, des caprices inattendus chez un Chef de l’Etat. Alors qu’il voyage beaucoup, et même infiniment trop pour se ménager encore le temps de réfléchir, le phénomène écourte au maximum ses séjours hors de nos frontières tant il répugne à s’endormir deux soirs de suite hors de chez lui. Curieux quand même ce besoin du toit familial, de la chambre bien à soi, pour quelqu’un de si prompt à envoyer tant d’inconnus dans les commissariats. Une inconséquence peut-être symbolique d’un double syndrome de l’enfermement. Et puis, soudain, il se libère. Il éclate. Il explose. Bêtement.

 En septembre 2007, au retour de si contestables vacances américaines, où pour la première fois dans notre histoire, un successeur de Louis XIV, Charles de Gaulle, s’en va se reposer dans un pays d’une puissance supérieure au sien, notre as de pique - ou as de carreau, de cœur on ne sait trop depuis le court-circuit Cécilia-Carla - se précipite aux journées du MEDEF où il embrasse, tutoie Laurence Parisot. Encore une conquête ! Mais de la pire espèce, comme il faudrait mieux s’en abstenir. Tout Chef de l’Etat en France doit se tenir en arbitre au-dessus de tous les intérêts particuliers, qu’ils relèvent de la finance ou de l’économie. Rien à voir avec Washington où le Président élu ne doit son poste qu’au soutien des « lobby’s ».

 Mais Nicolas enfreint presque chaque jour cette règle depuis son installation à la Présidence. Alors, il s’affiche sans cesse parmi les puissants, les gras, les gros, quoiqu’il reste à titre personnel un assez petit mangeur. Encore un des paradoxes de son caractère où n’importe quel psychanalyste exercerait son assez mince travail avec de gros profits. Par destination, le gouvernement s’efforce d’adoucir les mœurs par l’exemple. Saint Louis sous le chêne de Vincennes comme Vincent Auriol sept-cents ans plus tard lorsqu’il signe tant de grâces, appartiennent à la même tradition. A partir de Nicolas, l’Etat cogne. Il roule même chaque jour des épaules avec celles des policiers.

 Ainsi, depuis plusieurs siècles dans notre histoire, aucune des générations comprises entre quinze et vingt-cinq ans ne doit présenter ses pièces d’identité lors de contrôles constants. Dans leur jeunesse, le doux François Fillon, le blagueur Jean-Louis Borloo, le fiévreux Bernard Kouchner, la grasse et joviale Roselyne Bachelot n’eurent à subir ces humiliations permanentes. Depuis ces temps pas si lointains, le monde a certes beaucoup changé. L’alcool, la drogue sous toutes ses formes instituent de nouveaux dangers qu’il faut circonscrire par de constants contrôles. A condition qu’ils ne s’appliquent pas selon les fantaisies, l’arbitraire d’agents de police dépourvus souvent,semble-t-il, de la formation suffisante, ivres de leurs nouveaux pouvoirs et contaminés, eux aussi, par le laxisme des mœurs, qu’ils interprètent à leur usage comme la permission de faire n’importe quoi.

 Et puis, l’aisance des gens du pouvoir à voir sans un geste leurs cadets traités avec une violence qu’ils n’endurèrent jamais dans leur jeunesse inspirerait bien des doutes sur les excuses qu’ils invoquent pour maintenir l’ordre. Parce que pour la plupart d’entre eux, voici vingt-cinq, trente ans qu’ils participent souvent comme élus aux responsabilités. Cette honteuse dégradation des mœurs si souvent consécutive au règne absolu de l’Argent qu’ils laissèrent s’établir, progressa, s’imposa tandis qu’ils disposaient dès ses débuts de tous les moyens de l’Etat pour les combattre. La facilité qu’ils mettent à tolérer la prolifération des gardes-à-vue recouvre aussi dans leurs cas bien des zones d’ombre. Ainsi, le nombre extravagant des séjours dans les commissariats de gens arrêtés sur leur mine ne relève pas seulement de la fameuse multitude dite du « chiffre », nourrie de stratégies comptables. Elle obéit au moins tout autant à une morale d’aventuriers devenus les maîtres dans un déferlement d’impostures.

 Ici, toute référence au besoin qu’ils éprouveraient de satisfaire l’électorat dit « d’Extrême-Droite » épaissit un peu plus le mystère. Dans son simplisme, le « politiquement correct » fabrique à son tour des fantasmes. Quoiqu’il demeure possible de le lui reprocher à tort ou à raison, Le Pen ne peut servir à tous les besoins. Son influence dans le débat public se rétrécit selon les faiblesses de son grand âge. Ses clameurs ne montent plus comme autrefois jusqu’au ciel. Laissons donc au seul Nicolas les innovations comme tout l’héritage de Sarkozy. Puisqu’il s’accommode si bien de mettre tant de monde au bloc, qu’il y reste donc lui-même dans nos consciences. Qu’il y reste même tout le temps nécessaire d’un contrôle d’identité. Avec en plus l’avis d’un psychologue. Puis qu’on l’en sorte définitivement. Avec ordre de ne plus montrer jamais sa figure.



11 réactions


  • geo63 13 mars 2010 10:09

    Merci pour ce texte d’une grande qualité, son titre est parfait.
    La preuve que les « anciens » comme vous et moi ne sont absolument pas des supporters du sarkozysme comme on le trouve parfois hâtivement mentionné. Bien au contraire, nous mesurons avec une certaine expérience la dégradation sans précédent du système.


  • voxagora voxagora 13 mars 2010 10:14

    Merci pour cet article.
    Sur le même thème de la garde à vue,
    un autre très bon article hier sur Causeur, d’une avocate, Olivia Uzan :
    « La garde à vue condamnée, en finir avec cette exception française »


  • clostra 13 mars 2010 16:33

    "En vérité, le changement radical débute avec l’installation de Nicolas Sarkozy à la présidence.« 
    En vérité, non. Le changement débute lorsqu’il arrive au ministère de l’intérieur et fait un coup d’éclat à Corbeil Essonne, chauffe à blanc ses troupes.
    Résultat : un gendarme tué quelques années plus tard.

    Nous le savions, »nous" l’avons élu président de la République.


    • clostra 13 mars 2010 16:53

      Et surtout n’allez pas croire que c’est l’apanage de l’UMP alias Mr Sarkozy d’arriver sur un territoire en équilibre précaire comme un éléphant dans un jeu de quille ou dans un magasin de porcelaine. Sa démarche a été largement appuyée localement par le PS, du moins par Mr Valls qui n’a vraiment rien à lui envier. Alors, souvenez-vous-en si vous voulez en finir avec ce régime d’enfants gâtés.


  • curieux curieux 13 mars 2010 16:39

    Vous avez oublié : la polygamie et la polyandrie


  • tvargentine.com lerma 13 mars 2010 18:30

    Un article lourd mais vraiment trop lourd !

    que les artistos soient anti-sarko ,vraiment c’est un +

    http://www.tvargentine.com


    • FRIDA FRIDA 13 mars 2010 19:17

      Il faut avoir un cerveau de parasite pour trouver que l’article est lourd,
      vous avez le droit d’idolâtrer Sarkozy, mais n’attendez pas des autres qu’ils soient subjugués par un tel personnage


  • ARMINIUS ARMINIUS 14 mars 2010 04:49

    Brassens est mort, Brel est mort , Ferrat , vient juste de mourir et Sarkozy va bien ...et comme à son habitude il récupère. He bien NON, monsieur le président, avec tout le repect qu’on ne vous doit pas cette fois ci c’est trop ! gardez vos larmes de crocodile, le jour venu, pour Johnny et Mireille.
     Même si dans « Ma France » Ferrat parle de vous en disant d« elle »celle dont vous usurpez aujourd’hui le prestige« , en aucun cas vous ne faites partie de ses »Camarade« . A la seule évocation de »celle de 36 à 68 chandelles« vous devenez vert et votre épaule s’agite de soubresauts nerveux. Restez avec »vos belles étrangère"s et pâmez vous avec elles devant la corrida que vous avez déclenché avec vos turpitudes.... si bien reprises dans ce bel article, merci à l’auteur et... salut l’artiste. ?


    • curieux curieux 14 mars 2010 13:44

      Oui, il n’a même pas le courage de ses opinions, ce nain arriviste. Ma France, lui, il la détruit.


  • Jorge Atlan 14 mars 2010 20:05

    Enfin un article de qualité qui ne suinte pas la haine..
    Rafraichissant ici.
    Merci, monsieur, comme quoi a chacun son métier.


  • Marc.M Marc.M 15 mars 2010 09:22

    Le Sarkozysme n’est pas une politique, c’est la pathologie des victimes du pervers narcissique : Le syndrome de Stockholm

    (A propos de la perversion narcissique : http://geopolis.over-blog.net/article-6423695.html )


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