mardi 27 décembre 2011 - par
Sécurité sociale : pour un financement plus solidaire
Le mode de financement de la protection sociale française, assuré par des cotisations assises sur les salaires, présente le triple défaut de peser sur les coûts de production des entreprises, de taxer davantage le travail que le capital, et de ne pas être redistributif. Dans une tribune publiée sur Le Monde.fr, Olivier Ferrand montre qu'une réforme du financement de la protection sociale est légitime et doit viser non seulement la neutralité économique, mais aussi assurer une plus grande solidarité sociale. Il propose d'ouvrir la réflexion sur une fiscalisation du financement par un transfert de cotisations sur un impôt progressif.
Le financement de la protection sociale française (plus de 500 milliards d'euros) repose pour l'essentiel (à 65 %) sur des cotisations assises sur les salaires. Ce mode de financement présente trois défauts.
D'abord – c'est au cœur du débat politique actuel – il est anti-économique. Les charges sociales pèsent sur les coûts de production des entreprises. Elles grèvent la compétitivité-prix de notre économie dans la mondialisation.
Ensuite, ce mode de financement pénalise par construction les revenus du travail par rapport aux revenus du capital. En France, le travail est nettement plus taxé que le capital. Les économistes parlent de « coin fiscalo-social » générateur de chômage.
Enfin – c'est le point le moins connu, et pourtant le plus important – un tel financement n'est pas redistributif. Notre Etat-providence a été construit sur le modèle bismarkien. Il repose sur des assurances sociales, certes publiques, mais qui fonctionnent comme des assurances privées. En clair, il assure la mutualisation du risque : l'âge (le système de retraite redistribue de ceux qui décèdent tôt vers ceux qui vivent longtemps), la maladie et les accidents du travail (la sécurité sociale redistribue des biens portants vers les malades et les accidentés), le chômage (l'assurance-chômage redistribue des salariés vers les chômeurs). Mais il n'assure pas la mutualisation sociale : chacun cotise pour se constituer des droits individuels ; ceux qui n'ont pas cotisé n'ont pas de droits assuranciels. Avec la Sécurité sociale, dans son principe, il n'y a pas de redistribution de ceux qui cotisent vers ceux qui ne cotisent pas.
Ainsi, contrairement à ce que prétend la « droite anti-sociale » de Laurent Wauquiez, le système social français fait tout sauf favoriser l'assistanat. Nous avons certes le système d'assurances sociales le plus protecteur du monde, mais uniquement pour ceux qui ont un travail stable et qui cotisent. En revanche, la solidarité envers ceux qui ne cotisent pas, les outsiders, est particulièrement médiocre. Un exemple : les minimas sociaux. Le RSA-socle (ex-RMI) s'élève en France à 466 euros, soit 28 % du revenu médian, un niveau plus de deux fois inférieur au seuil de pauvreté. Cela situe la France au niveau de la Bulgarie. La moyenne européenne est à 60 %. Les pays les plus sociaux (pays nordiques, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni) autour de 75 %. De même, le système de retraite est généreux en France : il verse 265 milliards de pensions tous les ans. Mais 15 milliards seulement sur 265 relèvent de la solidarité (au sein du FSV – le Fonds de solidarité vieillesse) pour financer le minimum vieillesse et les « petites retraites ».
Dans ces conditions, la réforme du financement de la protection sociale est légitime. Elle doit viser selon Terra Nova trois objectifs cumulés : la neutralité économique ; la neutralité au regard du travail ; et une plus grande solidarité sociale. A l'aune de ces trois objectifs, on peut juger des différentes propositions qui sont sur la table.
D'abord, le transfert de cotisations vers la TVA. C'est ce qu'ont fait les Allemands en 2008. La « TVA sociale » répond à l'objectif de compétitivité économique : elle ne grève pas les exportations et, à l'inverse, elle impacte les importations. Elle est également neutre au regard des revenus du travail et du capital. En revanche, elle n'assure pas la solidarité sociale. Pire, la TVA est un impôt régressif : cela signifie que les contribuables modestes en paient proportionnellement plus que les contribuables aisés.
Ensuite, le transfert vers la CSG. C'est ce qu'ont fait les gouvernements successifs dans les années 1990 : ils ont ainsi basculé 13 % du financement de la protection sociale des cotisations sociales vers la CSG. La CSG est un impôt qui assure la neutralité économique et qui est assis sur tous les revenus – du travail comme du capital. Mais il s'agit, comme les cotisations sociales, d'un impôt proportionnel : il n'assure donc pas de redistribution sociale.
Enfin, le transfert vers une nouvelle taxe carbone. La taxe n'est pas neutre au plan économique mais d'une certaine manière elle fait « mieux » : elle corrige les externalités négatives environnementales. Un tel transfert favorise ainsi les entreprises propres et pénalise les entreprises polluantes. C'est une idée intelligente : en fléchant son produit vers la Sécurité sociale, elle rend la taxe carbone – taxe nécessaire mais très impopulaire – plus acceptable. Elle assure aussi la neutralité au regard du travail. Mais elle non plus ne permet pas la solidarité.
Aucune de ces propositions ne répond aux trois objectifs à la fois. C'est pourquoi Terra Nova ouvre la réflexion sur une autre piste : la fiscalisation du financement de la protection sociale par un transfert de cotisations sur un impôt progressif. La progressivité est nécessaire pour permettre la solidarité. Le basculement devrait dès lors se faire sur l'impôt sur le revenu (IR), aujourd'hui le seul impôt progressif du système fiscal français.
On connaît les réserves des syndicats : le financement par l'impôt, donc via le budget de l'Etat, ne garantit plus la sanctuarisation des ressources de la Sécurité sociale, qui se retrouve à la merci des arbitrages budgétaires. Pour répondre à cette crainte légitime, on peut imaginer un impôt affecté directement à la Sécurité sociale, sans transiter par le budget de l'Etat – c'est le cas de la CSG. La perspective de la fusion IR-CSG évoquée dans le programme du Parti socialiste permettrait d'affecter une CSG devenue progressive au financement de la Sécurité sociale. Ce serait la solution idéale.
Autre crainte souvent avancée : le risque de sécession des contribuables aisés. Cette crainte concerne tout prélèvement progressif. Or toutes les études récentes – du rapport Ducamin en 1996 au récent essai de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale (Le Seuil/République des idées, 2011) – montrent que le système fiscalo-social français est régressif. En d'autres termes, les riches paient moins d'impôts que les pauvres. Il y a donc, pour le moins, de la marge avant que la redistribution n'atteigne un niveau confiscatoire…
Le financement de la protection sociale mérite d'être réformé. Le débat politique se focalise sur la neutralité au regard de la compétitivité économique. C'est important. Mais créer une Sécurité sociale plus solidaire ne l'est pas moins. Telle est la priorité avancée par Terra Nova.