mardi 26 mars 2019 - par Orélien Péréol

Tous victimes, les dirigeants coupables

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Cela devient une des lignes directrices des discours admis et valorisés.

Nous sortons d’un temps assez long pendant lequel la ligne directrice des discours et des pensées était la lutte des classes, le sens de l’histoire, le marxisme vulgarisé. La moitié de la planète vivait, en principe, sous une organisation sociale et politique tirée du marxisme. Il y avait des opposants, ce qui signifie qu'ils sont d'accord sur le fait que « c'est là que ça se passe ». . Les autres grilles (axes) d’analyse, émergées fortement depuis trente ans, comptaient de peu (régionalisme, féminisme, sexualité, religion…). La réponse du capitalisme à la perspective d’une révolution et d’un passage rapide et brutal à un système communiste a consisté dans le fait de créer une masse importante de classes moyennes, brisant ainsi un des fondements théoriques du marxisme (un front de classe très visible), et apportant à ces classes moyennes un niveau de vie suffisamment satisfaisant pour calmer les frustrations, comprenant la perspective d’améliorations possibles pour dissoudre un peu plus les volontés de luttes sociales. Cette ligne s’est brisée avec la chute du mur de Berlin. Ne restent communistes que la Chine (seulement en théorie), la Corée du Nord et Cuba, pays peu enviables.

En 1989, l’humanité voyait s’ouvrir les possibilités d’analyses et d’actions dans une liberté immense. Trop grande très certainement. Certains ont annoncé la fin de l’Histoire. Trente ans après la chute du mur, des chemins, des ornières se sont recréés. Il y a plusieurs axes qui commencent à faire un polygone visible d’intersections et en dehors duquel tout discours se fait exclure. Certains cherchent l’intersectionnalité (l’intersection de ces axes, la réduction du polygone à un point).

C’est une concurrence des victimes, il faut non pas agir en collectif avec un projet mais s’indigner, posture morale personnelle autodéclarée. La concurrence des victimes ne produit pas d’avenir, elle stimule une majoration de la plainte, majoration qui a deux aspects : majoration de l’intensité et trouvaille de nouveaux objets pour s’exercer. Cela ne crée que de l’énervement réciproque des groupes dressés les uns contre les autres, pour tenter d’obtenir plus d’être plus victimes que les autres. Comme ce sont les victimes qui sont juges de la qualité et de la quantité de cette reconnaissance, ils n’en ont jamais assez (ils sont juges et parties). L’intersectionnalité diminuerait la concurrence, on pourrait ajouter les victimisations, au lieu de chercher à faire passer la sienne devant celle des autres.

L’identité est un autre nom de la victimisation. Il y a deux appréciations de l’identité, incompatibles selon les règles de la logique, et obligatoires selon les règles de l’idéologie actuelle. 1/ Les identités n’existent pas, il est insupportable d’être assigné(e) à telle ou telle identité, les êtres sont divers et multiples et surtout, ils sont eux. (Il y a en chacun de nous, une personne qui se trouve après avoir dégagé toutes les influences sociales qui sont une gangue, un empêchement à être soi ; être soi, la seule chose qui vaille la peine). 2/ A la plainte, c’est le contraire, les identités existent : mon identité n’est pas respectée, elle est méprisée… des groupes luttent pour faire le récit le plus crédible de leur condition abimée par cette non-reconnaissance justement, le plus d’aides possibles pour leurs associations… le plus d’adhésions aimables à leur triste état, le plus de « visibilité » mot qui est entré récemment et avec force dans la sphère du politique.

Cette configuration est un nom du populisme : un peuple uni, victime de dirigeants corrompus. Il n’y a pas de dialectique, pas de travail des contraires, pas d’évolutions possibles, pas de mouvements, pas de forces en présence, partant pas d’opposants, mais des êtres figés dans leurs rôles immuables, dans leur identité, et rendu visibles par les plaignants. Pas de plaidoirie : il y a des blessés et des blesseurs, c'est tout. Chacun s’agglomère au groupe qui porte la plus profonde déception humaine proche de la sienne, se fait reconnaître par les siens et ignore au mieux, écarte, ceux qui ont d’autres liens de victimisation.

Le spectacle Qui a tué mon père est emblématique de l’augmentation et de la stabilisation de cette façon de voir. Pas d’interrogation mais une accusation. Les hommes et femmes politiques, les élus, appauvrissent les pauvres, les mettent à l’index, les humilient (inflation de ce mot aussi) jusque dans la mort (le père d’Edouard Louis n’est pas mort, c’est métaphorique, sauf que si on ne le sait pas par une autre voix, on croit qu’il est mort). Les « coupables » ne bénéficient pas de la présomption d’innocence. Martin Hirsch, créateur du RSA, est désigné, parmi d’autres, par Édouard Louis ; il lui a écrit, sans obtenir de réponse, il a fait un livre de réponse dont personne ne parle.

Cette façon figée de structurer notre vie commune, figée au point de ne connaitre aucun événement, aucune conjoncture : « Tu appartiens à cette catégorie d'humains à qui la politique réserve une mort précoce. » (Qui a tué mon père p. 14), distribue le bien et le mal en zones séparées, et étanches, (les catégories d’humains et la politique) et de ce fait, d’une part, ne risque pas de dire ce qui se passe vraiment, et d’autre part ne peut pas nous permettre de vivre ensemble.



3 réactions


  • Aimable 26 mars 2019 10:53

    Nous sommes dans une république représentative, ceux qui se présentent a une élection pour être élus s’estiment compétents dans tous les domaines pour résoudre tous les problèmes d’une charge politique qui leur est concédée au moment de leur élection .

    Nous pouvons nous rendre compte après chaque élection combien de candidats élus ont voulu péter plus haut que leur cul , ceci pour le malheur de notre pays .

    Des électeurs s’abstiennent de voter , bon nombre de candidats devraient s’abstenir également en pensant a leurs pays plutôt qu’a leur égo .


  • gaijin gaijin 26 mars 2019 11:44

    «  Il y avait des opposants, ce qui signifie qu’ils sont d’accord sur le fait que « c’est là que ça se passe ».

    en effet communisme et capitalisme sont les deux farces d’une même pièce dont nous sommes les dindons ......

    et en effet avec la victoire des » bons « en 89 apparait l’évidence de l’imposture : il n’ y a pas de terre promise ....idée qui a mis quelques décennies a se faire jour mais ce n’est rien a l’échelle de l’histoire ....demain on ne rasera pas gratis promesse éternelle de tous les dirigeants que ça soit dans un paradis de l’au delà ou dans une quelconque utopie progressiste

    no futur ! reste l’évidence de la dystopie en cours

     » Cette configuration est un nom du populisme : un peuple uni, victime de dirigeants corrompus....« 

    est il donc interdit de penser que ça puisse être la réalité des faits ? les archéologues sont aujourd’hui d’accord pour dire que le néolithique fut une régression a tous les points de vue de la qualité de vie du peuple ( au profit d’une classe restreinte de dominants )

     » d’autre part ne peut pas nous permettre de vivre ensemble"

    et si c’était l’inverse ? et si le vivre ensemble émergeait de l’acceptation de nos différences au lieu d’être le produit d’une tentative de standardisation de l’humain en une unique masse moutonnière et décérébrée ? il est toujours délicat d’admettre que demain ne soit pas la reproduction d’hier mais l’exemple des gilets réunis sur les ronds points au delà des hallucinations idéologiques nous donne une autre image du vivre ensemble ............


  • Ruut Ruut 26 mars 2019 15:51

    Visiblement les GJ ils manifestes ensembles malgré leurs différences.

    L’intolérance est donc du coté du gouvernement.


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