lundi 10 novembre 2008 - par Dedalus

« Tout sauf Ségolène » et Condorcet

Formalisation mathématique du processus démocratique ou comment la mise en place d’un front "Tout sauf Ségolène" pourrait n’être rien de plus qu’une réponse très conforme au souhait démocratique des militants socialistes.

Il s’agit dans cet article de comprendre pourquoi le fait que la motion de Ségolène Royal soit arrivée en tête n’est pas pour cette dernière une garantie de victoire et que son éventuelle mise en minorité ne serait pas nécessairement un scandale, un vol du vote des militants et qui le dénaturerait, comme on l’entend déjà dire ici ou  ; comprendre que la mise en place d’un front "Tout sauf Ségolène" pourrait n’être rien de plus qu’une réponse très conforme au souhait démocratique des militants socialistes. Dire que cela serait ou non politiquement souhaitable est un propos hors du champ de cet article.

Le candidat de Condorcet

Commençons par le début. La théorie des élections part du principe qu’un candidat qui, opposé à n’importe quel autre dans un duel électoral, l’emporterait, c’est-à-dire recevrait une majorité absolue des suffrages, doit impérativement être élu. Condorcet ayant été le premier à formaliser cette exigence, un tel candidat est appelé le candidat de Condorcet. Il est facile de comprendre que, dans le cas contraire, si un autre que celui-là était élu, il y aurait un vice démocratique, puisqu’une majorité d’électeurs aurait préféré élire le candidat de Condorcet plutôt que celui qui a été élu à sa place et donc indûment.

Le souci est qu’en pratique il est impossible d’organiser autant de duels électoraux qu’il y a de paires de candidats possibles - il faudrait organiser six tours de scrutin pour une élection à quatre candidats, vingt-quatre tours pour cinq, etc.

On pourrait alors imaginer de demander aux électeurs d’ordonner tous les candidats afin de déterminer lequel d’entre eux est le candidat de Condorcet. Mais voilà, la théorie montre que, dans une telle situation, les électeurs ont intérêt à tricher sur leurs réelles préférences afin de favoriser leur candidat favori, celui qu’il place en tête de leur préférence, faussant de facto le résultat du vote.

Autre souci : le candidat de Condorcet n’existe pas toujours. Mais on est déjà là hors du propos que je souhaite tenir. L’essentiel est de comprendre qu’un bon mode de scrutin est au minimum un mode de scrutin qui conduit à élire le candidat de Condorcet de préférence à tous les autres.

En quoi cela concerne Ségolène Royal ?

C’est ici qu’il devient nécessaire de formaliser les choses. Supposons que nous ayons 4 candidats (ou motions) et appelons-les respectivement A, C, D et E (lettres choisies pas tout à fait arbitrairement...). Et faisons la notation suivante : X>Y signifie que l’électeur préfère élire X que Y. Supposons que nous avons 100 électeurs (c’est plus facile pour calculer les pourcentages) et plaçons-nous dans le scénario suivant où nous décrivons comment les électeurs ordonnent les candidats suivant leurs préférences :

A>C>D>E : 10 électeurs - A>D>C>E : 5 électeurs - A>C>E>D : 5 électeurs - A>E>C>D : 10 électeurs ;
C>D>A>E : 10 électeurs - C>E>D>A : 5 électeurs - C>E>A>D : 5 électeurs ;
D>C>A>E : 10 électeurs - D>C>E>A : 5 électeurs - D>A>C>E : 5 électeurs - D>E>C>A : 5 électeurs ;
E>A>C>D : 10 électeurs - E>C>D>A : 10 électeurs - E>D>C>A : 5 électeurs - E>C>A>D : 5 électeurs.

Si nous demandons maintenant à nos 100 électeurs d’exprimer leurs préférences entre les 4 candidats, nous obtenons les résultats suivants qui devraient vous rappeler quelque chose : candidat E : 30 % - candidat A : 25 % - candidat D : 25 % - candidat C : 20 %

Faut-il en conclure que le candidat E est le candidat qui doit être élu de préférence à n’importe quel autre ? Il est assez simple de se rendre compte que non en constatant que, si nous demandons aux électeurs leurs préférences entre E et A, ceux-ci les placeront à égalité (50-50), et de même si on leur fait la même demande à propos de E et D, mais qu’en revanche ils sont 60 % à préférer C à E...

D’ailleurs, dans cet exemple qui n’a rien d’aberrant, le candidat C est également préféré à A par 60 % des électeurs et à D par 65 % d’entre eux : C est ici le candidat de Condorcet et, malgré ses 20 % obtenus au premier tour de scrutin et qui le place derrière tous les autres, il est le candidat qui devra être élu si l’on ne veut pas se retrouver dans une situation non-démocratique, c’est-à-dire dans laquelle une majorité d’électeurs préférerait un autre résultat.

TSS et démocratie

Dans l’exemple ci-dessus, si 30 % place le candidat E en tête de leurs préférences, il en est également 40% pour le placer en dernier, 40% qui préfèrent tout autre candidat à celui-ci, 40 % d’électeurs favorables donc à un "Tout sauf E".

Il importe peu que ceux qui placent E en tête de leurs préférences le fassent par amour ou par proximité politique, comme il importe peu que ceux qui le placent en queue des leurs le fassent par haine ou par éloignement politique. Le fait est qu’ils forment les uns comme les autres le corps électoral et que la démocratie impose qu’on respecte leurs souhaits.

Autant dire qu’à ce stade, parler de la victoire de Ségolène Royal est plus que prématuré, démontre en vérité une incompréhension totale de ce qu’est la démocratie, de ce qu’est un processus électoral qui permet de s’assurer d’une décision autant que faire se peut démocratique. Un mode de scrutin est un ensemble de règles supposé favoriser la décision démocratique, un processus connu au préalable de tous et dont le respect doit être une exigence pour chacun.

Et si l’on estime que les règles sont mauvaises, qu’à l’usage on constate qu’elles fonctionnent mal, qu’elles ne remplissent pas leur rôle et ne garantissent pas suffisamment la démocratie, on les change - mais ensuite seulement, pour le prochain coup, en s’abstenant de crier au scandale durant un processus qui est en cours et dont on connaissait au préalable parfaitement des règles que l’on a d’ailleurs acceptées.

Les règles qui président à un congrès du PS ne disent en aucune manière que la motion arrivée en tête du vote des militants devient de facto centrale et partie prenante de la nouvelle majorité. Ces règles disent qu’à l’issue du vote, des synthèses partielles ou totales sont possibles entre les motions et sont soumises à l’approbation des délégués au congrès, eux-mêmes élus à la proportionnelle des votes des militants sur les motions. La synthèse qui reçoit l’approbation d’une majorité de délégués devient la ligne politique du parti. Ensuite, un secrétaire national est élu au suffrage direct des militants, avec un second tour si aucun candidat n’obtient la majorité absolue à l’issue du premier. Il ne s’agit en aucun cas de faire dire aux règles ce qu’on préfère leur entendre dire.

Le fait est que, dans mon exemple ci-dessus, qui pour n’être qu’un exemple est une hypothèse non moins crédible qu’une autre, la volonté des électeurs exige que le candidat E soit battu.

Source : Tout sauf Ségolène et Condorcet



15 réactions


  • Gabriel Gabriel 10 novembre 2008 11:13
    Bonjour,

    Concernant Mme Royal, je m’aperçois toujours avec la même surprise les haines et rancoeurs qu’elle suscite et j’avoue sincèrement que j’ai du mal à les comprendre. Certes la dame du Poitou a un ego important mais ne l’ont-ils pas tous ? De plus ses idées :
    De démocratie participative avec le contrôle des élus.
    De solidarité non gratuite avec le donnant donnant,
    De priorité à l’écologie dans l’économie (qui en terme de création d’emploi peu se révéler très prolifique).
    D’encadrement des jeunes délinquants par l’armée afin de leurs redonner le respect des autres et surtout d’eux même (plutôt que de les mettre en prison et en faire de véritable caïd).
    Voici quelques exemples qui ne me choque pas et qui redonneraient un peu d’humanité et d’efficacité dans notre société. Bien sur, je ne prétends pas que cela est merveilleux mais, sincèrement, ne serait ce pas mieux que ce que l’on a actuellement ? Un sarko qui nous a fait du Bush pendant 2 ans et qui continu sur la même ligne. Quant aux éléphants du PS, nous les avons déjà vu à l’œuvre, que dire de leurs assommants silences pendant la casse sociale mise en place par N.S et son équipe. Au PS elle a été une des rares voix à s’élever contre cette politique absurde et la plupart de ces idées sont reprises par les prétendants au poste de secrétaire du PS (Les hypocrites). Pour finir si la base est avec elle c’est que sa démarche n’est pas aussi mauvaise que ça. Pourquoi les médias, les cadors du PS et de l‘UMP la casse sans cesse ? C’est peut-être qu’elle gène, à réfléchir.

    • SALOMON2345 16 novembre 2008 12:12

      AAAAAAAAAh, le boneteau ! Quel beau jeu ! Dommage qu’il s’agisse d’une manipulation, d’un enfumage !
      Si 70% n’iront pas voter pour Ségolène de même :
       75% n’iront pas voter pour Bertrand
       75% n’iront pas voter pour Martine et in fine
       81% n’iront pas voter pour Benoit !!!
      ...les sommes et les chiffres sont maléables à merci et ressemblent à qui prétend qu’il n’est pas : "haut de plancher mais plutôt bas de plafond" !
      On navigue ici en plein sophisme, un ami me disait qu"avec un raisonnement étonnament logique mais bâti sur une base fausse, on construisait ainsi une Tour de Pise !....Et si les sudistes avaient été plus nombreux......
      Salutations.


  • Gabriel Gabriel 10 novembre 2008 11:42
    Bonjour Kolymine,

    Je ne prends pas S.R pour une sainte, loin de là. Je remarque, encore une fois, que parmi le sérail politique, c’est elle qui en prend plein la gueule à chaque fois qu’elle intervient ! Pourquoi ?
    De gauche et droite, personnellement je n’en sais rien et j’aurais tendance à dire :" qui n’a pas retourné sa veste dans ce milieu ?". Mais là de tels propos deviennent stériles et puis chacun a le droit de se tromper ou d’hésiter à un instant ou un autre de sa vie. Ce qui m’intéresse aujourd’hui c’est sa position et ses propositions. Bien sur vous pouvez me répondre qu’elle ment comme NS l’a fait et continu à le faire. Mais dans le doute je lui accorde mon crédit et puis quelqu’un qui a tous les politicars à dos ne peux pas être complètement mauvais. J’aime à penser que le sage cherche toujours la vérité, alors que l’imbécile, lui l’a déjà trouvé.

    Cordialement

  • Philippe D Philippe D 10 novembre 2008 12:16

    L’article pourrait en effet être sous titré :

    De l’art et de la manière de bien choisir et justifier les règles "démocratiques"

    Car l’auteur ne se serait pas posé ce genre de question si le candidat (la motion ?) C était arrivé en tête.
    N’est-ce pas ?


  • Dedalus Dedalus 10 novembre 2008 12:26

    bah en réalité, j’ai passé quatre années entières à me poser cette question, au point d’en avoir fait une thèse de doctorat. à l’époque - pas si lointaine - Ségolène Royal n’était pas née politiquement.

    mais libre à toi de mettre aux ordures ce qui ne convient pas à tes petites certitudes.


    • Philippe D Philippe D 10 novembre 2008 12:36

      Aucune certitudes, ni grandes ni petites en cette matière, pour ce qui me concerne.
      Juste l’obervation très extérieure et amusée des débats démocratiques internes dans lesquels le PS se débat pour notre plus grand plaisir.



  • pissefroid pissefroid 10 novembre 2008 13:39

    Dire "la volonté des électeurs exige que le candidat E soit battu" signifie que les électeurs qui ont choisi les autres motions que E ont voté contre E.
    C’est un raisonnement mathématiquement absurbe. Les électeurs ont voté pour la motion qu’ils préféraient (Je présume que les militants socialistes sont suffisamment éclairés).
    Dire que l’on préfère A, C ou D ne signifie pas que l’on est contre E (préférer les noisettes ne signifie pas que l’on ne mangerait pas des noix ou des bananes).


  • Dedalus Dedalus 10 novembre 2008 14:00

    oui... et non. c’est d’ailleurs tout l’objet de cet article, donné à comprendre que voté X ne dit rien de ce qu’on pense de W, Y ou Z.

    d’où l’intérêt de procéder à plusieurs tours afin d’en savoir d’avantage.

    parce que c’est différent de voter X en ayant en second choix W, puis en troisième Y et en dernier Z, que de voter X en ayant pour second choix Z et en dernier W.

    pour le cas du PS, l’objet de l’article est de montrer qu’il est tout à fait envisageable que E soit arrivé en tête à l’issue du premier vote, mais qu’une grande partie de ceux qui n’ont pas fait ce choix classe en réalité E en dernier dans leurs préférences. en ce cas, la mise en place d’un Tout Sauf E est parfaitement justifié, est la réponse démocratique à la volonté des militants.

    et à l’inverse d’ailleurs, le TSSégo ne saurait être une stratégie gagnante si la réalité du rejet de Ségo ne s’avérait pas majoritaire.



    • JoëlP JoëlP 10 novembre 2008 14:10

      Bravo Dedalus !

      Excellente illustration des traveaux de Condorcet sur l’impossibiité de mettre en place un système d’election indiscutable. Au 20ième siècle, Kenneth Arrowprix Nobel a démontré dans sa thèse Choix social et valeurs individuelles le théorème d’impossibilité d’Arrow qui affirme que des règles pour établir un choix collectif ne peuvent répondre à aucun critère raisonnable. Ce résultat très théorique est surnommé le paradoxe d’Arrow ou la « démocratie impossible ».

      http://perinet.blogspirit.com/archive/2006/07/03/democratie.html


    • Senatus populusque (Courouve) Courouve 10 novembre 2008 14:41

      Autrement dit, le principe de cohérence transitive qui veut que si l’on préfère A à B et B à C, on doive préférer A à C, principe valable pour un individu, n’est pas valable pour un groupe à partir de trois personnes.


    • JoëlP JoëlP 10 novembre 2008 15:39

      Oui, merci pour la précision. C’est vrai qu’implicitement l’article se base sur cette fausse transitivité. Cela ne veut pas dire non plus que les conclusions soient toujours fausses mais simplement qu’on ne devrait pas conclure.

      De toute façon, la politique ne tient jamais compte des mathématiques et réciporquement les mathématiciens devraient faire de même avec la politique. S’il avait appliqué cette réciproque Condorcet ne serait pas mort dans des conditions lamentables.


  • al44 10 novembre 2008 14:53

    Entièrement d’accord avec toi Pissefroid, c’est réducteur de dire que 70% sont contre Ségolène. Alors plusieurs commentaires. Si on a Sarko 1er c’est pour 3 raisons : - le même genre de raisonnements réducteurs, le PS n’a pas d’idées, pas de programme (pendant la campagne de 2007). Ségo c’est une bécassine ... Donc Si E = 30 alors A+C+D = 70 ... Mais malheuresement ça marche (travailler + pour gagner +) - les Ayathola genre Emmanuelli et consorts qui ont démolis Ségo car elle a proposée une association avec le modem entre les 2 tours donc elle est de droite. - La récupération de grandes phrases soit tronquées, soit sorties du contexte, comme les gens de l’UMP qui cite Rocard sur l’émigration : La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde . En oubliant la seconde partie : mais elle doit en prendre fidèlement sa part. Personnellement je suis contre un consensus mou sur les motions Je suis pour que le jeunes prennent le pouvoir (les Montebourg, Valls, Hamon, Peillon ...) Si il faut faire des accords avec le modem, le NPA, les martiens pour battre l’UMP et Sarko pas de problème, traitons les pb un par un cela n’engage pas toute la politique qui sera faite une fois au gouvernement. Mais j’ai malheureusement peur que le film de 2007 avec Ségolène ne ce reproduise, aux vues des posts sur les différents forums. Je ne suis pas un pro sans conditions de Ségolène, mais elle a démontré des idées originales, elle semble ouverte à l’arrivée des jeunes et des 4 en lices, pour moi il n’y pas photo c’est elle qui a le plus de charisme (même si il est emprunt d’un peu de mysticisme). Il me semble que son plus grand defaut est de ne pas être trés partageuse (beaucoup de Je dans les discours) En conclusion , sur le fond l’article est interessant. Effectivement le PS veut être démocratique mais la procédure ne peut pas le permettre . Quelles solutions : - un second tour avec les 2 premiéres motions ? ( pas terrible non plus) A suivre


    • ARMINIUS ARMINIUS 10 novembre 2008 15:28

      Et en réunissant Ségo et DSK on additionne les favoris du PS et des non PS, par contre c’est le mariage de l’eau et du feu. Il faudrait que Ségo mette en couveuse son Ego et que DSK mette en veilleuse son coté macho.
       D’un autre coté avec une telle souris l’éléphant devra faire gaffe à sa trompe...


  • Georges Yang 10 novembre 2008 19:06

    L’articleprésente un certain intérèt mais le titre fait peur !
    Coment comparer Condorcet, un génie, à Ségolène, une.... il ya trop d’adjectifs négatifs et péjoratifs pour tenie dans une page !


  • Loone Pierre Gradit 17 novembre 2008 09:01

    Bel effort de formalisation, mais un facteur clé est absent : la nature du collège des votants. 55% des votants se sont déplacés pour le vote des motions, comment va se comporter les 45% des absententionnistes ?
    A ce titre j’ai un souvenir marquant : entre les deux tours des élections législatives de 2007 où j’ai tenu le même bureau de vote pendant toute la journée, je n’ai pas vu les mêmes personnes voter ! Les personnes qui ont voté aux deux tours m’ont semblé largement minoritaire par rapport à ceux qui n’avait voté qu’un seul tour...
    Or la nature des deux scrutins étant contraires — parlementaire vs. présidentiel — il est fort possible que le collège électoral évolue significativement même dans cette population fortement politisée des militants et adhérents du PS.


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