mardi 2 avril 2013 - par Gonzague

Un bien étrange paradoxe…

 … si tant est qu’un paradoxe se puisse ne pas l’être. 

Ce texte fut rédigé il y a plusieurs mois, à une époque où il faisait encore chaud, une saison qui n’existe que dans le nord de l’Amérique et qui fut en 2012 égayée par le départ de Depardieu pour la Belgique- ce qui n’était nonobstant dans le temps qu’une rumeur basée sur une autre rumeur selon laquelle l’acteur serait devenu propriétaire d’un habitat du côté belge de la frontière belge. A la réflexion, cette tribune est universelle et c'est la raison pour laquelle elle est aujourd'hui, malgré son ancienneté, soumise ici-bas. 

Nicolas Sarkozy, de même que certaines autres personnalités de droite, ont des années durant mis l’accent sur une certaine idée de la France, de la Nation, de ce que celle-ci a transmis à ses habitants, a apporté au monde, a légué à l’Humanité. Ce patrimoine, réel ou fantasmé, n’est pas matériel, il est moral, intellectuel, il relève de la pensée, de l’idéel en quelque sorte. Pour illustrer de manière simple ce à quoi semble tendre cette frange de la droite dont il est ici question, prenons l’exemple du discours que M. Sarkozy a tenu en place de la Concorde le 15 avril 2012 et dans lequel il s’exprimait comme suit :

« Vous (les soutiens de M. Sarkozy, NDA) êtes les porte-parole de ceux qui n'ont jamais la parole, de ceux qui ne demandent jamais rien, qui ne se plaignent jamais, mais qui sont fiers de la France, fiers de sa culture, fiers de sa langue, fiers de son identité. […]La France n’est pas un pays comme les autres […] Quand on parle de la France on entend le cri de Valmy [...], on entend la voix de Napoléon [...], on entend le nom du général de Gaulle [...], on entend la voix d'Aimé Césaire. Nous sommes les héritiers de cette France […] et nous n'avons pas le droit de laisser se dilapider l'héritage de cette France éternelle  »

On peut à la lecture de ces quelques lignes deviner que Nicolas Sarkozy, et par là-même tous ses appuis, ont une bien noble conception de la nation française et qu’à ce titre ils participent également et activement de la pérennité, avérée ou supposée, de cette dernière.

Certes. Mais d’où vient-elle, cette France éternelle ? S’agit-il d’une génération spontanée, d’une survenance ex nihilo ? Est-elle un fruit sans arbre, cette « France », une conséquence sans cause ? D’où viennent Césaire, Hugo, Péguy, tous cités dans le discours dont je ne transcris que quelques bribes ci-dessus ? Concernant Victor Hugo, géant parmi les géants, citons-le dans le texte :


Chaque enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne

Ne sont jamais allés à l'école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d'une croix.

C'est dans cette ombre-là qu'ils ont trouvé le crime.
L'ignorance est la nuit qui commence l'abîme.

Où rampe la raison, l'honnêteté périt

Victor Hugo, Les Quatre vents de l'esprit, 1881.

 

L’éducation comme frein au crime, la connaissance opposée à la répression. L'éducation serait donc un moteur grâce auquel un homme peut être gagné ? Il ne me semble pas avoir vu de telles traces dans les discours de M. Sarkozy ou des personnalités de droite, qui préfèrent semble-t-il largement le « bagne » à l’enseignement. Pourquoi donc citer un auteur dont les aspirations sont contraires à ses propres actions ?

Mais M. Sarkozy n’étant plus président, il en devient une cible facile, trop facile, tournons-nous vers ses soutiens, ceux qui semblent accorder du crédit aux dithyrambes sur « la France éternelle ». Gérard Depardieu par exemple semble bien d’accord avec cette idée, puisqu’il s’assoit aux côtés de Bernadette Chirac et applaudit les discours de Sarkozy. Alain Delon, également, qui n’a certes pas le bon goût de Depardieu et ne s’assoit pas à côté de l’ex première dame de France, appuie Sarkozy et souligne par la même occasion son attachement à grandeur nationale et à l’ampleur de sa culture. Et Johnny Halliday. Et Charles Aznavour, même lui, qui participe pourtant au rayonnement culturel de la nation, approuve le message de Sarkozy.

Dès lors pourquoi choisir l’exil fiscal ? Pourquoi être, à l’instar de Sarkozy citant Hugo, en telle contradiction entre les buts explicitement visés et les moyens sciemment esquivés ? Charles Péguy fut l’un des tout premiers bénéficiaires de l’école publique laïque et gratuite ; et donc de l'éducation nationale. Sans celle-ci, Péguy aurait pu « finir au bagne », « signer d’une croix », « rencontrer l’abîme ».
Et qu'en est-il de Césaire ?

Participer à la concorde nationale en refusant l'exil, en payant des impôts, en soutenant par là même l’éducation nationale (premier budget ministériel, et de loin le plus important) qui, par la base, pousse à la découverte, la connaissance, l’excellence, qui lutte contre la criminalité, permet l’épanouissement personnel et collectif, c’est justement participer à cette idée. Comment ne pas voir l'extraordinaire paradoxe relevant de la défense à outrance d'un édifice auquel on refuse d'apporter sa pierre ? Le contraire devrait être évident, ceux qui ont les moyens et noient sous les éloges une nation qu'ils admirent devraient même, de leur propre chef, contribuer plus encore au rayonnement qu'ils encensent.

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PS : A ceux qui me diront que les pertes dues à l’exil fiscal sont bien négligeables au vu des budgets alloués à l’éducation nationale, je répondrai qu’ils ont mal lu mon texte, que celui-ci doit se lire d’un point de vue moral et non comptable. On estime en outre à 8 milliards les pertes directes et indirectes liées à l'exil fiscal.



3 réactions


  • soi même 3 avril 2013 15:03

     Ne nous faisons pas d’illusion attife, ils sont tous en trains de démembrés la France à leurs façons.
    C’est même devenue le nouveaux moteur en France pour avoir le pouvoir, la condescendance, la flatterie et le mensonge, chacun va de credo politique pour arrivé à ses fins.

    Avoir le pouvoir, c’est sonnant et trébuchant, il faudrait vraiment être naïf que dans cette élite que c’est le don de soi qui à le dernier mot, heureusement il y a toujours l’exception qui sauve la règle, l’égoïste qui élargie son égoïsme aux autres.

    .


  • clemjuris clementsi 3 avril 2013 15:59

    Le paradoxe est effectivement considérable ! Depardieu refuse de donner son argent à ceux qui défendent ses idéaux et décide d’en donner moins à ceux qui les détruisent, alors qu’il aurait pu aller dans un pays démocratique en allant dans un paradis fiscal (Belgique, Pays-Bas...) ! 
    Concernant l’exil fiscal, je penses qu’il faut remplacer le baton par la carotte. Pourquoi menacer et conspuer ceux qui sont, de toute façon, plus fort ? Nos hommes politiques me font penser à des fourmis faisant la guerre à des Elephants ! Il serait bien plus intelligent de rendre public les personnalités qui payent le plus d’impot en France, afin de leur attribuer une juste gratification morale.
    Je vous signale de plus que le principe de consentement à l’impot a valeur constitutionelle ( un principe à la fois démocratique et monarchique ; paradoxes, paradoxes) et donc critiquer les exilés fiscqux et ne faire preuve d’aucune gratitude à ceux qui restent, c’est presque anti-constitutionnel !


  • Raymond SAMUEL paconform 3 avril 2013 16:15

    GONZAGUE,

    Oui le portefeuille avant tout.

    A part ça je ne peux pas laisser louanger l’EN comme vous le faites. Tout le monde sait, maintenant, ce que vaut l’EN au point de vue pédagogique. On sait moins (ou on ne veut pas trop savoir) l’importance des dégâts psychiques qui sont infligés aux enfants enfermés et soumis pendant toute leur enfance. On ne sait pas (et on ne veut pas trop savoir) quelle socialisation peut donner cet enfermement hors de la société réelle ; etc.

    Quel esprit d’initiative, quelle autonomie, quelle maturité peuvent acquérir ces enfants et ados dans ce milieu de contraintes entouré de hauts grillages et isolé du monde ?
    Dans l’ensemble, ils ne sombrent pas tous, mais grattez un peu la surface et vous trouverez les handicaps, les maladies psychiques chroniques, le manque d’estime de soi, la peur de l’autre, le besoin de violence comme la soumission au plus fort etc...

    Le savoir livresque ne fait pas des adultes exemplaires. La preuve est faite : Parmi les seize dignitaires nazis qui ont décidé de la solution finale, huit étaient docteurs !
    La culture paysanne (maintenant disparue) n’aurait pas produit ces seize monstres.


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