mercredi 25 février 2009 - par
Un livre iconoclaste
« Le monde selon K » par Pierre Péan, raconte l’histoire triste d’un homme courageux, hyperactif, entreprenant, idéaliste, devenu avec le temps idéologue, sectaire, mythomane, opportuniste, affairiste.
Le portrait - à charge - que dresse Pierre Péan est malheureusement crédible car les minutes du procès qu’il instruit en 324 pages (Fayard) sont reprises du héros lui-même qui est aussi bavard. L’auteur ne fait que le suivre à la trace en reprenant ses déclarations. Il est si transparent qu’il paraît avoir l’inconscience d’un innocent qui serait, en plus, infatué, péremptoire, manichéen, entêté, enfin, tel qu’on l’entend, on le voit en permanence.
Le livre décrit, par l’exemple, la façon dont il a fait de ses défauts des qualités qu’au début il a mises au service d’une idée généreuse, nécessaire, altruiste, en portant le secours médical puis humanitaire à des populations en proie aux horreurs de la guerre. Dès le Biafra (1968), l’ambiguïté est déjà là. Le camp des bons est facile à choisir mails il accepte d’être la victime consentante d’intérêts pétroliers qui se moquent de la population civile et de façon indirecte son action, l’exploitation qui en sont faites serviront à prolonger le conflit et les souffrances d’une population que l’on dit vouloir aider.
Le concept de Médecins Sans Frontières est né et l’image du bon docteur.
Le personnage y acquiert une dimension romanesque et Péan nous raconte une vie d’aventures où s’agite un homme acharné à courir le monde et ses endroits dangereux, à paraître, à décider, à entraîner, à se faire une place, à laisser une trace et aussi à s’admirer, à s’autoproclamer, à arranger la réalité, à choisir ses camps et, pour finir, à se prendre au jeu, à se croire et à se dire important. Et à le devenir au point d’être ministre, au Quai d’Orsay et d’y faire sa politique étrangère, ce que Péan ne lui pardonne pas, avec raison.
Le premier chapitre s’ouvre sur une scène digne de Guignol. Le ministre des affaires étrangères assiste avec son épouse à une réunion d’un club de femmes d’influence, le soir de la demi-finale de la coupe du Monde de rugby (France-Angleterre), le 15 octobre 2007. Le « God Save the Queen » retentit et le ministre, tel un ressort, se met au garde à vous, la main droite sur le cœur, selon une tradition d’ailleurs et paraît très concerné par le sort que Dieu réserve à Elisabeth II. Quand vient le tour de la Marseillaise, le ministre se met au repos et n’est plus concerné.
On suit pas à pas les étapes de la carrière et de la création du mythe, les moyens employés. Pierre Péan donne du sauvetage des boat-people, du Rwanda, du Kosovo, du Darfour une version différente de celle officielle, au point que l’on se prend à en faire un personnage du Consortium de Falsificateurs de Bello. Il est, en effet, passé maître dans l’art de désinformer, de manipuler, de choisir son clan, de fabriquer les génocides pour diaboliser ceux de l’autre camp, d’en tirer un parti qui n’est pas toujours à l’avantage des populations dont il se prétend le samaritain.
Péan insiste sur sa fascination pour l’Amérique et la façon dont il se met à son service. Ses choix politiques ne sont pas forcément ceux de la tradition diplomatique française mais cela ne paraît pas gêner celui qui a été le chercher.
Pierre Péan étend son analyse critique au duo très complémentaire qu’il forme avec son épouse journaliste. Conflits d’intérêts, népotisme, rien ne semble retenir ce couple dont l’arrivisme sans scrupule très bien récompensé en dit long sur la façon dont est recruté le personnel de l’état.
Ce livre est un document et un brûlot. Il a tout pour déplaire au pouvoir politique de droite comme de gauche puisque son héros navigue dans les deux eaux. Aucun débat au Parlement ne cherchera à savoir si la France a une politique étrangère conduite par l’homme convenable.
Il n’est pas non plus le bienvenu dans le marécage médiatique car Péan dit ce qui est caché, dévoile l’imposture, montre la petitesse d’une fausse grandeur construite par la complaisance d’une presse qui se contente de l’apparence, croit ce qu’on lui dit de croire et relaie l’indignation vertueuse de l’icône accusée de turpitude. Peureuse, convenue, complice et qui ne veut pas contredire ce qu’elle raconte depuis toujours, il la révulse. Cela explique le sort qu’elle a fait au livre et à son auteur.
En déchirant une légende, en montrant les coulisses d’une réussite médiatique, en déboulonnant une statue, Pierre Péan opère chez le lecteur un retournement d’opinion peu banal : le héros positif, admiré, admirable, perd au fil des pages et de la mise à nu sa splendeur et finit en personnage négatif dont on ne souhaite pas devenir l’ami et qui n’est pas à sa place. C’est dire combien la lecture du « Monde selon K » est salutaire.
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