Un mariage impossible : quand la croissance flirte avec le durable
La magie des mots ne cessera jamais de fasciner. Prenez, exemple tout à fait au hasard, ce petit bijou de dérive sémantique : « Le développement durable, ce n’est pas la fin du travail, c’est l’emploi durable. Ce n’est pas la croissance zéro, c’est la croissance durable ». Voilà ! Évacué le mot développement ; récupérée, lavée, blanchie, la bonne vieille croissance économique.
Ceux qui - comme l’auteur de ce billet - ne vivent pas en France, doivent bien se demander qui a eu ce mot qui pourrait tout aussi bien figurer dans le Bêtisier du développement durable.
Si je vous dis qu’il est de la droite et en route vers les plus hautes fonctions... Toujours pas reconnu ? Allez voir cette France dont vous rêvez, alors.
La gauche n’est pas en reste dans la quête d’une noblesse retrouvée pour cette « croissance » qui n’a cessé de hanter tous les politiciens, partout dans le monde, de quelque horizon qu’ils soient.
Attention, les petits malins, ce billet n’est pas un plaidoyer en faveur d’un retour à l’âge d’or d’une économie réglée sur l’horloge cyclique des quatre saisons, non plus que d’une utopique décroissance qui enlèverait aux pays riches pour donner aux pays pauvres.
Non, ce billet porte plutôt sur l’usage inconsidéré d’une notion qui risque de causer beaucoup plus de tort que de bien.
Impossibility statements are the very foundation of science. It is impossible to : travel faster than the speed of light ; create or destroy matter-energy ; build a perpetual motion machine, etc. By respecting impossibility theorems we avoid wasting resources on projects that are bound to fail.Daly était économiste senior à la Banque mondiale au moment où il écrivait ces mots cinglants à propos de cet oxymore qu’est l’expression « croissance durable ».Herman E. Daly. Sustainable Growth : An Impossibility Theorem. (Paru dans Herman E. Daly and Kenneth N. Townsend, Valuing the Earth : Economics, Ecology, Ethics.)
Remarquez que ça ne serait pas la première fois qu’un politicien mènerait son pays tout droit vers un cul-de-sac.
Mais outre qu’elle est un piège à cons, la « croissance durable » n’est-elle pas aussi une façon d’évacuer ce vilain mot de « développement » ?
Applaudissons, au passage, l’ONU et ses agences, qui ont tellement bien travaillé que le mot évoque désormais la charité.
La croissance durable pour les riches, le développement durable pour les pauvres ? En tout cas, la pirouette intellectuelle laisse perplexe.
À moins que ce ne soit le taux de croissance phénoménale de la Chine qui donne le vertige au point de tout mélanger dans ses idées.
Pour ceux qui en ont vraiment, évidemment.