Vote d’adhésion ou vote de protestation ?
Les commentateurs, les politologues et le monde politique débattent depuis dimanche sur la nature du vote en faveur du Front National. Ils en restent souvent à des analyses binaires sans entrer dans le détail.
Oui, il existe bien un vote xénophobe dans l’Est et le Sud Est qui a constitué le fonds de commerce du FN à l’origine, mais il serait réducteur de dire que c’est le seul moteur du vote frontiste. Ce vote se développe aujourd’hui au Nord et au nord est de la France et gagne désormais les zones rurales pourtant peu touchées par l’immigration, mais concernées par d’autres problématiques.
L’immigration
« Immigrés et sécurité », « Immigrés : assistés et fraudeurs » d’autre part, et « les immigrés prennent le travail de Français », ces trois amalgames expliquent le succès de la problématique de l’immigration auprès de l’électorat.
Ces affirmations demandent à être vérifiée : la sécurité serait-elle le fait majoritairement des immigrés ? Rien ne permet de le dire, mais le doute est savamment entretenu.
« Les immigrés seraient des assistés et des fraudeurs » et il faut combattre la fraude aux aides sociales ? Oui, il faut combattre la fraude quand elle existe mais elle n’est pas le fait des seuls immigrés qui servent d’épouvantail.
On en oublierait presque la fraude aux cotisations sociales (beaucoup plus importante que la fraude aux allocations), qui est le fait d’entreprises, lesquelles « omettent », de déclarer leurs travailleurs immigrés clandestins et favorisent l’arrivée en France d’une immigration exploitée et rackettée par les passeurs : c’est cela qu’il faut combattre. Cela rapportera davantage au budget de l’Etat.
« Les immigrés prennent le travail des Français » : Aujourd’hui, l’immigration officielle est sélective et ne concerne que les métiers en « tension » ou les rapprochements familiaux, mais l’immigration clandestine continue d’être active pour pourvoir à des manques de main d’œuvre dans les secteurs de la restauration, du nettoyage ou bien encore agricole. Réfléchissons un instant. Qui est responsable : l’immigré ou l’employeur ?
La désindustrialisation
C’est le second ressort du vote Frontiste qui concerne les zones touchées par la fermeture des usines, dans le Nord et l’Est en particulier. Ce vote constitue un refuge protestataire pour les ouvriers et employés qui voient leurs repères s’effondrer et leur statut social disparaître : pointer au chômage constitue la seule solution pour certains, qui n’envisagent pas de se déraciner de leurs territoires, ni se reconvertir dans un autre métier, quand il existe des débouchés. C’est d’autant un vote de protestation que ceux qui l’émettent se souviennent que la gauche a participé au mouvement de libéralisation de l’économie, mortifère pour l’emploi.
L’abandon des territoires ruraux
Fermeture du bureau de poste, du dernier commerce et de l’école, tels sont les ingrédients du sentiment d’abandon des zones rurales, peuplées de retraités à faibles revenus ou de jeunes couples qui ont échoué là, parce que le prix de location des logements y est encore accessible, sauf que, pour se déplacer, il faut remplir le réservoir ou bien utiliser les transports en communs, lorsqu’ils existent. Les résultats sont là : malgré les 500 000 élus qui sont sensés gérer nos territoires, le lien social se délite, la marginalisation s’accroit et le vote frontiste progresse dans les zones rurales.
Peut-on parler, à partir de ce qui précède, de vote d’adhésion au programme du Front National ?
Non, le vote de protestation semble majoritaire. Même si le vote d’adhésion est bien présent, il n’explique pas les 18 % obtenus par Mme Le Pen qui a su catalyser les mécontentements et les accompagner d’un discours simple mais efficace. Fermeture des frontières, retour au Franc, politique sécuritaire sont les éléments de programme, découlant de la « préférence nationale » et de la « souveraineté nationale » qui semblent constituer une réponse satisfaisante pour les électeurs du Front.
Que feront les électeurs du Front National au second tour ?
Il y aura une part de stratégie politique pour les purs et durs qui voient déjà se profiler une explosion de l’Ump en cas de défaite de Sarkozy et qui s’abstiendront ou voteront blanc ou nul. Pour les autres électeurs (les protestataires), on voit difficilement leurs suffrages se reporter sur le candidat sortant étant entendu que sur tous les thèmes énoncés expliquant le vote frontiste (immigration, sécurité, emploi, ruralité), les promesses de 2007 n’ont pas été tenues. On ne voit pas pourquoi, ces mêmes promesses, réitérées aujourd’hui, seraient plus crédibles. L’abstention ou le vote blanc ou nul devraient donc être également la règle pour ces électeurs. On imagine mal les bénéficiaires du RSA ou les chômeurs indemnisés, par exemple, se tirer une balle dans le pied en votant pour l’UMP, étant entendu que le candidat de ce parti a clamé haut et fort son aversion pour « l’assistanat ».
De son coté, pour l’électorat frontiste, le candidat P.S. est handicapé par une des propositions de son programme : le vote des étrangers aux élections locales, qui risque de braquer cet électorat. Il y a sans doute plus urgent : le retrait du droit de vote et de la carte vitale des français exilés fiscaux, mesure qui aurait le mérite de recentrer le débat sur les vrais tricheurs sans stigmatiser d’autres catégories.