Michel Onfray : la fin du Christianisme ? Le "scandale du mal" empêche-t-il de croire ? (dialogue avec un chanoine)
La fin du Christianisme ? Un dialogue sur le devenir du christianisme entre Michel Onfray et le père Michel, chanoine* régulier de l’abbaye de Lagrasse, animé par Eugénie Bastié.
Le Figaro, sortie le 18 janv. 2024
Minutage et transcription partielle de la vidéo (voir le lexique en bas de l'article pour les mots suivis d'un astérisque*) :
(3:30) Le rapport personnel de Michel Onfray avec le Christianisme
"Mon Jésus, c'est le Jésus du philosophe qui n'a pas la grâce*."
Père Michel : "Mon Jésus, c'est une personne que j'ai rencontrée, qui m'aime et que j'aime... J'ai donné ma vie pour cette personne."
(10:00) Le séjour de Michel Onfray à l'abbaye de Lagrasse
(13:00) Le sacré sans la foi ?
Dieu, Jésus, des métaphores de la lumière.
Michel Onfray : "Ce que l'on ressent comme du sublime, à mon avis c'est du sacré." ; "Le sacré n'est pas le monopole de la religion."
Père Michel :
"Le sacré, c'est ce Dieu qui vient. Et la lumière qu'il y a autour de lui, c'est ce sacré."
(18:30) Qualifiés de réactionnaire par Libération
Rite traditionnaliste ? "Un moyen d'exprimer ma foi et de la vivre."
Célébration orientée vers la lumière ?
"Célébrer tous ensemble vers Dieu, donc célébrer tous tournés dans le même sens."
(22:20) Citation de Benoît XVI (2008) :
"En considérant les fruits historiques du monachisme, nous pouvons dire qu'au cours de la grande fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la formation des nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l'antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle."
Père Michel : "Je ne suis pas un conservateur de civilisation, je cherche Dieu, je cherche le Christ."
(Incarnation)
Michel Onfray : "Le corps, du Christ, ce sont les cathédrales, c'est la Somme théologique... éventuellement Descartes... Pour moi, le corps du Christ, il est dans la civilisation occidentale."
Père Michel : "L'Église, c'est Jésus Christ répandu, continué et communiqué. C'est Bossuet."
(27:20) La figure de Saint Augustin
Père Michel : "Il assume tout l'héritage de la romanité antique, pour lui donner sens."
(31:45) Cette civilisation chrétienne s'effondre ?
Michel Onfray : "Toutes ces civilisations (romaines, grecques, précolombiennes...) ont disparu" ; "A Rome, plus personne ne croit à Jupiter."
"La question de la Parousie*, ça change tout. Si ça n'a pas eu lieu, c'est l'essentiel du christianisme qui s'effondre. Et du coup, le Christianisme se constitue sur cette impossible Parousie."
Père Michel : "Il faut penser la Parousie en termes allégoriques, mais pas seulement en termes allégoriques. (...) Le mythe, c'est un événement qui dit plus que ce qu'il est historiquement. La Parousie, c'est un événement historique à venir. Je le crois, je l'espère. Mais la Parousie, cette irruption de Dieu, dans ma vie, dans ma génération, je l'ai vécue : c'est ma conversion. C'est ma rencontre avec le Christ."
(36:53) La question du mal
Eugénie Bastié :
Je voudrais qu'on s'arrête aussi sur le dialogue que vous avez dans ce livre, "Patience dans les ruines", où il y a un échange de lettres entre vous deux, et sur la question du mal, le scandale du mal. Parce que c'est une des raisons pour lesquelles, vous, Michel Onfray, vous ne parvenez pas à croire, c'est la question du mal et notamment du mal fait aux innocents. Alors évidemment ça fait penser à cette cette question que soulève Dostoïevski dans Les Frères Karamazov, vous savez, où il dit :
"Si les larmes des enfants sont indispensables pour parfaire la somme de douleur qui sert de rançon à la vérité, j'affirme catégoriquement que celle-ci ne mérite pas d'être payée d'un tel prix."
Et vous, Michel Onfray, vous dites que devant le cercueil d'un enfant, vous n'ouvrez pas les évangiles mais les stoïciens* romains. Pourquoi ce scandale du mal vous rebute et vous empêche finalement de croire ; en fait c'est un des obstacles entre vous et le christianisme ?
(37:43) Michel Onfray :
Oui, le Dieu des chrétiens qui, théoriquement veut tout ce qui advient. C'est-à-dire qui veut la mort des enfants, qui veut la punition des innocents, qui veut que des gens qui incarnent pour moi le mal, n'aient aucun un problème dans la vie, enfin les prospérités au vice et les malheurs à la vertu, pour utiliser le vocabulaire de Sade.
Oui le problème du mal me gêne, et même quand je fais un travail d'exégèse, je l'ai fait avec un ami rabbin, le rabbin Azoulay, je dis : mais c'est quand même étonnant, dans la Genèse, quand on prend la Genèse, on se dit - que j'ai lue, relue que, je médite, que je lis, que je relis régulièrement, parce que il y a toujours des choses à découvrir -, mais comment se fait-il que dans le Paradis, il y ait déjà le serpent ? C'est quand même bizarre. On se dit, il y a le Paradis, et dans le Paradis il y a le serpent ; c'est-à-dire, le mal est dans le Paradis. Qu'est-ce que ça veut dire que dans le le lieu même de la félicité, le mal soit là ? Qu'il ait pris la forme du serpent, et que le serpent parle et qu'il soit dans la tentation etc. Parce qu'à un moment donné, on entend, on entend le bruit du serpent dans dans la Genèse. Et et je me suis dit, mais comment se fait-il ? Il sort pas de nulle part ce serpent, il est dans le Paradis. Donc le mal est consubstantiel au Paradis ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
Et moi, j'ai perdu ma compagne, qui a connu un long cancer, une souffrance incroyable, et qui était une espèce de de sainte, pour moi. Et n'a jamais ajouté de misère au monde, de souffrance au monde, elle n'a jamais dit de mal de qui que ce soit ou fait de mal. Et je me dis, mais pourquoi une agonie si longue, avec un cancer ? Pourquoi une disparition si jeune ? Qu'est-ce que ça veut dire ?
Alors, c'est pas jeune comme débat ; c'est toute la question de Voltaire sur la question du déisme*, du théisme*. Est-ce que le théiste pense que Dieu fait tout, veut tout, y compris la mort des enfants et que les voix du Seigneur sont impénétrables ? Le déiste dit non, Dieu ne veut pas le détail du monde. Moi je me pose quand même la question, effectivement, du nombre des injustices. Si Dieu peut éviter qu'ait lieu ce qui a lieu, pourquoi Dieu rend possible Auschwitz ? Pourquoi Dieu rend possible la mort des innocents ? Pourquoi est-ce que Dieu rend possible des cancers ? Chez n'importe qui d'ailleurs, même chez des gens mauvais. On ne peut pas souhaiter le cancer de qui que ce soit, y compris la pire des personnes. Et le mal pose problème. Dans l'hypothèse où Dieu peut faire le monde comme il le souhaite, pourquoi souhaite-t-il que le mal y soit ? Alors on connaît les histoires : pour éprouver la volonté des hommes, qui etc, etc. Il n'empêche, je pense qu'un monde qui aurait fait l'économie du mal, aurait été quand même nettement supérieur à un monde dans lequel le mal fait la loi.
(40:15) Eugénie Bastié : Il n'y aura peut-être pas de liberté dans ce monde...
Michel Onfray : "C'est la réponse..."
Père Michel : "C'est là où je pense que cette question du mal est décisive. Parce que on sort de l'idée pour rentrer dans la rencontre de deux libertés. C'est ce que je vous écrivais dans le livre : un Dieu qui voudrait la souffrance d'un innocent, soit comme une finalité, soit comme un moyen, n'est pas crédible. Je ne crois pas en ce Dieu."
Michel Onfray : "Il ne serait pas le vôtre, vous m'aviez dit."
Père Michel : "Il n'est pas le mien ce Dieu-là ! Il est mort ! Et c'est une bonne nouvelle ! Dieu qui voudrait le mal, ne serait-ce que comme moyen, il est contradictoire avec lui-même. Ce que je crois, c'est que Dieu veut la liberté, qu'elle soit celle des esprits - c'est le serpent de manière allégorique, donc des anges, ici des mauvais anges du démon -, ou celle des hommes, Dieu veut la liberté, au point de nous laisser faire entrer le mal et la mort dans le monde. Je vous proposais l'image de l'ami trahi, qui redonne sa confiance. Et c'est là où vraiment on quitte la philosophie et l'idée de Dieu, pour entrer dans la rencontre avec un Dieu qui veut librement, alors qu'il n'y est pas obligé, qui me veut librement, et où je dois donner une réponse libre. Mais, là je vous l'accorde, la question du mal, pour être vraiment dépassée suppose la grâce et la grâce de la foi.
Michel Onfray : "On est d'accord."
(41:42) Eugénie Bastié :
"Est-ce que vous avez évolué quand même sur votre position sur le christianisme ? Quand on voit peut-être la virulence qui était la vôtre dans le Traité d'athéologie, où effectivement vous aviez des mots très durs sur le christianisme et même sur la civilisation chrétienne. Que vous accusiez peut-être d'être dans le rejet de la chair, de la vie, avec peut-être une critique qui s'entend, d'ailleurs assez nietzschéenne du christianisme. Est-ce que vous avez évolué sur cette position ? vous êtes toujours dans la même continuité ? Vous avez changé de regard aussi sur ce christianisme dans un monde de plus en plus désacralisé ?
Michel Onfray : "J'ai été étonné de blesser avec le Traité d'athéologie." ; "Sur le fond, je n'ai pas changé. Sur la forme, je pense avoir changé."
Père Michel : "Vous nous dites : je n'ai pas la grâce, je ne crois pas, mais ce Dieu des chrétiens rend possible une civilisation que j'aime. Et vous créez un espace disponible pour l'attente de la grâce. Et cet espace disponible, cette faille qui est... Vous laissez la place à la liberté divine, pour vous rejoindre, et vous le faites même politiquement, philosophiquement, en disant notre civilisation doit laisser la place possible pour que Dieu puisse faire irruption dans nos vies. En cela il me semble que vous êtes déjà chrétien, même si vous n'avez pas la foi."
(48:06) Victor Hugo disait : "Les grands athées sont rares."
Le péril aujourd'hui : l'indifférence, l'individualisme ?
Père Michel : "Il me semble que le coeur de nos contemporains est habité par une profonde recherche de Dieu (...) qui donne un sens à ce qui, sans Lui, devient absurde."
Eugénie Bastié : "Il n'y a pas de société possible sans sacré ?" ; "Je crois que quand adviendra le culte de l'intelligence artificielle, on en viendra à regretter les chanoines de Lagrasse..."
(51:42) Fin de la vidéo.
Articles publiés récemment sur AgoraVox TV à propos de Michel Onfray et de l'existence du Christ (suite à la parution de son livre Théorie de Jésus) :
Débat sur Jésus-Christ : Michel Onfray face à ses contradicteurs
Frédéric Taddeï a organisé une confrontation sur CNews entre Michel Onfray, tenant de la thèse mythiste sur Jésus, et deux spécialistes de la question, pour lesquels l'existence historique du Christ ne fait aucun doute : Jean Staune et Jean-Christian Petitfils...
https://www.agoravox.tv/actualites/religions/article/debat-sur-jesus-christ-michel-99790
Michel Onfray : Jésus a-t-il réellement existé ?
Michel Onfray en parle depuis longtemps dans ses diverses interventions, sans grands développements. Il a enfin consacré tout un ouvrage à ce sujet épineux : l'existence historique, ou purement conceptuelle, de Jésus. Si la thèse mythiste ne fait pas florès de nos jours, aucun historien ne la défendant sérieusement, Onfray n'en a cure et avance ses arguments dans un dialogue avec le Frère Joël Boudaroua...
https://www.agoravox.tv/actualites/religions/article/michel-onfray-jesus-a-t-il-99564
Jésus a-t-il existé ? Jean-Christian Petitfils accuse Michel Onfray de complotisme
Jean-Christian Petitfils, historien de renom, mais aussi homme de foi, propose un récit graphique de Jésus destiné à communiquer au grand public les éléments historiques de la vie du Christ. Invité sur Radio Notre-Dame, il critique fermement les positions de Michel Onfray (qui nie l'existence de Jésus), allant jusqu'à l'accuser de complotisme...
https://www.agoravox.tv/actualites/religions/article/jesus-a-t-il-existe-jean-christian-99582
Lexique :
Chanoine (Wikipédia) : " Un chanoine (du nom latin médiéval canonicus de même sens, lui-même issu de l'adjectif du latin classique canonicus : « relatif à une règle, régulier » ; et du grec ancien κανών / kanôn, « règle ») est un clerc (voire un laïc) appartenant à un chapitre ou à une congrégation, et consacré à la prière liturgique au chœur (chanter la gloire de Dieu en plain-chant monodique fait partie intégrante de la liturgie), à la prédication, au secours des pauvres, ainsi qu'à la direction du chœur professionnel (le « bas-chœur ») conjointement à une fonction d'enseignement dans le but de pouvoir diriger le chœur d'enfants (la maîtrise)..."
Grâce (Wikipédia) : " Dans le christianisme, la grâce est une aide surnaturelle accordée par Dieu aux hommes pour leur salut, qui permet d'échapper à la damnation. Plus précisément, « la grâce est la faveur, le secours gratuit que Dieu nous donne pour répondre à son appel, devenir enfants de Dieu, fils adoptifs, participants de la divine nature , de la vie éternelle. Elle introduit dans l'intimité de la vie trinitaire. » Elle peut aussi correspondre au pardon, à l'affection, à l'amour et à la bienveillance divine. En Occident, les rapports de la grâce, qu'elle soit efficace ou suffisante, et du libre arbitre, ont été au cœur de controverses théologiques importantes. Le concept de grâce est aussi étroitement lié à l'idée de prédestination..."
Parousie (Wikipédia) : " La parousie est un concept de la théologie chrétienne qui désigne originellement à la fois la présence invisible du Christ dans le monde depuis la création et son retour sur la Terre à la fin des temps. Avec les années, la notion s'est limitée à sa signification eschatologique, c'est-à-dire, à la fin des temps, la « seconde venue » du Christ sur la Terre, la première étant sa naissance. Cette venue définitive se distingue de la Résurrection de Jésus, qui comporte une double promesse, celle de la venue en gloire (sa parousie) et celle de la résurrection des morts..."
Stoïcisme (Wikipédia) : "Le stoïcisme est une école de philosophie hellénistique fondée par Zénon de Kition à la fin du IVe siècle av. J.-C. à Athènes. Le stoïcisme est une philosophie de l'éthique personnelle influencée par son système logique et ses vues sur le monde naturel. Selon ses enseignements, en tant qu'êtres sociaux, la voie de l'Eudémonisme (εὐδαιμονία / eudaimonía, « le bonheur, la prospérité ») pour les êtres humains consiste à accepter le moment tel qu'il se présente, à ne pas se laisser contrôler par le désir du plaisir ni la peur de la douleur, à utiliser son esprit pour comprendre le monde et à faire sa part dans le plan de la nature, à œuvrer avec les autres et à les traiter de manière juste et équitable..."
Théisme (Wikipédia) : " Le théisme (du grec theos, dieu) est une conception qui affirme l'existence d'un Dieu à la fois personnel, unique, cause du monde dans lequel il agit. Le théisme n'est pas nécessairement religieux, il peut aussi être philosophique. Dans le premier cas, la relation de l'homme avec Dieu passe par des intermédiaires (la religion). Selon le théisme philosophique, Dieu régit l'univers directement..."
Déisme (Wikipédia) : "Le déisme est une doctrine religieuse qui rejette toute révélation et ne croit qu'à l'existence d'un Dieu comme cause du monde et à la religion naturelle. Selon lui, la raison peut accéder à la connaissance de l'existence de Dieu mais ne peut déterminer ses attributs. Il s'oppose ainsi aux religions instituées, à leurs dogmes et leurs rites, en tant qu’elles se fondent sur la révélation d’un Dieu personnel..."
Valyria Tanit, sur X : https://twitter.com/valytanit
Tags : Société Histoire Religions Spiritualité Culture Christianisme Michel Onfray Polémique
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