mercredi 1er février 2023 - par Jérémy Cigognier

« J’ai toujours été bercé avec ces coutumes que j’adore » : des Occidentaux de traditions balto-slaves, parlent


Source de l'image : Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank

 

Bonjour ! Quel est votre nom ou surnom balto-slavisant ?
Dymoon : Dymoon.
Mrodistov Mrodiszczewski : Bonjour. J'ai eu plusieurs pseudos. L'un d'eux est Mrodistov Mrodiszczewski. C'est mon pseudo dans la sphère ésotérique et païenne. J'ai également été Rodiste à la vieille époque des forums. Un Rodiste est un adapte de la Rodnoverie, la foi ancestrale des Slaves.
Wieslaw Jagodzik : Bonjour, mon nom de famille est Jagodzik et mon prénom Wieslaw.
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Zirnitra Pietrzyk herb. HabdankMayishtar en d’autres lieux.
Mervis Nocteau : Gazik, un surnom fictionnel dans un roman inachevé, vieux de 22 ans aujourd'hui. Que l'Europe occidentale ne se sente pas si éloignée de l'Europe orientale, surtout par les temps malsains qui courent… Rien que dans les siècles qui précèdent, la relation franco-slave et la République des Lettres européenne, sont intenses, des amours d'Honoré de Balzac à Milan Kundera, en passant par Fiodor Dostoïevski. Nous avons besoin du mental slave : puisons-le à la source païenne, si possible.

Qui êtes-vous dans la vie civile ?
Dymoon : Jeune homme d'une trentaine d'années, je travaille dans le commerce international et l'ingénierie des produits parfumés [d'ailleurs auteur de « l'Art de la parfumerie magique » aux éditions Danae – ndlr], vivant en pleine campagne méditerranéenne.
Mrodistov Mrodiszczewski : J'ai la trentaine. Je travaille dans la fonction publique. Je reste un peu vague car mon employeur n'apprécierait sûrement pas que j'affiche mes pratiques spirituelles, ésotériques et religieuses. Neutralité du service publique oblige…
Wieslaw Jagodzik : Fils d'une famille polonaise, je suis musicien, marié et père d'une magnifique petite Polak nommée Slavena. En amoureux d'Histoire, je fais également partie d'une troupe de reconstitution gauloise (période « guerre des Gaules ») et d'une Slavo-viking [mouvance de Scandinavie centrale, dite des Varègues, ayant donné les Rus, fondant le fameux pays homophone– ndlr].
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Chef d’entreprise, descendante des immigrés polonais, venus travailler dans les mines du Nord de la France.
Mervis Nocteau : Je renvoie aux entretiens avec les celtisants, nordisants et romanisants. Enfin plus le temps passe, moins la distinction vie religieuse/civile vaut. Séparer le sacré du profane – à te l'éloigner exponentiellement dans une éternité absolue – est monothéiste. Nos polythéismes ont des hiérarchies continues du sacré au profane. « L'athéisme » – en fait l'irréligion, puisqu'il existe des religions sans dieu, a-thées« l'athéisme » perpétue la séparation monothéiste, sauf que le sacré est humain, serait-ce « matérialisé », appauvri, réduit, pseudo-compris, en forme d'hormones sérotoninergiques au point de vue biologique : le sacré fait partie de l'expérience. Toutes les tentatives spirituelles sauvages en témoignent, jusqu'aux transfusions new age du « matériel » avec le religieux : des délurés mêlent « la matière » à la religiosité pour s'en convaincre, prétendant que les sciences prouvent les religions et réciproquement. Truc malsain même chez des gengens passés au Monde des religions tels que Frédéric Lenoir, qui fait carton-plein en librairie pseudo-philo/éso. Ça se tient « là », le barnum est gros comme ac, et c'est bien chan-mé de ses morts. Calmez-les.

Pourquoi vous êtes-vous tourné vers le paganisme balto-slave, spirituellement ? D'ailleurs trouvez-vous la notion de paganisme pertinente ?
Dymoon : J'évolue sur un mouvement païen reconstructionniste slave qui s'appelle la Rodnoverie – terme de 2 mots russes : родной, originel et вера, croyance. Je n'ai jamais partagé les convictions de mon entourage concernant les religions monothéistes et plus particulièrement l'orthodoxie. Je suis d'origine russe, ayant grandi dans l'oblast [division administrative issue de l'éclatement de l'ex-URSS– ndlr] de Volgograd. Ma grand-mère partageait les convictions liées aux anciennes traditions, et je me retrouve beaucoup plus dans les rites et traditions anciennes, avant le grand baptême, que dans les religions monothéistes. J'agis pour la résurgence de ces cultes, dans le respect des traditions passées, tout en prenant en compte les digressions liées à notre époque.
Mrodistov Mrodiszczewski : J'ai découvert les religions antiques et polythéistes, quand j'étais au collège. J'ai eu alors comme une révélation, et à partir de ce moment je me suis mis à prier les Dieux égyptiens. Les années ont passé et j'ai (re)découvert les origines slaves de ma famille. J'ai commencé à apprendre le russe et le polonais au lycée et à la fac'. C'est en m'intéressant à la culture des pays d'Europe de l'Est et d'Europe Centrale que j'ai découvert les Dieux slaves. J'ai longtemps hésité, puis je me suis dit qu'après tout je pouvais très bien prier des Dieux issus de différents panthéons. Aujourd'hui, ce sont les Dieux slaves qui occupent une très, très grande partie de ma pratique spirituelle, pour ne pas dire la quasi totalité de ma pratique… Si la notion de paganisme est pertinente ? Oui et non. Non, car ce terme est un peu galvaudé. Il serait plus juste de parler de néo-paganisme. Le christianisme n'a pas vraiment permis aux religions antiques et polythéistes de poursuivre leur évolution. Il y a eu coupure, même si des éléments ont survécu, notamment chez les Slaves – il y a quand même eu coupure. Voilà pourquoi il faudrait parler plutôt de néo-paganisme et non de paganisme. De plus, la wicca est vue comme une religion païenne, hors entre le culte slave et la wicca, il n'y pas beaucoup de points communs. Je précise que je n'ai rien contre la wicca… Et j'ai aussi envie de dire oui, car le terme paganisme réunit sous une même notion les religions antiques polythéistes, ce qui permet d'effectuer un premier tri entre les religions dites païennes et polythéistes d'un côté, et les religions abrahamiques et monothéistes (christianisme, judaïsme et islam) de l'autre. Les premières ont été souvent victimes de l'expansion des secondes.
Wieslaw Jagodzik : Pour ma part je me suis dirigé vers la religion slave exclusivement, de par mes racines polonaises. Bien qu'ayant été élevé par des parents catholiques, de nombreuses choses de cette religion (surtout en Pologne) gardent des pratiques païennes. J'ai donc toujours été bercé avec ces coutumes que j'adore. Dès mon enfance je savais qu'il existait un Monde du Double – des esprits, d'autres créatures et des puissances autour de nous. Le monothéisme est vide de sens et lorsque l'on creuse un petit peu, notre véritable héritage se trouve dans les anciennes religions ethniques de chaque peuple européen. J'ai donc (re)découvert l'ancienne foi de mes ancêtres (Rodzimowierstwo) grâce à [au Dieu] Svarog il y a de cela 20 ans… Le terme paganisme ne me dérange en aucun cas. Si ce mot a été donné aux croyants de l'ancienne foi pour les dénigrer, qu'il en soit ainsi et puisse-t-il être aujourd'hui un mot qui sonne aussi fort, aux oreilles de nos détracteurs, qu'un tir de canon.
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Ayant une sensibilité polythéiste depuis l’enfance, il fut naturel de me tourner vers le paganisme à l’adolescence. Après un passage par le néo-polythéisme – faute de mieux dans les années 90, – j’ai opté pour un retour vers la foi de mes ancêtres maternels slaves, quand il fut possible de trouver des ressources utilisables. Aujourd’hui, j’administre le groupe francophone Facebook dédié au polythéisme slave afin de rassembler les croyants de la diaspora : Bogowie Slowian [« Dieux Slaves » – ndlr] Le terme de paganisme, pas plus que celui de polythéisme, ne sont employés dans les pays slaves où est préférée la terminologie de religion indigène, néanmoins dans un contexte français, l’emploi de ces termes ne me pose pas de soucis, à la fois par commodité de langage mais aussi car ils ont perdu leur aspect péjoratif pour englober les religions – excluant l’athéisme – non monothéistes. Les débats sans fin sur l’origine chrétienne du terme – dans une acceptation négative – sont sans intérêt.
Mervis Noceau : Je me suis tourné vers le paganisme slave, à cause 1° d'un fond substratique, 2° d'un cousinage géohistorique jusque dans ma Gascogne et 3° a minima d'un élément théologique… 1° Concernant le fond substratique : les Finnois, qui ne sont pas exactement les Balto-Slaves, sont à la croisée des mondes slave et scandinave – question voisinage, – et ouralien – question substrat. Je m'explique : à l'époque pré-indoeuropéenne, voilà plusieurs millénaires nous renvoyant au mésolithique, des « Anatoliens » diffusèrent l'agriculture et leur shamanisme dans le monde eurasiatique, à côté du shamanisme sibérien. Or, de ces « Anatoliens » et Sibériens restent résiduellement, différenciés, les Finnois/Sâmes, les Magyars/Hongrois et les Basques/Ibères : Basques/Ibères dont je ressors ethniquement, dans ma Gascogne… 2° À propos du cousinage géohistorique, les Wisigoths ont dominé cette même région gasconne – et bien plus, – dans les premiers siècles de notre ère. Pour être précis, les Wisigoths ont passé trois siècles entiers dans le monde slave, après avoir quitté le monde Baltique, évoluant jusqu'en antique « Ukraine », à travers la Polésie et la Scythie – avant d'investir l'empire romain. Cela laisse imaginer le degré d'acculturation wisigothique : les Wisigoths sont de culture scandinavo-slave… 3° Alors, élément théologique : en Gascogne, les Wisigoths ont a minima laissé le nom de Radegast – Dieu slave de la joie – en forme de Rabastens (pays de Bigorre)… Qu'on y pense : de nos jours, il y a autant de distance de Strasbourg à Bordeaux (en France) que de Strasbourg à Wroclaw (Pologne), à Bratislava (Slovaquie), à Prague (Tchéquie), à Zagreb (Croatie) ou à Budapest (Hongrie). Bien avant l'Europe orientale, l'Europe centrale est déjà slave : le mot slave est à l’origine de la Slavonie, de la Yougoslavie, de la Slovaquie et de la Slovénie. Slave est Européen… Les Wisigoths – quoi qu'adorateurs de Goth, épithète du scandinave Odin – vinrent de ce monde jusqu'en Gascogne, introduire a minima le Joyeux Dieu Radegast, malgré leur conversion au christianisme arien (proche des anciennes coutumes, religieusement tolérant et combattu pour hérétique) jusqu'à l'islamisation féodale au VIIIème siècle. Dans une Gascogne qui donc elle-même, ressort d'un monde basque ibère, s'étant archaïquement diffracté en résidus magyars-hongrois et finnois-sâme… Tous ces échos géohistoriques séculaires voire millénaires, ne sont pas banals, et font la richesse de ma région.

Qu'est-ce que l'ancienne coutume balto-slave ? Quelles distinctions faut-il faire entre les Baltes et les Slaves ? Quels liens entretient-elle avec les peuples caucasiens et moyen-orientaux ?


Dymoon : Les croyances du paganisme slave et plus particulièrement la Rodnoverie – à la différence des cultes monothéistes et ceux de la double foi (dvoyverie) – se basent sur la volonté de résurgence des rites et traditions, qui avaient lieu principalement sur la période d'avant 947 de l'ère commune, plus précisément avant l'événement du baptême – à savoir : la conversion du Prince Vladimir. Le paganisme slave s'est développé grâce à un solide substrat indo-européen quelque peu commun. Il représente certaines caractéristiques communes avec d'autres courants de croyances présents chez les Hindous, les Iraniens, les Grecs, les Romains, les Celtes, Germains et Baltes. La linguistique viendra appuyer ces propos puisque le terme diva (qui présente la notion d'esprit de la nature en proto-slave) aura des similitudes avec les mots deva (indien) – div (iranien) – deus ou dea (latin) ou bien encore devas (lituanien)… Le monde slave est composé d'une dizaine d'ethnies réparties en 4 groupes principaux – les Slaves orientaux, les Slaves occidentaux, les Slaves de la Baltique et les Slaves méridionaux – et également quelques ethnies qui sont « assimilées slaves ». Les relations et occurrences des autres peuples dans les traditions slaves sont conjointes à l'étude des routes commerciales et convergent très souvent en un centre historiquement reconnu pour son rôle de carrefour commercial, et qui est la région de la Polésie, située de nos jours entre la Biélorussie, la Pologne et l'Ukraine.
Mrodistov Mrodiszczewski : L'ancienne coutume ! Ouh là ! Vaste question ! Une thèse en mythologie comparée ne suffirait pas à y répondre. Je vais essayer de faire court. L'ancienne coutume balto-slave contient en réalité deux courants, celui des Slaves et celui des Baltes. Chez les Slaves, la fois ancestrale est la Rodnoverie et ses différentes adaptations/traductions en fonction des langues slaves ; chez les Baltes on parle plutôt de Dievturība pour les Lettons, de Druwi pour les Lituaniens et de Romuva pour l'ensemble des Baltes. Ils sont certes proches, mais pas tout à fait identiques. L'ancienne coutume slave, c'est avant tout l'hommage rendu à la gloire des Dieux slaves à travers les rites qui sont le plus possible proches des rites ancestraux. Ce sont les racines indo-européennes qui font le lien entre les Slaves et les autres caucasiens et européens. Les Slaves ont également été au contact les Scythes, un peuple indo-iranien. Pour donner un ou deux exemples, chez les Slaves il y a le Dieu Siémargl, qui présente une certaine similitude avec Simorġ (ou Simurgh) chez les peuples indo-iraniens. Le feu est leur principal point commun. Le Dieu slave Perun se retrouve chez les Baltes, où il est nommé Perunas/Perkūnas (en lituanien) et Pērkons (en letton). À l'inverse, l'arbre-monde diffère, mais je ne m'avance pas car cela sera évoqué dans une prochaine question.
Wieslaw Jagodzik : Alors il n'existe pas de coutume « balto-slave » mais deux coutumes bien distinctes, balte et slave. Bien qu'étant très proches et faisant partie du même noyau les Balto-Slaves se sont divisés tardivement, c'est pourquoi ils sont si proches religieusement. Si l'on retrouve un Dieu comme Perkunas qui se rapproche autant de Perun (Slave) ce n'est pas anodin. Cependant il y a des différences chez les Divinités telle que, par exemple, le Soleil : chez les Slaves il est masculin et « elle » est « féminine » chez les Baltes [en cela plus proches des Germano-Scandinaves – ndlr], etc. De plus les Slaves se sont un peu imprégnés d'influences germaniques et iraniennes, ce qui fait que cette religion est vraiment unique en Europe.
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Mon confrère Dymoon a bien résumé le contexte de notre foi. Pour ma part j’ajouterai que le polythéisme slave est une religion de carrefour, non pas un polythéisme européen mais un polythéisme eurasiatique, à fondement shamanique. Parmi les religions traditionnelles européennes, c’est celle qui possède le plus de lien avec le védisme, du fait de sa situation très en amont de la migration indo-européenne. Nous avons des passerelles nombreuses avec les Baltes (même si ces derniers ont une composante finno-ougrienne qui leur est spécifique) ; avec la foi germano-scandinave aussi, par l’implantation des Rus de Kiev, avec des figures telle que Perun, très proche de Thor-Donar ; mais encore avec le monde hellénique du coté des Slaves du Sud, avec des figures telles que Chernobog – un équivalent de Chronos et Hadès – et Morena/Jiva – très proche de Perséphone. Par contre je retrouve peu de points communs avec les druidisants. Nous n’avons pas le même type d’organisation religieuse, je ne retrouve pas réellement de mythe commun, et les quelques symboles/fêtes partagés sont typiquement paneuropéens. A contrario, la foi ancestrale slave possède également de clairs apports asiatiques qui ne se retrouvent pas dans les autres traditions européennes, avec des figures perses telles que celles de l’Aždaja ou du Simargl, ou sibériennes pour la composante shamanique encore très présente. Enfin, la dernière spécificité balto-slave est la quasi-continuité historique du polythéisme. Contrairement à nos confrères des autres traditions – qui ont connu des coupures se comptant en siècles – des villages de foi strictement polythéistes (n’ayant jamais entendu parler du christianisme) étaient encore présents à la fin du 19ème siècle en Karélie, relevés par les universitaires ; et le dernier mariage référencé comme pratiqué selon la foi polythéiste, remonte à l’arrivé des Bolcheviks. Ce qui signifie que nous avons encore des personnes vivantes aujourd'hui, dont les parents ou les grands-parents ont pu être polythéistes, ce qui présente un grand avantage pour la reconstruction.
Mervis Nocteau : L'ancienne coutume balto-slave est la branche évoluée, connue essentiellement dans les premiers siècles de notre ère et courant jusqu'au siècle dernier pour ses résidus les plus intègres, ayant été la dernière christianisée massivement au XIIème siècle féodal, dans l'aire de civilisation indoeuropéenne. Naturellement, chacune des branches indoeuropéennes – lusitanienne, ibère, celte, romaine, illyrienne, thrace, grecque, germanique, scandinave, balte, dace, scythe, perse… – pour ce qui concerne notre péninsule eurasiatique, s'est différenciée, depuis la culture de Hallstatt notamment (-1000), au travers de sa diffusion particulière, sur les cultures pré-indoeuropéennes locales, telles que les Scots, les Basques, les Magyars, les Sâmes… et toutes celles dont nous avons perdu la trace, entre, car n'ayant laissé aucun résidu discernable, à cause des brassages. Fatalement, les Slaves allaient aussi être influencés par leurs voisins Sibériens et Caucasiens, au point de compter aujourd'hui d'ailleurs, moults minorités ethniques diverses et variées. Le type slave lui-même, Européen de l'Est comme on dit, fait d'ailleurs penser à des « Eurarabes » ou « Arabes blancs ». Avec le Gascon d'ailleurs – puisque je ressors de la Gascogne – il a aussi une proximité géohistorique avec l'islamisme, en plus du christianisme.

Alors de nos jours, comment se manifeste le regain balto-slavisant ? Avez-vous quelque chose à dire sur la guerre russo-ukrainienne ?
Dymoon : Le paganisme slave jouit d'une volonté de résurgence des différents cultes. Nos confrères polonais ont œuvré pour la mise en place d'une organisation, sous forme d'association pour la résurgence du culte de la foi slave et polonaise, idem pour la Lituanie avec l'organisation de la Romuva. La communauté slavisante française est également très soudée, nous échangeons ensemble sur des thématiques qui nous tiennent à cœur et informons également les néophytes dès lors qu'ils manifestent un intérêt pour la foi slave. Même si ce sont des rites et traditions au demeurant relativement fermés par souci de préservation, nous ne sommes absolument pas fermés à la discussion et à l'échange avec d'autres.
Mrodistov Mrodiszczewski : Les pays d'Europe de l'Est et d'Europe centrale sont probablement les pays où la renaissance de la foi ancestrale – qu'elle soit balte, slave, finno-ougrienne, etc. – est la plus forte. Des villages païens slaves se créent en Russie, en Pologne et dans d'autres pays slaves, sans parler des associations cultuelles slaves. Des temples sont même reconstruits ! Imaginez cela en France pour le culte gaulois ou romain, c'est impensable ! [Et pourtant, cela existe à petite échelle– ndlr.] La guerre en Ukraine… Encore une vaste question. Je n'ai pas pour habitude de parler de politique, mais la guerre n'est pas une décision politique comme une autre. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet via les réseaux sociaux. La guerre m'attriste. J'ai eu le cœur soulevé quand j'ai vu cette armée de Poutine envahir l'Ukraine. Et j'insiste, c'est l'armée de Poutine pas celle de la Russie, encore moins celle des Russes. J'ai eu le cœur soulevé de voir deux nations pourtant si proches être ennemies à cause de la folie d'un homme. Cette guerre est fratricide. Je suis Slave et je ne peux m'y résoudre. Ma peine est grande pour le peuple ukrainien. Ma peine est grande pour le peuple russe, qui souffre autrement de cette guerre. Je ne parlerai ni des hommes politiques ni des femmes qui ne font guère mieux dans cette affaire, car j'ai au moins dix pages à écrire sur eux. Aujourd'hui, je prie pour la paix.
Wieslaw Jagodzik : Ça fait un moment que je fais partie de la fondation Watra, basée à Wroclaw en Pologne, et je vois avec les années le nombre de participants aux rituels s'agrandir. Il suffit de regarder les sites Internet également : il y a 20 ans de cela pour trouver la moindre info sur la Rodnoverie, c'était peine perdue excepté peut-être quelques sites polonais, slovaques, russes et ukrainiens. Aujourd'hui il y en a beaucoup, et de plus en Anglais. Bien que je n'aime pas lire le contenu des sites Internet – beaucoup mélangent différentes choses, inventent des fêtes ou des rituels ou ne sont pas aux courants des avancées archéologiques, – je préfère de loin les livres, mais les sites restes cependant une source d'information pour les novices. Donc oui, la Rodnoverie se porte bien et a de beaux jours devant-elle ! Espérons pour toujours… Concernant le conflit en Ukraine c'est un sujet compliqué. Les guerres fratricides entre Slaves, entre frères, sont horribles (comme toutes les guerres). Il y en a déjà eu de terribles qui ont laissé de graves séquelles mais pourtant ça se répète encore une fois. Je connais des personnes des 2 côtés, c'est encore plus compliqué de les voir séparées et s'entre-tuer. Bien que la liberté soit une chose extrêmement importante à mes yeux, prendre parti pour l'un ou pour l'autre m'est bien évidemment impossible.
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Le retour est très vivace en terres slaves et baltes. Des sanctuaires sont édifiés (quand ils ne sont pas détruits par des groupes orthodoxes bien trop désœuvrés pour leur propre bien…), des associations existent, la foi ancestrale est reconnue officiellement dans certains pays et en passe de reconnaissance dans d’autres. Notre foi fut la dernière à pointer le bout de son nez parmi les traditions européennes à cause de la situation politique, mais a depuis très largement rattrapé sont retard et est probablement avec les Baltes, l’une des plus actives. Coté France, la communauté n’est composée que de la diaspora slave, que ce soit les 4ème génération polonaise, les descendants de Russes blancs, les Balkaniques qui nous ont rejoint à cause de la guerre en Yougoslavie, ou plus récemment Russes et Ukrainiens. La communauté est petite, mais à la fois solidaire et engagée dans le travail de reconstruction. Certains ont écrit des livres, d’autres rédigent des blogs ou administrent des communautés sur Instagram ou Facebook. À terme nous pensons nous déclarer en tant qu’association. À l’heure actuelle, le groupe privé Bogowie Slowian sur Facebook est destiné à la diaspora mais accueille également des observateurs des traditions cousines.
Mervis Nocteau : Je ne suis pas Balto-Slave, ethniquement. J'aide le regain balto-slavisant avant tout, au titre plus large du regain polythéiste. Par contre, concernant la guerre russo-ukrainienne… la guerre, en elle-même, est un fait anthropologique total. L'armement et ses utilisateurs – combattants plus claniques (guerriers) ou administrés (militaires) – est la condition sine qua non de l'existence territoriale. Or, on ne connaît pas d'autre existence que territorialisée… en dehors des esprits, si je puis dire. Vivre, c'est occuper de l'espace, serait-ce l'espace d'un campement dans un espace de nomades. À ce titre stratégique, l'OTAN euraméricaine, ne pouvait pas rester indifférente à la Russie eurasiatique, et vis versa, à cause de leurs Europes en commun, d'autant plus que l'Ukraine est un espace charnière donnant sur la Mer Noire, et avec cette mer sur l'Asie centrale et la Méditerranée : la contrée ukrainienne est un haut-lieu géopolitique. On a beaucoup entendu parler ces derniers temps, côté russe, de « la doctrine douguinienne » : Alexandre Douguine est un Russe prônant un bloc asiatique stratégique, de l'islamisme oriental au shamanisme sibérien en passant par les Mandarins, multiculturel et multiethnique. À ce qu'on sait, Douguine n'a jamais rencontré Poutine et on ne peut pas dire que Poutine soit « douguinien », mais l'option stratégique coule de source, même sous l'angle euraméricain, sinon il ne soutiendrait pas l'Ukraine. Alors dans l'absolu, il était inévitable que « ça pète » là-bas, peu importe depuis quand, ni à cause des provocations de qui… Mais tout ceci n'a rien à voir avec la religion indigène slave, bien qu'on puisse imaginer des combattants russes comme ukrainiens, invoquer la pugnace foudre du Dieu Perun. Ce sera comme dans tous les péplums : Perun choisira ses Héros quittes à les faire périr – quand même la guerre moderne, depuis 1914, est une guerre déshonorante, sans gloire, car désertée par les chefs, et machinisée. Il y a eu des luttes inter-Celtes, inter-Germains, inter-Grecs, etc. : on voit mal comment il n'y en aurait pas inter-Slaves. Vivre, c'est finir par avoir des reproches à se faire, comme pouvoir se réconcilier. Il faut bien se réconcilier aussi : « après l'hiver vient le printemps »… Enfin j'ai conscience de pouvoir dire cela tranquille, depuis chez moi en France. Sauf que si j'étais combattant, le raisonnement ne serait pas plus bancal qu'il ne l'est, là. Nos émotions n'y peuvent rien. Un tel moral, un tel fatalisme, dit-on depuis Friedrich Nietzsche – qui s'y connaissait en fatalité, en partie d'ascendance polonaise d'ailleurs – est slave dans l'esprit. C'est le mien depuis enfant.

Quel est le Dieu principal des Balto-Slaves ? Rod, Svarog ou Perun ? Mais parlez-nous en général, de vos Dieux de prédilection et de votre manière de les vénérer : que vous apportent-ils, dans la vie ?
Dymoon : Dans la cosmogonie slave, Rod est le Père de Tout… Je suis prêtre de la Déesse Morena, qui règne sur l'Hiver ainsi que la Mort et la Sorcellerie. Je voue un culte à cette divinité et je réalise des travaux occultes sous son égide. Je voue également un culte aux ancêtres et réalise des travaux en lien avec les défunts. C'est peut être perceptible comme étant égocentrique – ce que je m'apprête à dire – mais j'ai un rapport aux défunts qui fait que j'aime assez à dire, que je me fais la voix de ceux qui n'en n'ont plus. Rendre grâce à cette déesse et œuvrer pour la résurgence de son culte est un travail de longue haleine qui me met véritablement en joie.
Mrodistov Mrodiszczewski : Le Dieu principal c'est soit Rod soit Svarog. Selon les versions, c'est l'un de ces deux Dieux qui a créé le monde… Sinon « Dieux de prédilection », je n'aime pas trop cette notion. On ne choisit pas vraiment les Dieux. Un exemple un peu bateau : si vous cherchez l'amour vous allez vous tourner vers la Divinité de l'amour et non vers le Dieu de la guerre, même si vous vous sentez proche de lui. Je vais tenter d'apporter une réponse un peu plus satisfaisante : Veles compte beaucoup pour moi. C'est par Veles que j'ai découvert la foi ancestrale des Slaves… Dans la vie de tous les jours, la foi et les Dieux m'apportent soulagement et bien-être. Ça me rassure de savoir qu'il y a des Dieux vers lesquels je peux me tourner en cas de problème, même si j'ai bien conscience que je dois agir moi-même pour les résoudre. Je pense que n’importe quel croyant de n'importe quelle religion me comprendra.
Wieslaw Jagodzik : Rod est le Dieu des Dieux, Père de Toutes Choses ! Il a donné son corps pour créer le monde et son esprit sacré vit dans les cieux. Il est la première et plus grosse étoile que l'on peut observer lorsque la nuit vient. Rod observe l'univers qu'il peut détruire ou protéger. Svarog a pris la gérance du monde et a créé les Dieux avec l'aide de Lada et d'Alatyr… Svantovit est sans aucun doute mon Dieu de prédilection, il est mon Dieu tutélaire depuis plus de 20 ans et j'en suis fier. Puis viennent Dazbog, Svarog et Perun. Ces Dieux sont constamment avec moi dans mes amulettes. C'est très important pour moi. Je les vénère autant à la maison sur l'autel familial, que lors des nombreuses célébrations, seul ou en groupe dans des endroits consacrés – cercle de pierres/sanctuaires, l'un en montagne et un autre en forêt. Ils m'apportent tellement de choses, en premier je dirais la plénitude, mais également une force, de l'amour, des réponses, un soutien, et ils me permettent d'être en phase avec le monde, la nature, l'univers, les Divinités. C'est un tout qui rend cette connexion clairement magique.
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Question complexe que celle du Dieu principal… la hiérarchie varie beaucoup entre les peuples slaves. Il serait erroné de percevoir le polythéisme slave comme un tout monolithique entre les trois familles slaves et les Baltes. Les trois qui sont cités peuvent être considérés comme Dieu dominant en fonction des lieux et des époques. Bien sûr je rends le culte aux principaux Dieux de ma foi, en fonction de la période de l’année, mais je suis avant tout une serviteur de Celui qui détruit ce qui n’a pas – ou plus – sa place dans notre monde. Ma foi passe aussi bien par le coté dévotionnel, par la gestion du groupe de discussions déjà cité, que par mon engagement dans la société civile, dans la lutte contre les dérives sectaires.
Mervis Nocteau : Je ne m'intéresse qu'au Dieu de la Joie, Radegast, par éclectisme gascon. Radegast est avec moi « gasconnisé », de même que Dionysos fut hellénisé et Mithra romanisé. Selon les découvertes, je suis susceptible d'élargir mon intérêt balto-slavisant. Mais je suis centré sur un Panthéon celtibère par mes racines maternelles, nourri de Dieux celtogermains par mon père, sans parler d'influences grécoromaines et, après les Wisigoths, des présences vikings en Gascogne. Je ferai remarquer que la joie slave est caractérisée par un mental serein dans la fatalité. La joie slave interdit tout défaitisme même dans la mort, mort qui est avant tout fête des (sur)vivants. Pourquoi geindre devant l'inévitable ? Soyons aussi cléments et impitoyables à la fois, que la vie est clémente et impitoyable. Il n'y a là de contradiction qu'au point de vue chrétien, qui épure la charité, de l'enfer d'être toujours pris en pitié. Bref, « la joie slave » libère : Слава Радегасту !… Plus généralement, je ne suis pas partisan du purisme, de l'ethnicisme, de l'indigénisme, qui sont des réactions essentiellement muséographiques. Nos polythéismes ne sont pas des écomusées. Nous sommes des Modernes qui ne querellons pas les Anciens, héritiers des Anciens, inspirés par les Anciens. Sinon, nous nous passerions de la recherche archéo- et historio-logique, dans nos religiosités.

L'arbre cosmique des Slaves, c'est pas un truc germano-scandinave avec Yggdrasil, ou celtique avec Crann Bethadh ? Qui a commencé, qui s'est inspiré de qui ? Au contraire, peut-on dire que c'est un seul et même symbole ?
Dymoon : Ce « truc » – comme mentionné dans l'énoncé de ce paragraphe – n'est pas soumis à un quelconque « œuf ou la poule ». Historiquement, les Slaves entretenaient une forte proximité avec les Scandinaves, les Germains et les Celtes. Cette proximité se justifie par les échanges commerciaux et d'esclaves. Ces esclaves justement, tout comme les commerçants qui les vendaient, n'étaient pas dénués de paroles et de ce fait les échanges se faisaient. Les syncrétismes sont forts, et on peut fortement s'accorder à dire que nous sommes en présence d'un syncrétisme.
Mrodistov Mrodiszczewski : Cette question aussi demande de larges explications, d'autant plus que ce symbole se retrouve un peu partout en Eurasie, voire au-delà. Une fois n'est pas coutume, je vais essayer de faire une réponse courte. L'arbre-monde semble a priori commun aux Germano-Scandinaves, aux Celtes et aux Slaves, mais la cosmogonie n'est pas tout à fait la même. Pour donner un exemple ou deux, chez les Celtes et chez les Slaves c'est un chêne, du moins la version qui semble la plus répandue. Mais est-ce exactement le même symbole pour autant ? Chez les Slaves, il n'y a que trois mondes qui reposent sur l'arbre-monde, alors que chez les Germano-Scandinaves, il y en a neuf. À mon sens, ce sont trois symboles proches, peut-être même très proches, mais qui néanmoins présentent des différences.
Wieslaw Jagodzik : La religion slave existe très certainement depuis des milliers d'années tout comme d'autres religions ethniques. C'est ainsi que l'on retrouve des traces de Svarog et de Mokosz ainsi que de Veles datant de l'antiquité. Sous une forme ou une autre les Zercas ou les Volhkvs [officiants du culte – ndlr] ont réussi à comprendre les mondes qui les entouraient grâce à l'arbre-monde au centre de leur foi. Ce pilier en est la base. Pour exemple Triglaf est le voyageur des mondes, il utilise ce pilier pour se rendre en Prav, Jav ou Nav [les trois mondes cosmiques : supérieur, médian et inférieur – ndlr]. Tout comme le serpent géant enlace les racines de cet arbre, Perun veille du haut de ses branches sur le monde. Comme je l'ai dit plus haut, Germains et Iraniens ont dû influencer certaines choses de la religion slave, mais cette dernière a su se développer individuellement et l'arbre-monde est toujours présent, représenté dans des gravures ou des broderies très anciennes. Encore une fois, bien qu'il y ait de nombreuses ressemblances avec les traditions européennes les plus connues, la Rodnoverie est tout à fait spéciale, singulière et unique. [Comme disait Montaigne, et ceci vaut pour chaque tradition européenne : « Comparaison n'est pas raison », quoiqu'il s'agisse de la même aire indoeuropéenne, et que la recherche scientifique reconstitue une vaste protoreligion indoeuropéenne, de l'Europe à l'Inde en passant par l'Iran d'avant la colonisation monothéiste. Reconstitution pour les besoins de la recherche scientifique comparée uniquement : il ne faut pas confondre cet instrument, avec des réalités historiques difficiles à cerner sur de tels espaces-temps – ndlr.]
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : N’ayant jamais entendu parler d'un arbre celtique nommé « Crann Bethadh » – version qui me semble très contemporaine – je vais m’en tenir à la version germanique. Si nous partons du postulat que ce symbole faisait partit du bagage des Celtes historiques – je ne parle pas de ceux d’Extrême-Occident [mais d'Europe danubienne – ndlr] – alors la logique et les sources actuelles voudraient qu'il ait émergé du coté indo-iranien, diffusant coté sibérien ; qu’il soit passé d’abord coté slave et balte, avant de faire tache d’huile chez les voisins germaniques. Mais cela n’est qu’une hypothèse indémontrable à l’heure actuelle, et au-delà de cette hypothèse, si l’arbre slave présente des points communs avec son cousin germano-scandinave, il est aussi pourvu de ses propres spécificités, à savoir trois mondes au lieu de neuf, rejoignant l’organisation hellénique du cosmos. Précisons que l’arbre, en tant qu’Axis Mundi [« Axe du Monde » en latin – ndlr] est un symbole très répandu, y compris parmi des cultures sans lien entre elles – maories ou méso-américaines – et n’est aucunement une preuve d’une soi-disant « Tradition Primordiale ».

Mervis Nocteau : Le « Crann Bethadh », littéralement l'Arbre de Vie, est une invention anglosaxonne en langue gaélique, contemporaine, de même que les différents « Alban » (solstices et équinoxes) que les Celtes ne fêtaient pas. Cette idée d'Arbre de Vie est d'ailleurs biblique : tirée du Livre des Conquêtes d'Irlande, qui fait remonter les généalogies irlandaises à Noé, du fait d'avoir été rédigé par des moines, en plein cœur de la Féodalité occidentale, qui cherchèrent à « faire passer » le mythe celte pour un conte – c'était à l'époque du déclin massif, du paganisme slave, côté oriental, d'ailleurs. S'il y a bien un arbre celtique, on a aucun témoignage sur sa signification, qui est proche de la slave avec l'Albios pour Prav (monde divin), le Biotos pour Jav (monde vécu) et le Dubnos pour Nav (monde sombre). À ce titre, il faut remarquer qu'Yggdrasill propose neuf mondes, multiples de trois, répartis sur trois niveaux aussi : ces trois niveaux que le christianisme subvertira en paradis, terre et enfer, y compris dans l'islamisme en vie future, terre et géhenne… Aux Dieux supérieurs les Cieux, aux Hommes les Terres, aux Dieux inférieurs les Enfers, et cela laisse de la place pour un tas d'autres entités, plus ou moins enchanteresses ou monstrueuses. Ceci dit, ce sont des généralités indoeuropéennes, qui ne caractérisent pas les domaines culturels aspectés. Tout ce que l'on peut dire avec Georges Dumézil, c'est que la triplicité est importante : le christianisme la subvertit en trinité, mais la perpétua dans les trois ordres féodaux (officiants/connaisseurs, dirigeants/batailleurs, manants/travailleurs).

Quels sites, commus et ouvrages – peu importe la source – conseilleriez-vous à un néophyte, dans la spiritualité balto-slave actuelle ?
Dymoon : La maison d'édition russe Severnaya Skazka, le blog Wordpress de notre collègue Wieslaw Jagodzik en France, Bogowie Slowian (du même auteur), Mythologie et religion des Slaves païens aux éditions des Belles-Lettres, Volohs des Balkans et Volohs de Russie de Roman Rabinowitz, le site de ventes NorthernFables.ru, Mythologie slave de Louis Léger, et évidemment le site officiel de la Rodnoverie (rodnovery.ru).
Mrodistov Mrodiszczewski : Malheureusement en Français, il n'y a quasiment rien. Tout ce que je sais je le tiens de textes que j'ai lus en russe et en polonais, principalement en ligne. Voici quelques sources francophones : Louis Léger (1er éd ; 1901), La Mythologie Slave, éd. Forgotten Books ; Wiesław Jagodzik (2011), Bogowie Słowian : les Slaves et le Paganisme, imprimé en Grande-Bretagne par Amazon (autoédition) ; Patrice Lajoye (2022), Mythologie et religion des Slaves païens, Paris, France, éd. les Belles-Lettres, collection Vérité des Mythes ; le site Russie virtuelle  ; et le blog Mathieu Cartes et Paganisme.
Wieslaw Jagodzik : J'ai créé un site d'informations concernant la Rodzimowierstwo, j'y parle bien évidemment de la religion slave mais également des dernières découvertes archéologiques et historiques concernant le paganisme partout en Europe et dans le monde : le blog Wordpress Wieslaw Jagodzik. J'ai aussi écrit un livre il y a de cela 12 ans sur la religion des Slaves, c'était mon premier essai, une sorte de B.A.BA de la Rodnoverie, sorti à 200 exemplaire. J'y parle des principales fêtes, de certains Dieux, de la genèse des Slaves, etc. : je vais rééditer ce livre après l'avoir corrigé, et le sortir en anglais également : Bogowie Slowian, littéralement Dieux Slaves. Cette année, si tout va bien, sortira un livre beaucoup plus important, de plus de 430 pages, dans lequel j'ai essayé durant plusieurs années de regrouper toutes les connaissances actuelles les plus sérieuses, concernant notre grande foi. Plusieurs points sont traités comme les Divinités et leurs histoires, les rituels, les chansons/poèmes, les dernières découvertes sur la genèse du peuple slave, la dendrôlatrie, la magie, etc. et un chapitre a même été écrit par un autre Rodnover que j'apprécie particulièrement. L'an prochain, une BD se déroulant dans l'univers polonais du 10ème siècle devra également voir le jour. Faisant partie de la fondation Watra, je me dois de citer mon Ami et président, surnommé Rafal Merski, qui travaille avec des pointures dans le milieu et qui a sorti de merveilleux livres, disponibles principalement en polonais. Rendez-vous sur les pages Facebook Watra (Watra.Slowianowierca) et Budujemy "Centrum Kultury Słowiańskiej" we Wrocławiu. Vous avez aussi le Wordpress Watranews, mon Instagram jagodzikwieslaw et bientôt fundacjawatra. Sur Instagram toujours, je conseille les Polonais rodzimowiercy et rodzimowierstwo. Enfin, consultez le site tchèque Rodná víra.
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Coté slave, il y a peu de ressources valables en français et certaines commencent à dater. Les livres Bogowie Slowian, du collègue Wieslaw Jagodzik, membre de l’association Watra ; les ouvrages de Patrice Lajoye, qui réalisa des études universitaires du sujet ; les ouvrages de Louis Léger, universitaire mais qui commencent à être daté. Coté anglais : Slavic Paganism Today de Roman Shizhensky : une étude sociologique sur le polythéisme slave contemporain… Ces éléments sont un bon point de départ. Nous mettons à la disposition de nos membres sur le groupe Facebook Bogowie Slowian des critiques d’ouvrages en français, anglais et langues slaves, l’accès a de nombreuses ressources universitaires opensource ainsi qu’à des traductions et des synthèses réalisées par les membres du groupe. À coté de cela nous déconseillons fortement trois auteurs, pour des raisons différentes : Natasha Helvin pour cause de syncrétisme ; Madame Pamita à cause de confusions entre mythologie et conte ; Dmitriy Kushnir, car il est issu d’un courant nommé Ynglism présentant deux problèmes : un fort syncrétisme non-historique avec l’hindouisme et une dérive sectaire suprémaciste.
Mervis Nocteau : Sans conteste, Bogowie Slowian sous Facebook, pour un « cousin » tel que moi. C'est une communauté solidaire et constructive pour ses ressortissants, très bien animée par Mayishtar/Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank. Je ne répéterai pas les autres intervenants.

Une anecdote à nous raconter dans le milieu ?
Dymoon : L'appréciation culturelle est un phénomène sociétal qui, je dirais, est essentiellement dû à la mondialisation. La mondialisation, de par les flux humains et l'accès à Internet, permet le partage d'informations en plus ou moins libre accès. Depuis quelques temps, je dirais un peu moins d'une année, on voit que la mode de cette appréciation culturelle, commence à faire son apparition vis-à-vis des rites et traditions du monde slaves, avec pour principal axe de communication les contes et personnages du folklore slave. J'aime la culture, bien évidemment mais, quand l'expansion d'une culture se fait au détriment du respect que les nouveaux apprenants, ont envers les indigènes de cette culture, c'est là que se pose le fond du problème. Le mélange des styles n'est a priori pas ma tasse de thé, mais la confrontation avec des artistes-auteurs au sujet du mélange des courants m’a ouvert les yeux. Confrontation vaut mieux que dialogue, car le dialogue, même s'il est sain, amène indubitablement à une confrontation des idées. Entre préservation de ce qui est, et ouverture puis « mixage » de ladite culture avec une autre, c'est ce qui m'amène à vous parler alors de cette mode de placer certains personnages de contes folkloriques slaves, à des rangs qui, semblerait-il, ne sont que le fruit de la divagation intellectuelle et artistique d'autrui… Pour expliciter rapidement le fond de ma pensée, je me dois de vous dire que le païen slave, comme le païen de tout courant qui a été confronté au monothéisme, a réussi à trouver des astuces pour assurer la survivance de ses rites et traditions. Ce moyen, pour les slaves, a été l'émergence de contes folkloriques. Les personnages, telle que la « sorcière des bois » et « maîtresse de la mort » qui n'est autre que la célèbre Baba Yaga, sont des personnages qui ont été inspirés des cultes et traditions des païens, pendant le principe de la double foi (dvoyverie). Ce qui me chagrine quelque peu, c'est cette capacité que certaines personnes pourraient avoir à manipuler les informations transmises et à créer tout un engouement autour de ces personnages de contes. Pour clôturer ce paragraphe : Baba Yaga n'est pas une Déesse, elle est le fruit d'un cheminement artistique ayant pour volonté d'assurer la préservation des rites et cultes envers la Déesse Morena.
Mrodistov Mrodiszczewski : Non. La communauté du paganisme slave n'est pas très large en France. Il n'a malheureusement pas grand chose à raconter.
Wieslaw Jagodzik : Il y a quelques années j'avais besoin de me retrouver, j'ai alors décidé de visiter différents endroits sacrés de ma spiritualité. J'ai découvert Sleza, cette montagne qui dégage une atmosphère divine, où à chaque endroit mystique on ressent la présence des Dieux, tapis dans l'ombre ou qui vous guettent à travers l'immense forêt ! Ou encore Wolin, la merveilleuse, avec les anciens temples à Triglaf et à Svantovit, mon Dieu tutélaire. Ce temple où j'ai passé de nombreuses heures en méditation et à lui parler en ouvrant mon cœur. Puis j'ai découvert Arkona, splendide Arkona, perché sur ses blanches falaises et entouré par cette mer que j'aime, la Baltique. Bien que l'endroit de l'ancien temple se soit effondré dans la mer, il reste une grande partie de la citadelle sacré. J'y suis donc allé, je me suis posé en début de soirée, une atmosphère lourde et inquiétante y régnait, mais lorsque l'on connaît l'histoire de ce lieu, il ne peut en être autrement. Des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants réduits en esclavage pour avoir voulu continuer de croire en toute liberté en leurs Dieux, la statue de Svantovit détruite et découpée pour en faire du bois de chauffage, son cheval blanc sacré utilisé pour tirer des chariots, les offrandes et le trésor du Dieu pillé par les Danois [une fois christianisés puisqu'auparavant Germano-Scandinaves jusqu'à l'ère viking – ndlr]. Pourtant durant plusieurs siècles ce lieu était l'ultime bastion de Svantovit, le peuple Slave des 4 coins de la Slavie venaient l'honorer, ainsi que les Scandinaves de passage pour lui demander sa protection, et lui payer un tribut… J'ai donc décidé de faire un rituel sur ce lieu, avec des offrandes de sang, de fleurs, d'alcool et de pain. Au début j'ai chuchoté, puis j'ai commencé à parler d'une voix sûre et forte, quand soudain un calme apaisant et plus aucun bruit ne se firent entendre à cet endroit. C'était absolument magique, ce ne pouvait pas être dans ma tête car Stribog lui-même, le maître des vents, avait disparu. Je recommande cet endroit fabuleux à tout Rodnover !
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Aucune anecdote au sujet des membres, car comme cela a été dit, la communauté est petite et soudée. Néanmoins, faisant partie des plus exotiques – car les moins connues – des polythéismes européens, nous somme toujours amusés de voir comment des étrangers essayent bien maladroitement de s’approprier notre foi, sans comprendre les grandes différences qui existent avec les paganismes d’Europe de l’Ouest ; ce qui donne des syncrétistes étranges, une wicca vaguement slavisée. Nous avons vu l’exemple de nos prédécesseurs germano-scandinaves, celtes ou plus récemment des traditions méditerranéennes, subissant des syncrétismes, du politique ou des modernités anachroniques, et nous préférons éviter tout cela. Bien sûr en terres slaves, il existe des problèmes analogues tels que des tentatives d’importer des éléments du védisme ou de l’hindouisme qui ne sont pas conformes à la réalité historique. Nous avons également, toujours en terre slave, et non en France, des problèmes de récupération politique par des mouvement pan-slaviques ou nationalistes [comme ce fut le cas des pangermanistes notamment en Europe centrale, ou encore des pan-celtiques singulièrement alliés aux pangermanistes, de Franco à Hitler en passant par Pétain, en Europe occidentale – ndlr].
Mervis Nocteau : Le premier jour où j'ai vraiment célébré Radegast, c'était pour Mayishtar/Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank, suite à un déboire familial qu'elle connaissait. Sur mon autel domestique où me regardaient mes Ancêtres et tous mes Dieux, Radegast fut le bienvenu, raccordant mes origines européennes partagées – les Suèves paternels ayant migré d'Europe centrale-nord en Galicie hispanique en passant par la Gascogne maternelle – puisque les Wisigoths ont fait le contour par l'Europe orientale. Je dis cela sur l'air de l'Ode à la Joie de Ludwig van Beethoven, servant aussi d'hymne européen. Nous vivons aujourd'hui, au XXIème siècle. J'exprime un deuxième vœu archéofuturiste de construction sincère, profonde et durable – après mon premier vœu, dans l'entretien avec les Gréco-Romanisants

Quelque chose à ajouter librement ? Au revoir !
Dymoon : Merci de donner à notre groupe de païen, la possibilité de s’exprimer librement sur ce sujet.
Mrodistov Mrodiszczewski : Oui ! Je suis bien content que la foi ancestrale des Slaves soit peu connue. Quand je vois ce que certains font avec les religions antiques polythéistes, je me dis qu'au moins les Dieux slaves échappent aux massacres d'une tendance qui mélange tout, n'importe quoi et son contraire, et qui réinterprète les Dieux et les mythes pour les mettre à je-ne-sais-quelle sauce. Merci de m'avoir permis de répondre à cet interview.
Wieslaw Jagodzik : Il y a de nombreux Slaves en France issus de la diaspora. J'espère qu'un jour, plusieurs d'entre eux retrouveront la voie de leurs ancêtres et qu'ensemble nous pourront refaire vivre l'ancienne religion dans ce pays, loin de nos terres d'origine, pour la plus grande joie des Dieux et pour la nôtre. Merci à toi Mervis.
Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank : Au final les paganismes balto-slaves sont des religions ethniques, au même titre que peuvent l’être les yezidis, les parsi ou d’autres religions indigènes en d’autres continents, qui peuvent parfois faire l’objet de tentations du coté de l’appropriation culturelle. Cette foi n’a pas besoin d’être diffusée en dehors de la communauté slave, et à encore moins besoin d’être occidentalisée. Elle est à l’image de l’hospitalité slave, considérant l’invité comme sacré, mais intraitable avec l’envahisseur.
Mervis Nocteau : Merci aux protagonistes de cet entretien. Que je sois joyeusement honni, si j'ai malversé leurs propos !

 


Source de l'image : Zirnitra Pietrzyk herb. Habdank


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