La légende de Jésus – dieu d’un printemps perpétuel, d’un sempiternel relèvement
La perspective ici proposée est conséquentialiste. Le conséquentialisme ne s'intéresse pas aux intentions. Les intentions peuvent parfois être louables, elles ont aussi de terribles conséquences. Selon l'adage : « l'enfer est pavé de bonnes intentions ». Nous allons donc observer que la légende de Jésus, dans ses conséquences effectuelles, est celle d'un printemps perpétuel, d'un sempiternel relèvement.
Le sanctifié ecclésial François d'Assise
Au commencement étaient les juifs
Maintenant, on ne part pas de nulle part. La légende de Jésus trouve son origine dans l'hébraïsme messianique. Là-bas vers Jérusalem, voilà quelques deux millénaires environ, une mouvance hébraïque entre essénisme et nazaréisme, galvanisa ce messianisme hébraïque dans la légende d'un certain Jésus.
Ce Jésus, dans la légende, passe un certain temps à relever des paraplégiques voire à ressusciter des morts. Ou bien, pour être plus juste, la tradition qui s'est focalisée sur la légende de Jésus (aujourd'hui mondialisée) a répété, déployé et cultivé des brins d'épisodes à ces propos. Elle a présenté Jésus comme un thaumaturge, un soigneur divin, et même comme un théurge, un magicien divin. Il faut dire que des épisodes tels que la transformation de l'eau en vin, la multiplication des pains, la marche sur l'eau et la résurrection, y incitent bien. À vrai dire, tous ces événements trament entièrement la légende de Jésus. On ne s'était donc pas trompé sur la thaumaturgie/théurgie, aucun problème.
Mais, de tous ces éléments, c'est évidemment sa propre résurrection qui est saillante. Bien sûr, il avait ressuscité quelqu'un, mais tout ce que la tradition a convenu de nommer « épisode de la passion » concentre l'attention spirituelle vers sa résurrection propre. Au juste, donc : le dieu incarné (le Fils, Jésus, Emmanuel ou « dieu parmi nous ») meurt et ressuscite grâce au dieu métaphysique (le Père, « Abba » ; YHWH-Adonaï, « Seigneur Dieu »). Or il y a plus, puisque dans sa version spirituelle (le Saint Esprit) il a encouragé les apôtres et les disciples, éperdus dans la légende de Jésus, le temps de sa mort (via la Pentecôte). Aujourd'hui tous les renouveaux charismatiques, néo-protestants comme néo-catholiques (c'est une seule et même chose) en appellent à l'Esprit Saint, notoirement, en profonde inspiration divine (tout comme la Force des jedis) et il y a là toute une culture néo-thaumaturgique/néo-théurgique légendaire, jusqu'aux « faiseurs de miracles » évangélistes américains si symptomatiques.
Conséquences inattendues1
Les conséquences de la légende sont édifiantes : c'est ainsi que moult fidèles s'en sont saisis, jusqu'aux schismes et hérésies plus ou moins protestants, après les « mises en forme » des premiers siècles jusqu'au Moyen-Âge, y compris par la violence de la croisade contre les Albigeois cathares, en Occitanie, autour de Carcassonne, au XIIIème siècle.
Or, cette période est très, très importante, dans l'Histoire européenne, en vérité.
C'est en effet vers ces siècles de croisades jusqu'à Jérusalem, que le dernier royaume païen de Pologne a été converti (de force au besoin), que les restes insulaires des légendes celtiques, antiquement continentales, sont rédigés par des moines (les conquêtes d'Irlande, les branches galloises, les sagas scandinaves, le merveilleux courtois aquitain, etc.), et que des théologiens chrétiens tels que Joachim de Flore développent des spiritualités de l'Esprit Saint, aussi nommé Paraclet, dès les débuts de la tradition de la légende de Jésus.
Où il faut comprendre que, à proprement parler, et malgré la chasse aux sorciers inquisitoriale, à partir de cette époque et encore jusqu'aux prétendues « Lumières » … il faut comprendre que l'Europe n'est à peu près chrétienne, que depuis sept siècles seulement, et que le néo-druidisme maçonnique émerge seulement quatre-cinq siècles après le XIIIème, dans le contexte anti-naturaliste des chasses aux sorciers et héritier des légendes rédigées. Le lien est peut-être ténu, mais il est présent. Passons.
La Renaissance européenne, nord-atlantique et mondialiste
Nous voici donc à l'époque dite de la Renaissance : Renaissance de l'antique littérature gréco-latine, dans un esprit chrétien de type paraclétique, se prétendant traditionnellement nourri au lait de l'Esprit Saint, selon la légende de Jésus. Or, l'Esprit Saint, c'est toute une ambiance prétendument spirituelle, et certainement culturelle.
Par-devers le surnaturalisme monothéiste, anti-naturaliste païen, voici que les chrétiens, dans la Renaissance, se ressaisissent de la nature. C'est d'ailleurs ainsi qu'advinrent les sciences modernes, à partir de Francis Bacon et sa méthode expérimentale, ainsi que René Descartes et son autre méthode radicale (table rase des héritages, tabula rasa). Il y a là un déracinement traditionnel évident, mais qui n'est pas du tout gênant pour le christianisme, bien qu'il râla beaucoup et prit le temps de digérer tout cela jusqu'à nos jours, comme il avait saccagé les païens : c'est la légende de l'esprit d'entreprise scientifique, avec Giordano au bûcher et Galilée sortant indemne de son procès après s'être officiellement dédit – marmonnant dans sa barbe que, « pourtant la Terre tourne », afin de ne pas finir comme Giordano Bruno … Mais enfin, il y a déracinement traditionnel, or cela a fini par ne pas déranger l’Église contemporaine, puisque de toute façon elle est un déracinement traditionnel païen, au nom de l'expansion traditionnelle sémitique (de Jérusalem à Rome) : le déracinement avait toujours-déjà eu lieu …
François d'Assise, sanctifié depuis, et dont le nom sert à l'actuel pape catholique, avait pour ainsi dire anticipé la tendance européenne au début de la période charnière dont nous parlons, car il avait mené une vie de « retour aux sources » légendaires, mais dans le contexte du climat européen tempéré. Ainsi, certains contemporains n'hésitent pas à le qualifier anachroniquement d'« écologiste déjà ». En fait, dans sa sobriété volontaire « décroissante », on pourrait aussi bien le dire « wahhabite avant l'heure » : tout ceci complaira merveilleusement bien aux démarches interreligieuses actuelles, en passant (de la part du païen que je suis, c'est très curieux : « les Voies du Seigneur sont impénétrables », diront-ils peut-être ; m'enfin … ).
En tout cas, nous en sommes là depuis la Renaissance, du perfectionnement d'un déracinement traditionnel européen, sur la double base du monothéisme et du scientisme, quoiqu'ils puissent en avoir ou en aient eu l'un contre l'autre.
Un printemps perpétuel, sempiternel relèvement
Voici donc que toute notre Histoire, depuis saint François, et en passant par la Renaissance, est devenue l'Histoire d'un printemps perpétuel, d'un sempiternel relèvement. D'ailleurs, il faut savoir que les textes légendaires sur Jésus se laissent traduire diversement. Le juif André Chouraqui, dans sa fameuse traduction française prônant le dialogue interreligieux jusqu'à la légende de Mahomet, traduit ainsi la notion de « résurrection » par celle de « relèvement » (relèvement d'entre les morts).
La façon dont les chrétiens ont recyclé les fêtes païennes d'Europe d'ailleurs – en dévoyant leur antique sens à leur compte post-hébraïque – positionnent donc très bien les choses ainsi : l'hiver est nié dans sa ténèbre, au nom de la naissance du légendaire Jésus (chez les païens, les ténèbres ont un rôle important) ; c'est logiquement au printemps, à Pâques, que Jésus ressuscite/se relève d'entre les morts ; la Pentecôte est pour bientôt ; enfin, pour les catholiques et les orthodoxes, Marie connaît sa consécration – assomption ou dormition – au cœur de l'été lumineux. Puis, il n'y a plus rien à signaler durant l'automne (assombrissement païen) jusqu'au début de l'hiver (déniant sa ténèbre païenne ès naissance légendaire).
Archétypalement, et dans ses conséquences sociohistoriques depuis le règne chrétien voilà sept siècles seulement, le christianisme fonctionne sur la base d'un printemps perpétuel, d'un sempiternel relèvement, certes enraciné dans la légende hébraïque nommée Nouveau Testament en guise de relégation du Tanakh à l'ancienneté testamentaire : cette relégation-même, est printanière dans la démarche.
Il y a une verdeur chrétienne, une intrépidité mais aussi une témérité (selon), s'accordant certes avec l'esprit d'entreprise scientifique, et pas que scientifique puisque cela tourna à l'actuel establish-entrepreneurism néolibéral. Cette tournure d'esprit, « sainte », en tout cas sanctifiée dans la légende des entrepreneurs/pionniers américains, est toute une culture originée en Europe, euro-américaine, nord-atlantique, finalement diffuse dans la mondialisation.
Elle a beau être critiquée, et même avoir parfois largué ses amarres chrétiennes, ou bien avoir été arraisonnée par des cultures non-chrétiennes, il se trouve pourtant que la verdeur est présente dans l'appel à l'innovation permanente, ou bien seulement l'investissement « nerf de la guerre » entrepreneuriale. Evidemment, la notion de croissance économique elle-même, fonctionne sur la base de l'archétype du légendaire Jésus, en forme de sève montante perpétuelle et de fonte des glaces printanière, sempiternel relèvement, monde d'abondance comme on s'était imaginé que l'Amérique du Nord était le nouveau Canaan, voilà deux-trois siècles.
Dissonances cognitives
En somme, par rapport à l'hébraïsme et à l'antique et médiéval christianisme, il faut le dire : il n'y a plus de Chute, plus de péché originel, tout cela est cependant refoulé dans l'angoisse et l'alarmisme, actuellement devenus écologistes. Quant à l'islamisme, il faut le dire aussi, cela heurte son côté médiéval, mais pas ses velléités expansionnistes. Basiquement, toute l'humanité monothéiste se complaît là dans le péché.
À vrai dire, l'archétype printanier/relevé est tout à fait plaisant, tout à fait entraînant, et pour tout dire sexuellement désirable-même. Il y a du jeunisme en cet archétype, parfaitement cohérent avec le jeunisme de nos sociétés – bien que vieillissantes selon leur pyramide des âges. C'est ainsi que cet archétype nous éprend dans une folie infinitiste croissancielle, sans contre-point ténébreux/hivernal … un contre-point dont les païens disposaient dans l'Hadès grec ou le Dis Pater celtique … et dont les monothéistes disposaient encore dans leur genre, du temps où ils se culpabilisaient (ils culpabilisent toujours, mais ils sont devenus de mauvaise foi).
Si donc l'humanité ne veut plus culpabiliser, elle doit redevenir païenne pour faire contre-point à cette folie. Mais, si elle aime culpabiliser, elle doit devenir wahhabite assimilée (franciscaine).
Notes :
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