jeudi 2 août 2007 - par Jean-Luc Crucifix

Maria Lionza, déesse du Venezuela

Je consacrais il y a quelque temps un billet à la vierge de Coromoto, patronne du Venezuela. Il est juste que je vous présente maintenant sa principale outsider, la dénommée María Lionza.

María Lionza est à proprement parler la déesse des Vénézuéliens. Elle fait l’objet d’un culte original, qui a donné lieu à la seule religion née dans le pays.

Comme toujours, à la base du mouvement religieux se trouve une légende. Il en existe plusieurs versions, qui se résument à peu près à ceci : fille d’un conquistador selon les uns, princesse d’une tribu autochtone selon les autres, la belle jeune fille aux yeux verts aurait été avalée dans un lac par un serpent anaconda. Mais au fond du lac, l’animal aurait éclaté, libérant sa proie. María Lionza se transforma alors en reine des eaux et princesse de la nature, vivant désormais dans la forêt, entourée d’une multitude d’animaux et de plantes.

Reine et princesse, elle l’est : on la représente souvent avec une couronne, entourée du cacique Guaicaipuro et du negro Felipe. À eux trois, ils forment Las tres potencias [les trois puissances], représentation imagée parfaite du métissage vénézuélien : la Blanche, l’Amérindien, le Noir.

Femme originelle

Mais on la connaît aussi sous la forme d’une femme nue, aux formes provocantes, chevauchant un tapir. Elle est alors la Vénus vénézuélienne : la femme originelle, concentration de tous les désirs, mais aussi de tous les respects.

Protectrice des animaux et de la nature, dont la beauté est exubérante comme une forêt tropicale, elle s’affirme - du haut de son tapir - comme une « déesse écologique, amante de la biodiversité bien avant la vague contemporaine de l’écologie », ainsi que l’écrit Roberto Hernández Montoya.

Son culte, divers et complexe, reflète cet aspect écologique. Il se déroule essentiellement dans son royaume, la montagne boisée de Sorte, dans l’Etat de Yaracuy. C’est là que se réunissent ses fidèles pour s’y adonner à des rituels dont les racines africaines et amérindiennes sautent aux yeux : purification par le tabac, par l’eau ou par le feu, offrandes, libations, danse sur les braises, chants incantatoires... La santería cubaine et le vaudou ne sont jamais loin, notamment lors de séances rituelles ou de spiritisme qui mènent directement à la la transe. Mais, curieusement, la religion chrétienne non plus n’est pas loin : le Notre père, le Je vous salue Marie et le Credo font partie des prières souvent entonnées en chœur.

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Photo : Cristina García Rodero


Fatras de personnalités

Syncrétisme donc, comme en témoigne l’hétérogénéité des « cours » qui entourent María Lionza : la cour indienne, composée de caciques et de reines ; la cour noire, présidée par le Negro Felipe ; la cour vénézuélienne où l’on trouve des personnages ayant marqué l’histoire du pays, Simón Bolívar en tête ; la cour africaine, avec les dieux de la religion yoruba ; la cour des Don Juan, avec des personnages issus du folklore populaire ; la cour médicale, dans laquelle se trouve notamment le Dr José Gregorio Hernández, très vénéré au Venezuela ; la cour viking, avec Éric le Rouge et ses filles ; la cour céleste formée par Jésus-Christ, la vierge Marie et plusieurs saints catholiques ; la cour des anges ; la cour des malfrats, etc. Bref un fatras de personnalités où chacun peut trouver son compte, selon ses affinités.

Il est remarquable que la trilogie María Lionza/Guaicaipuro/Negro Felipe, qui domine la hiérarchie du culte, se situe elle-même sous la Sainte Trinité et la vierge Marie. Le culte s’insère donc parfaitement au sein de l’héritage catholique, à tel point que beaucoup de fidèles de la déesse sont aussi des catholiques qui trouvent chez María Lionza des rites et croyances complémentaires, sans aucun doute mieux adaptés à l’idiosyncrasie vénézuélienne.

Dans le panthéon

Même s’il a des racines lointaines, le culte à María Lionza s’est surtout affirmé à partir des années 1920, lors de l’entrée du Venezuela - pétrole aidant - dans la modernité. Longtemps occulte, le mouvement religieux est apparu au grand jour avec l’urbanisation du pays. Et bien qu’il touche indifféremment toutes les classes sociales, le phénomène est sans aucun doute plus urbain que rural.

En 1950, le mouvement religieux recevait sa consécration, avec l’érection en plein Caracas, à deux pas de l’Université centrale, d’une imposante statue de la déesse nue chevauchant son tapir.

Désormais acceptée par l’establishment lui-même, Maria Lionza faisait son entrée dans le panthéon vénézuélien. Elle pouvait ouvertement concurrencer sa rivale, et néanmoins amie, la vierge de Coromoto.



4 réactions


  • Boileau419 Boileau419 3 août 2007 04:34

    Intéressant...

    Ecrivez-nous des articles sur Chavez, vous qui êtes au Vénézuéla, cela aura sûrement plus d’échos. Qui sait ? Le sulfureux Duquénal y pointera peut-être son museau de rat...


    • Jean-Luc Crucifix Jean-Luc Crucifix 3 août 2007 20:32

      Je désire précisément montrer que le Venezuela ne se résume pas à Chavez, pas plus que la France ne se résume à Sarkozy. Bien sûr, Chavez est une personnalité forte et intéressante, et il m’est arrivé d’en parler sur mon blog. Je ne voudrais cependant pas en faire le centre unique d’un pays qui est socialement, culturellement, géographiquement, écologiquement exceptionnel (et malheureusement méconnu).


    • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 6 août 2007 00:57

      Y-a-t-il un lien - (aquatique ?) - avec la Yemanja du Brésil ? Félicitation de résister à politiser cette information

      PJCA


    • Kormin Kormin 26 août 2007 02:34

      Boileau...

      ou la célébration du cliché d’un pays.


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