samedi 1er décembre 2012 - par Pharmaleaks

Avandia : autopsie du plus grand scandale pharmaceutique de tous les temps

Le Washington Post vient de publier un long récapitulatif sur le plus grand scandale pharmaceutique de tous les temps : celui de l'antidiabétique de GSK, l'Avandia (rosiglitazone). Avandia, c'est avant tout une saga. Un combat entre un lanceur d'alerte aguerri, le Professeur Steven Nissen, et l'une des plus puissantes firmes pharmaceutiques mondiales, GlaxoSmithKline.

Le 7 décembre 2006, paraîssent dans la plus prestigieuse revue scientifique mondiale, le New England Journal of Medicine (NEJM), les résultats d'une étude comparant l'Avandia à 2 autres antidiabétiques plus anciens. Les résultats de l'étude ADOPT sont magnifiques. Le Vice-Président de GlaxoSmithKline, Lawson Macartney s'enflammait dans les médias : "Avec cette étude clinique internationale, nous avons une preuve flagrante que l'utilisation initiale d'Avandia est plus efficace que des traitements standards"

La presse aurait dû relever que chacun des 11 auteurs de l'étude avait reçu de l'argent de GSK. 4 d'entre eux étaient employés par la firme et en détenaient des actions. Sans préjuger de leur impartialité, lors de l'analyse des données des 4000 patients enrôlés dans cette étude, les auteurs ont superbement ignoré des signaux qui conduiraient quelques années plus tard au retrait du marché européen puis américain de ce médicament : Avandia augmentait le risque d'attaque cardiaque.

Un peu plus tard, les autorités de santé américaines chiffrèrent les dégats de l'Avandia sur le sol américain à 83 000 crises cardiaques et/ou décès.

Ce scandale n'est pas sans rappeler celui du Vioxx de la firme Merck. La communication autour de ce produit s'appuyait aussi sur une grande étude financée par la firme, parue dans le NEJM, et signée de salariés de Merck. 5 ans plus tard, les éditeurs du NEJM réalisaient que les auteurs avaient également ignoré des signaux qui conduirent à 27 000 attaques cardiaques et/ou décès.

L'article du Washington Post s'interroge sur ces grandes études prestigieuses fabriquées, financées et influencées par les firmes pharmaceutiques.

Le NEJM est lu chaque semaine par plus de 600 000 professionnels répartis dans 177 pays et influence toute la pratique médicale dans le monde entier. Lorsqu'un article est soumis au journal par une équipe de chercheurs, il est automatiquement renvoyé de manière confidentielle à des relecteurs, c'est-à-dire d'autres spécialistes du domaine, pour qu'ils l'analysent, le décortiquent et repèrent les biais ou les points à creuser. C'est le principe des journaux "peer-reviewed". Les équipes du NEJM passent une bonne partie de leur temps à faire supprimer ou modifier des affirmations aux limites de la publicité soumises par les auteurs des études. De nombreuses mesures ont été prises au fil des années pour tenter de limiter l'influence des firmes, allant de la divulgation obligatoire des liens d'intérêts des auteurs, à la publication systématique, obligatoire, des protocoles des études avant leur démarrage. Aujourd'hui, le débat consiste à vouloir rendre public toutes les données récoltées tout au long de l'étude.

Selon des auditions, des documents des autorités de santé américaines, des e-mails qui ont été rendus publics lors d'une mission d'enquête sénatoriale, la firme GSK aurait caché des informations aux chercheurs qui travaillaient dans l'étude. GSK aurait également volontairement bloqué une étude qui aurait pu révéler la toxicité du produit et aurait enfin publié des résultats préliminaires d'une étude, scientifiquement ininterprétables, pour minimiser les effets toxiques de l'Avandia. Des éléments qui ont été démentis par la firme.

Pourtant dès 2000, soit 6 mois après l'autorisation de mise sur le marché de l'Avandia, une étude interne montrait que ce produit augmentait particulièrement le "mauvais cholestérol".

Il fut ensuite question de mettre en place une étude pour vérifier ce point. Mais très rapidement, des scientifiques ont souhaité conduire une analyse "bénéfice / risque", non pas sur le profil de sécurité du produit, mais sur sa réputation. Une telle étude ne risquait-elle pas de tuer ce médicament ? Lorsque l'analyse montra effectivement une augmentation du mauvais cholestérol, la firme stoppa l'étude. Selon un e-mail interne, ces résultats préliminaires explosifs ne devaient en aucun cas sortir des murs du laboratoire.

Et même lorsque la FDA, c'est-à-dire les autorités de santé américaines demandèrent à la firme de lancer une étude sur le sujet, GSK s'arrangea pour masquer ou faire tout simplement disparaître tout signe de danger.

Pour obtenir la mise sur le marché de l'Avandia, la FDA avait demandé à GSK de conduire cette fameuse étude ADOPT, citée ci-dessus, et de bien vérifier que ce produit n'entraînait pas de problème cardiaque. Mais comme la FDA le remarquera plus tard, l'étude ADOPT n'était absolument pas construite pour pouvoir évaluer les risques cardiaques de l'Avandia, notamment parce qu'étaient exclus volontairement de l'étude tous les patients à haut risque cardiaques, des patients chez qui la moindre toxicité de l'Avandia aurait été instantanément détectable. De plus, cette étude ne disposait pas d'un comité de médecins pour analyser les bilans cardiaques. Enfin, 40% des patients ont été perdus de vue pendant l'étude, un chiffre tout simplement gigantesque.

Comme l'indiqua par la suite un mémo interne de la FDA, de tels biais allaient largement "limiter la possibilité de tirer la moindre conclusion" sur la sécurité de l'Avandia.

Mais alors pourquoi des universitaires se sont-ils montrés aussi négligeants pour évaluer la toxicité cardiovasculaire de l'Avandia ? Selon toute vraisemblance, tout simplement parce que Glaxo leur avait caché les demandes d'investigation complémentaires de la FDA, pas plus qu'il ne les avait informés des signes de toxicité cardiaque d'Avandia. C'est d'ailleurs ce que reconnaît le Professeur Steven Kahn, l'auteur principal de l'étude ADOPT, dans une interview donnée au Washington Post. Il ajoute : "ADOPT n'était clairement construite pour évaluer la toxicité cardiaque du produit".

Pourtant Glaxo connaissait les dangers de l'Avandia depuis longtemps

En 2003, l'Organisation Mondiale de la Santé avait déjà prévenu la firme que ce type de médicament pouvait être associé à une recrudescence d'évènements indésirables cardiaques.

Selon un rapport du Sénat, en 2005 et 2006, Glaxo a mené une analyse sur les 14 000 patients ayant participé à des études sur ce produit et a conclu à une augmentation du risque de problèmes coronariens de l'ordre de 30% !

Contrairement aux affirmations des auteurs d'ADOPT, GSK certifie leur avoir communiqué à l'époque les données sur la toxicité de ce médicament.

Dans leur publication du NEJM, les auteurs ne se concentrèrent pourtant que sur les "extraordinaires" effets de l'Avandia pour contrôler le diabète et concluèrent que les risques d'évènements cardiovasculaires ne diffèrent pas entre Avandia et les autres médicaments... En clair, pas de panique.

Un lanceur d'alerte entre dans la danse.

Steven Nissen n'est pas un illustre inconnu. C'est lui qui fut entre autres à l'origine du retrait du marché du Vioxx. Le genre de scientifique qui s'accroche !

La tendance, certes très légère du fait des biais mentionnés ci-dessus, qu'il a repérée dans ADOPT se confirme dans une autre étude de GSK, l'étude DREAM. A nouveau, il y a "une petite augmentation des événements cardiaques". Mais une fois de plus, l'étude DREAM ne comporte pas assez de patients pour pouvoir faire sortir un signal tangible. Et en plus des évènements cardiovasculaires, il y repère également une augmentation du mauvais cholestérol chez les patients sous Avandia.

Puisque toutes ces études financées par GSK manquaient de patients, il décida de créer lui-même une étude avec le nombre suffisant de patients en fusionnant les données de nombreuses études (la plupart provenant de GSK) sur l'Avandia. C'est ce qu'on appelle une méta-analyse.

Les résultats sont sans appel.

L'Avandia augmente le risque d'infarctus de 43%

Les résultats furent publiés en un temps record (19 jours !!!) dans le NEJM. Mais comme il le craignait, la firme n'allait pas se laisser faire et il faudra attendre encore des années avant que le produit ne soit retiré du marché.

Le rédacteur en chef du NEJM n'en revenait pas. "Si ces calculs sont justes, des milliers de patients ont souffert d'infarctus du seul fait de ce médicament !".

Selon le Washington Post, GSK était étonnamment bien préparé à cette nouvelle. Comment le pouvaient-ils ? Ce que nous apprendrons plus tard, grâce à des documents de l'enquête sénatoriale, c'est que l'étude de Nissen qui avait été soumise au NEJM a comme par magie atterri sur les bureaux de la firme pendant la phase de relecture, au mépris de toute confidentialité, grâce à un certain Haffner, un allié de GSK qui avait lui-même participé à l'étude ADOPT ! Ce document sera diffusé à plus de 40 cadres dirigeants de l'entreprise, qui allaient pouvoir se concentrer sur la réponse à donner à cette étude : "GSK n'est pas du tout d'accord avec les conclusions de cet article, etc."

Des e-mails internes rendus publics lors de l'enquête sénatoriale montreront par la suite que de nombreux scientifiques de GSK partageaient pourtant les mêmes inquiétudes que Nissen. "Ces résultats confirment nos analyses".

Une étude sous-dimensionnée

Pour riposter à la publication de Nissen, GSK publia les résultats de l'étude RECORD, une autre étude lancée par GSK. Selon des e-mails internes, les dirigeants de la firme ne risquaient pas grand chose puisque cette étude était sous-dimensionnée, c'est-à-dire qu'une fois de plus, elle ne disposait pas d'assez de patients pour faire appraître le moindre signal tangible de risque cardiovasculaire.

L'étude était loin d'être achevée. Peu importe, GSK allait dévoiler ces résultats intermédiaires.

En envoyant cette nouvelle publication au NEJM, GSK annonçait que ces résultats allaient démolir ceux de Nissen mais les relecteurs du NEJM ne le virent pas sous cet angle. Ils répiquèrent que ces résultats ne permettaient pas de conclure quoi que ce soit. Lorsque l'article parut en Juillet 2007, il fut indiqué qu'on ne pouvait rien conclure sur les problèmes cardiaques liés à l'Avandia. Un argument qui sera utilisé en jouant sur les mots par les commerciaux de la firme auprès des médecins pour les rassurer falacieusement sur la sécurité du médicament... Les malades pouvaient continuer de recevoir leurs comprimés d'Avandia.

Ce n'est qu'en 2010 qu'un relecteur de la FDA, sous l'impulsion de Nissen, expliqua que l'étude RECORD avait été mal conçue et que les scientifiques sont passés de ce fait à côté des effets secondaires graves de l'Avandia.

En septembre 2010, Avandia est retiré du marché en Europe, et subit de très importantes restrictions d'emploi aux Etats-Unis.

Le 2 juillet 2012, la firme GSK acceptera de payer aux Etats-Unis la somme record de 3 milliards de dollars pour que s'éteignent des poursuites judiciaires en cours sur un certain nombre de ses médicaments, dont l'Avandia. Plus récemment, GSK fut encore condamné à verser 90 millions de dollars pour des procès "Avandia". Une goutte d'eau si l'on considère le chiffre d'affaire généré par Avandia pendant toute sa commercialisation.

En France, 210 000 malades prenaient de l'Avandia, soit un diabétique sur 10. Aucun journaliste, aucun politique, aucun expert, aucun lanceur d'alerte ne s'en fera jamais écho.

Source de l'article :

As drug industry’s influence over research grows, so does the potential for bias, The Washington Post, 24/11/2012

Glaxo Agrees to Pay $3 Billion in Fraud Settlement, the New York Times, 02/07/2012



6 réactions


  • eau-du-robinet eau-du-robinet 1er décembre 2012 09:08

    +++
    Très bon article !

    Je pense qu’il faut réformer notre système entier.

    * Crise financière européenne du aux abus des marchés financiers (banques, ...) et l’absence de réglementation (équitable).

    * Crise environnementale, Fukushima, gaz de schiste aux États Unis, OGM, pesticides, ...

    * Crise politique européenne (des hommes politiques sont sous la tutelle des lobbyistes de l’industrie et des banques)

    * Crise sanitaire et médicale .... + de 500 médicaments soit inutiles ou dangereuses pour la santé

    * Crise des médias (grands médias) - ils sont dans la mains des grandes groupes et les journalistes sont empêche de travailler librement.

    Toutes ses crises ont des dénominateurs en commun : la corruption, la course effréné à la croissance sur une planète bleu ou les ressources sont limité, la sauf d’une minorité de gens de possèder toujours plus, élargissent ainsi un fausse entre pauvres et riches ... donc ont peut noter au passage qu’on compte plus en plus de travailleurs pauvres ... voire sans logis.
    Puis quelqu’un l’avait récemment noté au passage le lien entre certains médicaments et pesticides ...

    La formule chimique de certains pesticides est proche de la formule chimique de certains neuroleptiques.

    Puis aux crises citées haut dessus s’ajoutent les conflits de guerres et/ou conflits armées notamment celle d’Israel et la Palestine.


    • Croa Croa 2 décembre 2012 10:40

      Je dirais même plus,
       qu’il faut réformer le (qui n’est pas vraiment « notre ») système entier qui nous a été imposé, ou plutôt vendu avec force « com » par une oligarchie de ploutocrates qu’il conviendrait de mettre préalablement hors d’état de nuire encore ! smiley


  • chmoll chmoll 1er décembre 2012 11:40

    avec 500 morts l’assassin au mediatord à reçu la legion d’honneur (j’crois j’sais plus le nom de du bout de ferraille)

    l’assassin a l’avandia doit avoir la plus haute distinction (83.000 crise cardiauques et / ou deces


  • Robert GIL ROBERT GIL 1er décembre 2012 19:51

    S’il est un domaine où la notion de rentabilité devrait être relativisée, c’est bien celui de la santé. Il est loin le temps où le docteur Jonas Salk, créateur du premier vaccin contre la poliomyélite, déclarait à un journaliste lui demandant à qui appartenait le brevet : « Eh bien… au peuple. Il n’y a pas de brevet. Peut-on breveter le soleil ? » ..........

    Si on doit réclamer la nationalisation de cette industrie menaçante, c’est l’occasion de réfléchir à son contenu sachant que l’on ne peut faire confiance ni au marché ni à l’État. Qui définit les axes de recherche prioritaires  ? Comment ne pas se contenter de dénoncer  ?

    Voir : MEDECINE, SANTE ET PROFITS

    Et pour rappel, le mediator : EN FINIR AVEC UN SYTEME MEURTRIER


  • franor 3 décembre 2012 10:12
    • Merci pour cet article

  • kayamik 4 décembre 2012 01:49

    3 Mds pour que les US abandonnent les poursuites, 90 Millions $ de dommages et intérêts pour les malades... on croit rêver ! Comment je te mettrais tout ça en combinaison orange à casser des caillasses sur le bord des routes...des enflures !


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