Doit-on rembourser la nicotine pharmaceutique ?
Les projets du gouvernement vont à l’encontre des recommandations de la mission parlementaire concernant le remboursement de la nicotine pharmaceutique.
Ce que les laboratoires pharmaceutiques nomment "susbsituts nicotiniques" c’est en réalité de la nicotine procurée de façon moins nocive pour l’organisme du fumeur, si les doses sont limitées. L’appellation "traitement nicotinique de substitution" peut sembler abusive à cet égard, car il est un peu illusoire de penser qu’en remplaçant la nicotine par la nicotine, on se guérit d’une maladie.
Dans le cas des opiacés - héroïne notamment - la substitution permet une réinsertion sociale, à défaut de garantir le sevrage : ceci est un avantage. Dans le cas du tabac, les fumeurs ne sont pas encore considérés comme des asociaux, des psychotiques ni même des délinquants : l’apport d’un transfert de la dépendance d’une forme galénique à une autre présente un très faible intérêt. Mais c’est ce que la médecine a encore trouvé de mieux : rendre moins inconfortable le sevrage, en espérant que la durée de l’abstinence avant la rechute sera prolongé.
On lit communément que « les palliatifs de confort multiplient par deux les chances de succès ». C’est à voir. L’étude contrôlée de référence citée dans la fiche des gommes à la nicotine Pfizer indique un gain de 3% entre l’usage de gommes actives et celui de gommes placebo pour un succès à 24 mois. Bref, ce n’est pas significatif. Bien des fumeurs savent que ce n’est pas comme cela qu’ils changeront leur comportement.
La mission parlementaire
d’information sur les évolutions à apporter à la réglementation en matière de
tabagisme avait bien pris note de l’inutilité de rembourser les palliatifs
nicotiniques. Une étude a été menée par
Le tabagisme étant un fléau mondial, et notamment dans les pays occidentaux développés, des milliers d’études ont été menées pour juger de l’efficacité des NRT, Nicotine Replacement Therapy dans la langue des publications scientifiques. La tableau n’est pas toujours brillant, même si les études successives ont une fâcheuse tendance à se contredire.
Ainsi prenons l’étude intitulée « Impact of Over-the-Counter Sales on Effectiveness of Pharmaceutical Aids for Smoking Cessation” de John P. Pierce, PhD et Elizabeth A. Gilpin, MS dans JAMA. 2002 ;288:1260-1264. Les NRT ont été vendus sur prescription médicale jusqu’en 1996 en Californie, et l’étude analyse l’impact de leur mise en vente libre (over the counter) dans les pharmacies depuis. Leur conclusion, je vous la laisse en anglais, ce n’est pas le diable à comprendre :” Since becoming available over the counter, NRT appears no longer effective in increasing long-term successful cessation in California smokers. »
Une autre étude, de l’autre côté du Pacifique cette fois,
donne un avertissement clair : « Be wary of subsidising nicotine
replacement therapy » en français : Rembourser la nicotine
pharmaceutique, attention ! L’étude est conduite par le Dr Caroline Miller
du Cancer Council South Australia, avec S. Kriven, D. Rowley et L. Abram
(pour ceux qui douteraient de mes sources). Elle a été publiée par Tobacco Control 2002 ;11:380-381.
Voici leur conclusion : "These findings suggest that cost may not be the
barrier to accessing NRT that it is often claimed to be. Rather, individual
readiness to quit may be a very important factor in determining use, and should
be taken into consideration when planning programmes involving free/subsidised
NRT."
Résumons le décor :
1°) les palliatifs de remplacement de la nicotine fumée par de la nicotine purifiée ne sauraient en soi transformer un fumeur en non fumeur. C’est comme si l’on perfusait de l’alcool au goutte à goutte à un alcoolique pour qu’il oublie qu’il l’est devenu...
2°) les arguments avancés par les laboratoires sur l’efficacité de leurs médications sont abusifs. Les chances de redevenir durablement non fumeur sans aide sont faibles, et même en doublant ce score, la rechute est au bout dans 90% des tentatives sans accompagnement psychologique. Car la chimie ne traite pas le problème. Fumer n’est pas une maladie en soi, c’est un comportement addictif. Le problème est celui de la rechute à moyen et long termes, et la chimie n’aide pas, comme l’a reconnu l’expertise de l’INSERM en 2004.
3°) Mettre les palliatifs en vente libre, sans suivi médical, n’a pas réduit la prévalence du tabagisme (au moins en Californie selon cette étude). En France, où la déclassification est ancienne (car la nicotine est toujours classifiée comme poison, et c’en est un, redoutable), le nombre de fumeurs n’a pas vraiment été réduit...
Pourquoi nos ministres agissent-ils ainsi alors ? Eh bien, je suggère une bonne raison : ne pas se mettre à dos les fumeurs, en leur laissant croire qu’on est attentif à leur malaise. C’est ce qu’on appelle mettre de la pommade.
Au fait, la pommade à la nicotine,
on pourrait aussi la rembourser ! Si, si, ça existe ! Voir http://www.nicogel.net/
(Sur la vidéo, une
fumeuse s’en frotte les mains. Le vendeur aussi, mais au figuré...)