mercredi 18 mars 2015 - par Sylvain Rakotoarison

Fin de vie : pari gagné pour un large consensus parlementaire

« Le débat est ouvert, et je vois bien que certains sont inquiets et d’autres déçus. Dans cet hémicycle, il y a parfois des affrontements que je juge stériles, mais aussi des débats riches, respectueux, qui sont les témoins de la vie démocratique et font l’honneur de notre assemblée. La mort n’est ni de droite ni de gauche, et elle peut rassembler des hommes et des femmes de bonne volonté pour trouver le chemin de l’amélioration de la loi sur ce sujet douloureux et intime. » (Jean Leonetti, le 10 mars 2015 en ouverture de l’examen en séance publique de sa proposition).

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Ce mardi 17 mars 2015 vers 16 heures 50, la proposition de loi rapportée conjointement par Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) sur la fin de vie a été adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale : elle a été votée par 436 voix contre 34 sur 553 votants. Les principaux groupes parlementaires ont voté très majoritairement pour la loi : PS, UMP, UDI et Front de gauche. Les députés EELV et PRG ainsi que quelques députés PS se sont abstenus pour protester contre le rejet de leurs amendements sur la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté et plusieurs députés UMP se sont également abstenus pour s’opposer à une nouvelle étape d’un "droit à la mort".

En introduction au débat parlementaire, le corapporteur Jean Leonetti, ancien chef du service de cardiologie de l’hôpital d’Antibes, avait évoqué le sujet très intime de la mort : « Dans notre société moderne, l’individu revendique toujours plus de sécurité, de performance et de certitude, mais restera démuni devant sa mort que rien n’empêchera, et que rien ne pourra codifier. Cette mort, la sienne, est encore une partie de sa vie, ultime rencontre avec lui-même, qu’il découvrira alors probablement dans sa complexité et son mystère. » (10 mars 2015).

En définitive, les débats ont été d’une bonne tenue et la sagesse des parlementaires a dominé les discussions même si à certains moments, certains élus ont failli flirter avec la polémique avec la ministre Marisol Touraine. Le texte va donc se retrouver en examen au Sénat, instance généralement très constructive pour toutes les lois en rapport avec la bioéthique, et la discussion publique au Sénat devrait avoir lieu en mai ou juin 2015.

Cette loi a préservé le fragile équilibre de la loi Leonetti du 22 avril 2005 qui va bientôt avoir dix ans. La proposition Claeys-Leonetti a donc obtenu un large consensus même si l’unanimité ne s’est pas réalisée comme ce fut le cas en première lecture dans l’hémicycle pour la loi Leonetti le 30 novembre 2004 où elle avait rassemblé 548 voix favorables et zéro voix contre sur 551 députés présents (généralement, le président de séance ne prend pas part au vote).

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Cette proposition de loi est focalisée sur l’idée qu’il faut tout faire pour soulager la souffrance des patients en fin de vie, jusqu’à ce droit à la "sédation profonde et continue" jusqu’au décès. Le médecin agit pour soigner les malades, pour leur rendre la vie qui leur reste le plus confortable possible lorsque la maladie est incurable, mais pas pour supprimer des vies.

Si cette pratique existe, j’évoque l’euthanasie, elle doit l’être sous la seule responsabilité de ceux qui la pratiquent et en répondre le cas échéant devant la justice qui, jusqu’à maintenant, est seule capable de distinguer un geste d’humanité d’un geste d’escroquerie ou de course à l’héritage ; elle ne doit pas être autorisée par une loi qui ouvrirait la porte à toutes les dérives (en particulier économiques) et qui généraliserait un acte qui est pourtant très spécifique puisqu’il n’existe pas une seule situation identique de fin de vie.

Si des sondages savamment tronqués et manipulés par le "lobby" de l’euthanasie (je ne sais qualifier autrement les actions militantes de l’ADMD qui, rappelons-le, s’est opposé au texte voté à l’Assemblée alors qu’il permet de mieux soulager la souffrance des malades) laissent croire que la grande majorité des gens est favorable à une "aide à mourir" (la grande majorité le dit "pour certains cas" qui sont déjà prévus par la loi depuis dix ans !), ce sont des réponses de sondés bien portants. Or, cela concerne avant tout ceux qui sont en fin de vie,et eux seuls.

L’ancienne Ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie Michèle Delaunay, députée (PS) de Bordeaux (qui avait battu Alain Juppé le 17 juin 2007 dans sa circonscription), cancérologue et responsable d’hôpital, a rappelé le 17 février 2015 la différence entre l’attente des personnes malades et celle des personnes en bonne santé : « L’impatience de la famille, le mot est cruel, doit toujours être adoucie autant que possible par des paroles et son avis ne pas être suivi à cause d’un éventuel changement d’opinion et de la très grande culpabilité qui pourrait en résulter. La question de l’euthanasie est évoquée par 3% des malades entrant dans une unité de soins palliatifs. Quand le malade est accompagné, qu’on est présent autour de lui, ce chiffre tombe à 0,3%. Un bon accompagnement réduit la demande euthanasique et c’était dans cette optique que je souhaitais que nous assurions l’accompagnement pour tous et en particulier pour les personnes âgées. Enfin, je vous l’assure, en quarante-cinq ans de vie hospitalière et médicale, aucun malade ne m’a jamais demandé d’euthanasie. À l’inverse, il n’y a guère de mois où une famille ne me l’a pas demandée. » (lors de l’examen de la proposition Claeys-Leonetti à la commission des affaires sociales, que j’ai déjà citée ici).

S’il y a eu carence dans le domaine de la fin de vie, ce n’était pas à cause de la loi Leonetti (qui est une excellente loi mais perfectible), mais à cause de tous les gouvernements depuis dix ans qui n’ont pas investi les moyens budgétaires comme il aurait fallu pour développer massivement les soins palliatifs. Le scandale est là et seulement là : seulement 20% des personnes qui devaient avoir accès aux soins palliatifs ont pu en bénéficier. Le quinquennat actuel a perdu trois ans et le plan annoncé par Marisol Touraine le 10 mars 2015 au Palais-Bourbon n’est toujours pas lancé alors qu’il avait été annoncé il y a trois ans, le 17 juillet 2012 à Rueil-Malmaison par le Président François Hollande lui-même.

Lors de la discussion dans l’hémicycle, Jean Leonetti avait tenu à rappeler : « Ce texte répond à l’attente des Français et vise à supprimer les fins de vie douloureuses. Ce texte, vous le savez comme moi, ne permet pas de donner la mort, et il n’est pas la porte ouverte à l’euthanasie ou au suicide assisté. Vous savez que j’y suis personnellement opposé, mais je respecte ceux qui pensent qu’il s’agit d’une évolution nécessaire de notre société. Je partage sur ce point l’avis de Robert Badinter, qui déclarait : "Le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain. C’est le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe". L’ancien garde des sceaux ajoutait, à propos de l’exception de l’euthanasie : "Je n’ai jamais été amateur de juridictions d’exception, encore moins quand il s’agit de principes fondamentaux. Nul ne peut retirer la vie à autrui dans une démocratie". » (10 mars 2015).

Le corapporteur a été ainsi écouté par plus des trois quarts de ses collègues députés. La navette avec le Sénat se fera dans un climat forcément constructif, hors de polémiques stériles, comme cela a toujours été le cas pour ce genre de texte.

Félicitations aux députés d’avoir su trouver la voie fragile du consensus sur ce sujet très sensible, malgré le militantisme parfois aveugle des uns et des autres. Faire preuve de responsabilité, c’est ne pas se focaliser sur ses propres convictions mais étudier le plus raisonnablement possible l’intérêt général des personnes en fin de vie : avec ce texte, ce sera pour les plus vulnérables ni souffrance, ni abandon.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 mars 2015)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le vote de la loi Claeys-Leonetti en première lecture.
La loi Claeys-Leonetti en débat parlementaire.
Verbatim de la proposition Claeys-Leonetti en commission.
La proposition Claeys-Leonetti modifiée en commission.
L'euthanasie, une fausse solution.
François Hollande et la fin de vie.
Commentaire sur la proposition Claeys-Leonetti.
La consultation participative du Palais-Bourbon.
La proposition de loi n°2512 (texte intégral).
Le débat sur la fin de vie à l'Assemblée Nationale du 21 janvier 2015.
Les directives anticipées.
L'impossible destin.
La proposition Massonneau.
Présentation du rapport Claeys-Leonetti (21 janvier 2015).
Le rapport Claeys-Leonetti du 12 décembre 2014 (à télécharger).
Vidéo de François Hollande du 12 décembre 2014.
Rapport du CCNE sur le débat public concernant la fin de vie du 21 octobre 2014 (à télécharger).
Le verdict du Conseil d'État et les risques de dérives.
Le risque de la GPA.
La décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 (texte intégral de la déclaration de Jean-Marc Sauvé).
L'élimination des plus faibles ?
Vers le rétablissement de la peine de mort ?
De Michael Schumacher à Vincent Lambert.

La nouvelle culture de la mort.
La dignité et le handicap.
Communiqué de l'Académie de Médecine du 20 janvier 2014 sur la fin de vie (texte intégral).
Le destin de l'ange.
La déclaration des évêques de France sur la fin de vie du 15 janvier 2014 (à télécharger).
La mort pour tous.
Suicide assisté à cause de 18 citoyens ?
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?
L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Expérimenter sur la matière humaine.
La découverte révolutionnaire de nouvelles cellules souches.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.



13 réactions


  • devphil30 devphil30 18 mars 2015 10:06

    Hier soir est passé à la TV les manifestations des retraités suivis juste après du résultat de cette loi , j’ai apprécié l’enchaînement des sujets.

    Hier c’était la dernière manifestation des retraités.
    La loi a tranché maintenant on va pouvoir alléger la charge des caisses de retraites....

    A quand une loi dans le même sens pour les sénateurs bedonnants totalement inutile.

    Philippe

  • Séraphin Lampion P-Troll 18 mars 2015 10:28

    cette loi autorise l’endormissement prolongé, c’est tout

    les cathos affichés ou honteux ou masqués confondent euthanasie et vie éternelle,
    c’est l’exemple-même de non-décision et de recul devant la crainte d’une échéance électorale
    mais c’est reculer pour mieux sauter
    la catastrophe est inéluctable

    • christophe nicolas christophe nicolas 18 mars 2015 13:42

      @P-Troll

      Et pour t’euthanasier, on fait comment ? Et pour un parti ou un organisme social, quelle est la dose létale ? Et pour ITER quelle est la procédure ?

      Ils se trompent de cible !

  • Le p’tit Charles 18 mars 2015 13:20

    Toute notre vie est régie par des lois...il en va de même de notre mort...

    Dans le fond nous ne nous appartenons pas.. ?

    • Séraphin Lampion P-Troll 18 mars 2015 13:40

      @Le p’tit Charles


      Çà a commencé quand l’ovule de nos mères a été fécondé par un spermatozoïde de nos pères.
      La rencontre a produit un être, devenu une personne, qui n’avait rien demandé et à qui on a dit toute sa vie :
      fais pas ci, fais pas ça !

    • Le p’tit Charles 18 mars 2015 13:52

      @P-Troll...( fécondé par un spermatozoïde de nos pères)...heu..j’connais pas le mien..ça compte.. ?


    • Séraphin Lampion P-Troll 18 mars 2015 14:13

      @Le p’tit Charles

      personne ne connait le sien, en fait !
      Quand le ministère de la santé a envisagé de créer une carte génétique pour permettre la prévention de maladies héréditaires, il a été confronté à une telle propostion de génomes non conformes à l’état-civil qu’il a fallu renoncer.

  • vesjem vesjem 18 mars 2015 15:29

    les franmac arrivent au bout de leur délires


  • vesjem vesjem 18 mars 2015 15:30

    leurs délires


  • Fergus Fergus 18 mars 2015 17:15

    Bonjour à tous.

    Je ne sais pas s’il faut féliciter les députés car ce consensus est un... échec pour tous.

    Echec pour les partisans de l’euthanasie. Echec pour les adversaires de l’euthanasie.

    Car la « sédation profonde » n’est rien d’autre qu’un processus d’euthanasie lent et irréversible. Ce texte de loi est donc parfaitement hypocrite !


    • aimable 18 mars 2015 18:21

      @Fergus

      bonjour
      on gagne quoi, a attendre la mort les yeux ouvert et en souffrant  ?


    • foufouille foufouille 18 mars 2015 19:49

      @Gnostic
      il te suffit de te suicider maintenant.


    • Fergus Fergus 18 mars 2015 20:12

      Bonsoir, Aimable.

      On ne gagne rien, évidemment. Et c’est pour cela que, tant qu’à euthanasier un malade en phase terminale et en souffrance (voire définitivement inconscient), on le fait proprement en quelques instants sans infliger à cette personne (même sous sédation) une mort lente de plusieurs jours par défaut de nutrition qui n’a strictement aucun sens car il s’agit de toute façon d’une euthanasie. C’est pourquoi ce texte est faux-cul !


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