jeudi 1er octobre 2020 - par Sylvain Rakotoarison

Le casse-tête sanitaire de Jean Castex

« La situation du pays est grave ! J’en appelle au rassemblement, à l’unité, mesdames, messieurs les députés. Aucun dialogue n’est rompu. Aujourd’hui (…), ceux qui me reprochent de prendre des mesures trop fortes pourraient être demain ceux qui me reprocheront de ne pas en avoir fait assez. Je veux redonner espoir ! Ces mesures, je l’espère avec votre soutien à tous, produiront leurs effets et nous vaincrons ensemble cette crise sanitaire ! » (Jean Castex, le 29 septembre 2020 dans l’Hémicycle).

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Avis de tempête pour le Premier Ministre Jean Castex. L’ancien monsieur déconfinement deviendra-t-il le monsieur reconfinement ? La situation sanitaire de la France est d’autant plus grave qu’une part de la population considère qu’il n’y a aucune gravité. Les Français ont l’habitude de considérer l’Allemagne comme toujours meilleure. C’est réciproque. Récemment, Angela Merkel a annoncé des mesures sanitaires beaucoup plus strictes, et son argumentation est une gifle pour la France : elle a dit que sans ces nouvelles mesures, l’Allemagne risquerait de se retrouver dans la même situation que la France ! Et pendant ce temps, en France, des zouaves nient la gravité de l’épidémie.

Et cette situation est de plus en plus préoccupante. Le 30 septembre 2020, on a atteint 1 238 personnes malades du covid-19 en réanimation, il faut rappeler que le 14 août 2020, il y a un mois et demi, il y en avait seulement 367, près de quatre fois moins, et cela continue à monter. Les décès aussi sont nombreux, on est proche de 32 000 décès au total (31 956 exactement), avec un rythme quotidien entre 50 et 100 décès (67 pour la journée du 30 septembre 2020).

Pour le gouvernement, c’est la quadrature du cercle. En débloquant 100 milliards d’euros pour un plan de relance économique massive, confirmé par la présentation du projet de loi de finances de 2021 par le ministre Bruno Le Maire le 28 septembre 2020, le Président Emmanuel Macron avait cru pouvoir sortir la France de la récession et lui faire retrouver la bonne santé économique d’avant la crise sanitaire (en février 2020, le chômage était à son niveau le plus bas depuis une douzaine d’années). Or, l’aggravation de la situation sanitaire bouleverse la donne : les mesures de restriction sanitaire vont à l’encontre des mesures de relance économique, et cette difficulté à choisir la priorité était assez visible depuis le début de l’été alors que de nombreux médecins avaient déjà alerté le gouvernement à la milieu du mois de juillet 2020 que la situation allait se dégrader.

En répondant à la question très incisive de Damien Abad, le très actif président du groupe LR à l’Assemblée Nationale, lors de la séance des questions au gouvernement le 29 septembre 2020, le Premier Ministre Jean Castex n’a pas montré le meilleur de lui-même car il a exprimé trop ouvertement son énervement qui n’allait pas avec un discours supposé consensuel et d’appel au rassemblement. La question de Damien Abad faisait état de nombreuses incohérences ou maladresses dans les mesures prises depuis le mois d’août 2020 pour freiner la circulation du coronavirus.

Or, l’énervement lui va très mal et les incohérences sont manifestes parce que, comme expliqué plus haut, le gouvernement voudrait privilégier la relance économique, mais elle ne peut cependant pas se faire si la crise sanitaire perdure et empire.

C’est vrai que l’acceptation ou l’acceptabilité par la population des mesures de restriction sanitaire, qui sont toujours pénibles et graves à prendre, dépend souvent du crédit qu’on porte à ses dirigeants. En Allemagne, le crédit de la Chancelière Angela Merkel est très fort alors qu’elle a beaucoup moins de pouvoir que l’exécutif en France (d’autant plus que le gouvernement est en grande coalition, et que le régime est exclusivement parlementaire).

Mais en Italie aussi, ancienne "mauvaise élève" et actuellement très bonne élève de la crise sanitaire, les mesures sanitaires sont respectées. D’abord parce que les amendes n’ont rien à voir avec celles de la France (c’est 800 euros, pas 135 euros, en cas d’infraction, c’est un peu plus dissuasif). Ensuite parce que le Président du Conseil, Giuseppe Conte a été une véritable révélation politique des deux dernières années et maîtrise de manière très surprenante (et au-delà de toute prévision) l’art de gouverner. Malgré l’esprit latin, malgré les mesures très strictes, on les respecte, dans ce pays.

D’ailleurs, dans plusieurs de pays, des mesures de reconfinement sont en train d’être prises, et jamais de gaieté de cœur (en Espagne, au Québec, etc.).

Les propos d’Emmanuel Macron devant des étudiants lituaniens le 29 septembre 2020 lors de son voyage à Vilnius sont particulièrement maladroits. En pointant du doigt que les jeunes générations sont sacrifiées pour préserver la santé des plus âgés, il a, à mon sens, plus cliver que rassembler, or, il y a déjà suffisamment d’esprits clivants pour en rajouter. Au lieu de constater ces différences de générations, il aurait dû au contraire insister sur la nécessaire solidarité entre générations mais aussi entre citoyens, car on peut être jeune et vulnérable au covid-19 (le moindre surpoids peut être fatal, quel que soit l’âge). Le premier rôle d’un État protecteur, c’est de protéger les citoyens les plus vulnérables. Sacrifier les plus vulnérables pour permettre aux plus jeunes de faire la fête la nuit est une aberration sans nom et donne une idée des valeurs morales qui l’accompagne.

Parmi les maladresses, il y a aussi eu ce début de polémique depuis une semaine entre les élus "territoriaux" du Sud et le gouvernement. En clamant la concertation mais en ne se contentant que de coups de téléphone, le gouvernement a raté l’occasion de concrétiser sa volonté, pourtant affichée dès le départ, d’engager une unité entre préfets et maires. Jean Castex a d’ailleurs rencontré les maires cette semaine, le 30 septembre 2020, l’association des maires de France présidée par François Baroin, le lendemain certains maires de grandes villes, avant une nouvelle déclaration du ministre Olivier Véran dans la soirée du 1er octobre 2020 (à 18 heures je crois). C’est d’autant plus regrettable que la semaine précédente, il y avait eu un vraie union entre élus et gouvernement à Marseille. Il ne faut évidemment pas rejeter la possibilité de "postures politiques" de part et d’autre, mais le faire sur le dos de la santé des Français me paraît particulièrement …malsain.

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Je voudrais terminer sur le passage de Jean Castex à la télévision. Il était l’invité de l’émission de Léa Salamé "Vous avez la parole" le jeudi 24 septembre 2020 sur France 2. C’était sa première grande émission politique depuis son entrée à Matignon. C’est désormais quasiment un rituel sur France 2, la chaîne invite le Premier Ministre à chaque mois de septembre depuis 2017 (sauf en 2019). Un débat avec la maire de Nantes (qui, comme beaucoup d’autres maires de grande ville, se sent pousser des ailes politiques), et beaucoup de pédagogie pour expliquer l’action de son gouvernement. Beaucoup de membres du gouvernement avaient fait le déplacement et ce n’était pas un hasard si, dans le cadre, le téléspectateur pouvait voir en arrière-plan Éric Dupond-Moretti à la droite de Jean Castex et Gérald Darmanin à sa gauche.

Malheureusement, tous ces efforts n’auront aucune conséquence car l’émission va se résumer à une réponse particulièrement incompréhensible à la question de Léa Salamé : est-ce qu’il a téléchargé l’application StopCovid comme le gouvernement, depuis le mois de mai, en fait la promotion ? Et la réponse a été au moins franche : non !



Il aurait pu en rester juste au fait, c’est-à-dire "non", mais il l’a fait de manière doublement maladroite et très contreproductive.

Le Premier Ministre l’a justifié par son rythme de vie : « Malheureusement, vu les activités qui sont les miennes, vous les voyez ? ». Le journaliste Daniel Schneidermann a relevé évidemment cette maladresse dans sa chronique du 25 septembre 2020 intitulée : "Et Castex explosa en vol". L’éditorialiste était particulièrement remonté contre le "malheureusement" en insistant : « Malheureusement, donc, il ne prend pas le métro, bafouille-t-il quand Léa Salamé lui pose la question. "Malheureusement". Si ça ne tenait qu’à lui, il adorerait s’entasser dans le métro, notez bien. Éclat de rire sidéré sur les réseaux. C’est le retour du prix de la baguette ou du ticket de métro. Mais l’ombre de l’intubation en supplément. ».

Et Daniel Schneidermann a ajouté : « Comment, d’une émission de plusieurs heures du Premier Ministre à une heure de grande écoute, en présence de la moitié du gouvernement, ne restera sans doute dans les mémoires qu’une minute d’explosion en vol. Injuste ? Anecdotique ? Mais la séquence ne fonctionnerait pas aussi bien si, dans l’ensemble de l’action du gouvernement, ne se dégageait pas cette même impression d’amateurisme. ».

Mais je suis très étonné qu’à ma connaissance, personne n’ait épinglé Jean Castex sur sa plus grande maladresse.

En disant qu’il n’avait pas téléchargé l’application StopCovid parce qu’il n’allait pas dans le métro, Jean Castex a laissé entendre qu’il n’en avait pas besoin et que le métro était le lieu le plus dangereux et le plus à risque de se faire contaminer. Ce type de réflexion met en l’air tous les efforts du gouvernement pour dire justement qu’il n’y a pas de risque dans les transports en commun dès lors qu’on porte le masque et fait attention aux gestes barrières, et que leur continuité est justifiée puisqu’ils ne sont pas des foyers de contamination (d’ailleurs, cela semble vérifié avec l’analyse des foyers de contamination, ce n’est pas dans le métro qu’on se contamine). Ou comment le Premier Ministre détruit en une seconde l’argumentation pourtant constante de son gouvernement pour dire qu’il faut aller travailler et prendre les transports en commun.

Autant de maladresses peuvent faire comprendre la haute popularité de son prédécesseur Édouard Philippe (un sondage l’a placé à 59% de popularité !) qui est venu faire une visite de courtoisie très remarquée au Président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand le 30 septembre 2020. Édouard Philippe a connu une certaine populaire, malgré sa psychorigidité sur la réforme des retraites, le jour où il a reconnu très humblement qu’il ne savait pas répondre à certaines questions sur le covid-19.

D’ailleurs, l’une des exclamations des députés LR lors de la réponse de Jean Castex, hué en permanence, aux députés, le 29 septembre 2020, était : « Édouard revient ! » (Maxime Minot), tandis qu’une autre, moins flatteuse pour son successeur, était : « Il est très mauvais ! » (Patrick Hetzel).

Plus généralement, on peut se demander pourquoi il y a eu au début de l’été, en pleine crise sanitaire, un changement de Premier Ministre, car Jean Castex est une sorte de clone d’Édouard Philippe mais en moins bien. Édouard Philippe n’avait pas eu de mal à préserver l’unité nationale lors du confinement de mars à mai 2020, dispositif pourtant autrement plus contraignant que quelques fermetures de bistrots la nuit. La différence ? Peut-être l’expérience politique…


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (30 septembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le casse-tête sanitaire de Jean Castex.
Jean Castex invité de Léa Salamé dans "Vous avez la parole" le 24 septembre 2020 sur France 2.
Discours du Premier Ministre Jean Castex le 11 septembre 2020 à Matignon sur la crise sanitaire (texte intégral).
Jean Castex et France Relance.
Roselyne Bachelot, la culture gaie.
Éric Dupond-Moretti, le ténor intimidé.
Barbara Pompili, "l’écolo" de service.
François Bayrou sera-t-il le Jean Monnet du XXIsiècle ?
Secrétaires d’État du gouvernement Castex : des nouveaux et des partants.
Gérald Darmanin, cible des hypocrisies ambiantes.
Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !
Discours du Premier Ministre Jean Castex le 16 juillet 2020 au Sénat (texte intégral).
Discours du Premier Ministre Jean Castex le 15 juillet 2020 à l’Assemblée Nationale (texte intégral).
La déclaration de politique générale de Jean Castex le 15 juillet 2020.
Composition du gouvernement Castex I.
Le gouvernement Castex I nommé le 6 juillet 2020.
Jean Castex, le Premier Ministre du déconfinement d’Emmanuel Macron.
Édouard Philippe, le grand atout d’Emmanuel Macron.

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