samedi 24 décembre 2016 - par Monolecte

Ma vie nickel chrome

On ne prête jamais attention au fait que l’on est en bonne santé qu’au moment précis où l’on découvre que l’on est malade.
Sauf qu’il n’y a jamais de moment de précis. Pendant longtemps, on va bien et cela va de soi, puis des trucs se mettent à déconner et on tente de se soulager vite fait pour continuer à ne pas y penser et puis, à moment donné, il est évident qu’un truc déconne sévèrement, que c’est là et bien là.

De toute manière, à cette époque-là, je n’avais pas vraiment le temps de penser à moi. Depuis l’arrivée de notre fille, c’était l’exténuante succession des soins, des couches, des allaitements et une fatigue énorme à se trainer tous les jours. C’était une période intense à tous points de vue et j’avais même fini par me faire couper les cheveux bien courts pour gagner un peu de temps ou plutôt, pour en perdre un peu moins à m’occuper de moi. Vingt fois par jour, je me lavais soigneusement les mains avant de m’occuper de ma fille ou des affaires courantes de la maison. C’est une chose encore relativement sous-estimée : la nécessité d’un lavage des mains régulier en termes de prophylaxie. Avec nos mains, nous tripotons notre environnement, les autres et nous-mêmes assez abondamment et constamment et c’est par ce vecteur précis que transitent nombre de maladies comme la gastroentérite qui devrait bientôt atteindre son premier pic épidémique en métropole.

Donc, quand j’ai commencé à avoir des rougeurs aux mains et des démangeaisons, j’ai juste pensé que je devais utiliser des produits trop agressifs pour mon usage intensif ou que je ne me séchais pas les mains avec assez de soin à chaque fois. Puis quand sont arrivés les premiers boutons, j’ai acheté un savon hypoallergénique. Et quand les premières crevasses sont apparues, j’ai probablement acheté une cold cream pour hydrater. Et quand vraiment ma peau a été trop à vif et que j’ai commencé à me réveiller la nuit, j’ai fini par me dire qu’il y avait un problème et j’ai pris rendez-vous avec mon dermatologue.

Ma vie gantée

Mon dermato était plutôt un bon praticien qui m’avait déjà sauvé la peau à plusieurs reprises, au propre comme au figuré. Il y avait eu, par exemple, cette autre période assez peu glorieuse où je perdais mes cheveux par poignées et où j’avais de grandes plaques rouges sur la tête. Il m’avait tout simplement dit :

Je vais vous prescrire un shampoing spécial pour apaiser le cuir chevelu et fortifier les cheveux et je pourrais aussi vous fournir quelques bonnes pommades, mais sincèrement, je pense que vous devriez surtout changer d’emploi le plus vite possible. Après, c’est votre vie, c’est vous qui décidez.

J’ai quitté assez rapidement un boulot où je cumulais surtout les heures et pas vraiment la considération et effectivement, j’ai très rapidement retrouvé ma crinière habituelle.

Il a donc regardé mes mains et a assez rapidement diagnostiqué une dysidrose et fournit toute une palette de traitements : un savon sans savon très utilisé dans les professions médicales (où les gens se lavent aussi très souvent les mains et en souffrent également), de la cortisone en tube pour atténuer les symptômes et une commande de gants en coton spéciaux à porter pratiquement tout le temps, pour protéger mes ulcères des contaminations et probablement aussi du regard des autres. Tous ceux qui ont eu ce genre de problème le savent : l’impact social de ces mains rougeaudes et suintantes est à peu près aussi difficile à supporter que les démangeaisons et les brulures elles-mêmes.

Dans la lancée, il pensa à pratiquer un test allergique, à tout hasard. En gros, il m’a dessiné un échiquier sur le dos, a collé des substances connues comme allergisantes dans chaque carré et a recouvert d’un gros pansement pour 48 heures de mijotage. Avant la fin de la première journée, j’avais des démangeaisons assez intenses et très localisées dans la surface de test, mais en bonne élève, j’ai tenu les deux jours de vraie torture avant de retourner montrer mon dos.

Je n’avais qu’une seule et unique allergie, mais celle-ci claire, nette et sans doute aucun, j’en avais même une hypersensibilité : l’allergie au nickel.

Autant dire que cela n’a pas été une révélation. Comme toutes les personnes comme moi — essentiellement des femmes — cela faisait depuis des temps immémoriaux que je faisais attention à ne pas porter de bijoux, montres, boucles de chaussures ou quelque métal que ce soit qui ne soit pas clairement identifié comme étant de l’or ou de l’argent, au contact direct de ma peau. Bouton, ceinture, tout contact se traduit forcément par une rougeur, puis des démangeaisons, puis des boutons, puis… rien du tout, parce qu’en général, on n’attend pas tout ce temps pour se débarrasser du problème.

Les allergiques au nickel ont l’habitude d’éviter les métaux.

Ce qui est important et dommage à la fois, c’est que bien que la dysidrose comme l’allergie au nickel se présentent strictement de la même manière (avec un exéma bulleux), à aucun moment, il n’y a eu de connexion entre les deux, à cause de ce petit paragraphe dans la deuxième page du rapport :

En gros, il y a du nickel dans la plupart des détergents, mais c’est trop faible pour être pris en compte. En fait, il y en a non seulement dans les détergents, mais aussi dans les cosmétiques, y compris dans les crèmes pour les mains, celles qu’on étale généreusement pour atténuer les… démangeaisons, rougeurs ou inflammations.

Le fait est que j’avais un diagnostic, un traitement lourd et cher (pratiquement rien de pris en charge par la Sécu) et l’assurance que tout allait rentrer dans l’ordre.

En fait, assez rapidement, le port des gants s’est avéré impossible au quotidien : je n’allais pas toucher ma fille avec des gants et j’avais besoin de ma dextérité au quotidien. Quant au savon pour médecins, il était vraiment trop cher (bon, d’un autre côté, c’était pour les médecins, pas pour les plébéiens, hein !), donc, il restait la cortisone… qui marche plutôt bien… aussi longtemps qu’on en applique quotidiennement…

Des pieds et des mains

Tant que j’avais de la cortisone, tout allait bien et j’avais presque une vie normale… sauf les fois où j’avais quand même des crises et qu’il me fallait alors abandonner toute activité « humide » avec mes mains. Et puis un jour, bien des années plus tard, c’est arrivé aux pieds : des rougeurs, des démangeaisons et des plaques. Ce qui est problématique, c’est que comme j’avais déjà une dysidrose, on a eu vite fait d’y englober les pieds… et donc de loger tous les doigts à la même enseigne. C’est bien dommage, parce que j’ai perdu du temps.

Dans la durée, les crises étaient plus fréquentes et la cortisone moins efficace, surtout pour les pieds. Là, c’était un festival non stop et je me souviens d’un jour où j’ai même eu du mal à marcher tellement c’était vif.

Je finis par aller chez le généraliste en chouinant et là, contre diagnostic et retournement de situation :

Pour les mains, je ne sais pas, par contre, pour les pieds, c’est clairement une mycose — la forme de l’extension des rougeurs est caractéristique — et avec la cortisone, vous avez surtout nourri le problème !

Traitement antifongique et hop, fin du problème des pieds après plusieurs années d’expérimentations douteuses. Parce qu’il faut bien comprendre qu’on cherche toujours une solution et que le diagnostic de dysidrose n’était pas très satisfaisant. En effet, cette maladie est souvent associée à des problèmes de sudation et s’il y a bien un problème que je n’ai jamais eu, c’est bien celui de la transpiration, et particulièrement des extrémités. Le diagnostic de dysidrose est aussi une manière détournée de faire revenir par la porte de service la fameuse sentence que bien des femmes connaissent dans notre médecine moderne de la maladie psychosomatique. Autrement dit, il s’agit d’un machin dont on ne comprend pas bien les mécanismes qu’on ne sait ni prévenir ni guérir et que l’on réduit alors bien commodément à des problèmes dans la tête.

Le truc, c’est que des années d’observations de mes symptômes m’avaient amenée à cette conclusion limpide : mes crises de grattages ou de crevasses n’avaient rigoureusement rien à voir avec mon stress ou mon humeur supposée, pas plus qu’avec ma sudation, l’humidité de l’air ou quoi que ce soit de cet ordre.

Et surtout, il y avait brusquement une question lancinante que personne n’avait pris la peine de se poser :

Pourquoi les mains ?

Psychosomatique, mon cul !

Tant que j’ai eu des soucis aux pieds, cela ressemblait un peu à cette mystérieuse dysidrose dont personne ne sait franchement rien, mais quand j’ai fini par remonter la chaine des causalités, il est devenu évident que mes problèmes de pieds remontaient à une seule et unique visite à la piscine municipale du bled en chef avec ma fille. La mycose des piscines, gros gros classique dermato à côté duquel tout le monde est passé.

Mais restaient les mains. Juste les mains et seulement les mains. J’avais aussi le visage réactif comme on dit chez les docteurs es cosmétologie et autres pseudosciences en fumisterie, mais bon, le problème, c’était les mains et avait commencé à un moment bien précis de ma vie : après la naissance de ma fille.

D’ailleurs, il avait été suggéré que c’était là l’ancrage psychosomatique, le fait que ma peau exprime le fait qu’avoir un enfant me stressait (sous-entendu : ne me remplissait pas de joie).

Maintenant, je peux le dire bien franchement : je considère que tout diagnostic posant une base psychosomatique à vos problèmes corporels est surtout l’indicateur infaillible du total manque de rigueur scientifique de celui qui le pose sur la table de son cabinet comme un étron dans la soupe. Il y a quelques décennies, le même praticien vous aurait traitée d’hystérique et si peu de siècles en arrière encore, il vous aurait collée sur un bucher.

Je crois qu’il y aurait beaucoup à dire sur cette arrogance médicale qui refuse de reconnaitre ses limites et ses carences et qui se dépêche d’en coller la responsabilité au patient sous prétexte que ça se passerait dans sa tête. Il y aurait beaucoup à dire sur le fait que la variable psychosomatique est plus souvent opposée aux femmes, alors même que nombre de protocoles médicaux continuent d’exclure le biais sexuel et n’expérimentent que sur l’homme comme patient de référence.

Il est possible que nous parvenions à exprimer des souffrances psychiques violentes à travers nos corps, mais il est également fort plausible que l’excuse psychosomatique sert encore à masquer l’ignorance du corps médical.

Donc j’avais une localisation précise de mon problème et un changement de mode de vie (l’arrivée d’un nourrisson) pour caler un début, mais il me manquait une variable explicative. Jusqu’au jour où l’ami Thierry Crouzet sort son bouquin sur le lavage des mains.

Je ne vous refais pas le résumé du livre, mais ce qui est intéressant, c’est que de nouveau, on revient sur les membres du personnel médical qui ont des problèmes de mains après trop d’expositions aux détergents. Et cela correspond à mes propres observations. Et là-dessus, arrive l’information qui me manquait : un allergène mis en cause dans les produits cosmétiques et ménagers.

Me voilà avec un tableau complet : une hyperallergie au nickel avérée, une peau fragilisée par des lavages fréquents avec des produits majoritairement irritants et surtout une exposition permanente à mon allergène qui s’avère être présent dans pratiquement tous les produits ménagers et cosmétiques d’usage courant.

Je trouve le blog de quelqu’un qui souffre du même problème que moi et je remplace tous les produits que j’utilise par d’autres (nettement moins diffusés) qui ne contiennent aucune trace de nickel. J’arrête la cortisone et j’observe… l’arrêt total de tout type d’irritations sur mes mains.

C’était tellement simple… et tellement compliqué à la fois. Pourtant, la démarche est scientifique : on pose une hypothèse, on met au point une méthodologie qui consiste à éliminer l’élément perturbateur supposé de l’équation et on observe le résultat. C’est sans ambigüité. Et depuis bientôt trois ans, je n’ai plus aucun symptôme (même si j’ai eu des coups de stress par ailleurs).

La question médicale du nickel

Reste donc le problème du nickel, omniprésent dans notre vie quotidienne… mais aussi dans le monde médical. C’est un allergène connu et l’allergie est acquise dans le temps par des expositions répétées.

Très intéressant, le fait que l’allergie au nickel touche nettement plus les femmes que les hommes. À mettre en relation avec les très florissantes industries du bijou fantaisie, des cosmétiques et des produits ménagers (toutes utilisatrices de sulfate de nickel) dont les principales consommatrices récurrentes sont les femmes. Toujours très intéressant : le fait que l’allergie se déclare souvent lors du perçage des oreilles, le moment où de jeunes filles essentiellement sont susceptibles de se coller des prothèses de mauvaise qualité directement dans la chair à vif du lobe des oreilles. D’ailleurs, je me souviens très bien avoir eu une réaction très violente à ce moment précis de ma vie et n’avoir jamais pu porter de bijoux sans me retrouver avec les oreilles en chou-fleur. Selon toute vraisemblance et mes souvenirs, c’est à ce moment précis que j’ai acquis mon allergie.

Et là-dessus, j’apprends qu’actuellement il existe un implant de stérilisation (à destination unique des femmes, donc) qui est composé pour grande partie de… nickel ! Et je repense à cette décennie de mains ravagées due à de simples traces de nickel dans des produits que je rinçais soigneusement…

J’en ai des sueurs froides. Imaginons qu’on me colle un morceau de nickel, même petit, directement dans le corps : je serais alors en réaction allergique interne permanente, une horreur que je n’arrive même pas à imaginer. Donc, sachant que pratiquement une femme sur cinq est touchée par l’allergie au nickel, pourquoi en mettre dans des implants… ou des prothèses ?

Pire, je découvre alors que bien qu’il y ait une petite allusion aux problèmes allergiques dus au nickel, il est tout de suite fait mention de la faible quantité et donc du faible risque… or, j’ai eu la cruelle expérience du fait que lors de contacts récurrents et même pas très prolongés, la faible quantité ne change rien à l’affaire.

Aujourd’hui, il existe de très nombreux récits de femmes qui présentent des réactions secondaires liées aux implants stérilisants au nickel en France, mais aussi à l’étranger. Et comme toujours, elles font face, au mieux, à l’incompréhension des professionnels de santé quand ce ne sont pas les sempiternelles dénégations arrogantes d’un corps médical qui minore encore et toujours le vécu et la parole des patientes et persiste à évacuer les témoignages sans même tenter une approche scientifique.

Il n’est pas difficile d’y voir là le prochain gros scandale sanitaire poindre le bout de son nez.

Et en l’absence d’une profonde remise en question du corps médical, de ses méthodes de formations et de ses certitudes indéboulonnables construites sur des montagnes d’ignorance et d’arrogance, tous les autres scandales qui ne manqueront pas de suivre. Encore et encore.



4 réactions


  • baldis30 24 décembre 2016 10:46

    Et le lobby du nickel qu’en faites-vous ?

    Vu l’étendue de ce qui semble être un problème plus général qu’il n’y paraisse à priori, va-t-on avoir une réaction du type de celles des fabricants de cigarettes et autres commerçants de tabac ?

    Il n’en reste pas moins que pour l’industrie chimique le nickel reste un excellent catalyseur.

    Est-ce cette propriété ignorée de tous les cosmétistes qui est en cause ?


  • colza 24 décembre 2016 13:09

    Le problème est général.

    Le médecin, face à son patient, DOIT savoir et apporter une réponse. C’est vrai pour son ego et c’est vrai pour le patient. Il y a du chemin à faire.
    Une phrase m’a frappé dans votre article : « C’était tellement simple… et tellement compliqué à la fois. Pourtant, la démarche est scientifique : on pose une hypothèse, on met au point une méthodologie qui consiste à éliminer l’élément perturbateur supposé de l’équation et on observe le résultat. »
    Est-ce que ça marche aussi pour nous et l’UE ?
    Hors sujet, c’est vrai, pardon !

  • clodius clodius 24 décembre 2016 16:20

    Si vous devez utiliser des aciers, il faut choisir ceux qui ont le % de chrome le plus élevé, ce qui freine le relargage du Ni.
    % de soufre bas
    % de carbone, bas également.
     


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