jeudi 22 juillet 2010 - par Bernard Dugué

1995-2010. L’époque de la non connaissance

La période axiale a vu se déployer l’ouverture des consciences doublée d’une expression du réel. La langue permet d’exprimer des réalités non ordinaires. Religions, spiritualités, sagesses, arts et cultures en sont sortis. L’homme ne se satisfait pas de manger, se reproduire, jouer. Il aspire à plus que ne lui offre l’existence terrestre prosaïque. Ou à défaut, il cherche à parvenir, dans sa relation entre son intériorité spirituelle et la nature, vers un état d’harmonie. Ainsi se présente la vie bonne qui est proposée dans Philèbe de Platon. Mais pour y parvenir, le seul moyen est d’apprendre à se connaître. Platon fait dire à son personnage Socrate qu’il faut prendre au sérieux l’une des trois formules inscrites au fronton du temple de Delphes, celle qui s’énonce ainsi : gnothi seauton, autrement dit, connais-toi toi-même ! Une variante ajoute ceci : et tu connaîtras l’univers et les dieux. Cette variante, dont l’origine est souvent reprise de nos jours, reste incertaine. Quoi qu’il en soit, rien n’interdit de la prendre au mot et de voir dans ce précepte deux possibilités. La première, c’est le souci de soi qui passe par une connaissance de soi à des fins terrestres avec deux options ; celle de la vie politique vertueuse, dont Alcibiade décrit pour ainsi dire la feuille de route et donc, la voie (vertueuse) à suivre ; et celle de la vie bonne proposée dans Philèbe. On remarquera que Platon ne fait allusion qu’à la formule originelle, celle du connais-toi toi-même. Cela dit, une seconde option est suggérée. La connaissance de soi offre la possibilité de connaître les dieux et l’univers. N’est-ce pas là la voie des brahmanes védiques ? Un chemin où la conscience est en quelque sorte l’instrument d’une connaissance plus haute. L’Inde védique n’a pas encore livré ses mystères. La philosophie grecque nous paraît plus utile. Logique, elle a placé ses efforts cognitifs dans la connaissance de l’homme. Le nous-intellect d’Anaxagore (qui n’est pas sans rappeler le purusha védique) a été placé en propre dans l’humain. Non sans quelques ambiguïtés puisque chez Platon, l’intellect est divin, et donc, partagé par l’homme avec un second monde. Plotin clôt cette aventure métaphysique en positionnant l’Intellect comme une des trois hypostases fondamentales régissant l’univers et les hommes. Les sages, mystiques et autres philosophes ont légué des éléments précieux permettant de connaître l’homme et la nature. Mais ce système allait être balayée par la Modernité.

Deux millénaires après Platon, la science moderne offre un moyen supplémentaire de connaître la nature. La méthode est radicalement différente. Les sages antiques utilisaient leur conscience, s’immergeant dans le réel et observant comment le monde apparaît. Les scientifiques mesurent la nature mais aussi n’hésitent pas à la manipuler. Un nouveau savoir est apparu. Que ce dispositif ait été à l’origine d’un savoir-faire et des technologies, nul ne le conteste. Par contre, la connaissance de la nature extrapolée à partir des formalismes scientifiques a posé des problèmes d’ordre épistémologique et gnoséologique insurmontés. L’essentiel des critiques porte sur la vision mécaniste qui n’a cessé de se développer, profitant notamment des limites du vitalisme en biologie. Mais rien ne dit que cette vision perdurera. La grande interrogation du 21ème siècle portera sur l’essence des choses naturelles. La nature est-elle mécanique en substance ou bien le mécanisme n’est-il qu’un paradigme portant sur la partie de la nature accessible (à défaut d’être intelligible) grâce aux manipulations ? Sans doute parviendrons-nous à la conclusion que la science constituée entre la fin du 19ème siècle et le début du 21ème siècle n’a pas cherché à connaître la nature. Elle s’y est même refusée avec force. Ce qui traduit une opposition entre une science à visée technicienne, inscrite dans le champ des savoirs-faires, des pratiques, des finalités productives (cf. l’économie de la « connaissance) et une science à visée intellective, permettant de connaître et d’intelliger l’essence des choses naturelles et ce, en toute indépendance des visées carriéristes, politiques et économiques. Bref, une science qui livrerait les secrets de la nature, composée de chapitres telles des nouvelles ennéades écrites avec les savoirs contemporains.

J’aimerais revenir sur une date, 1960. Celle qui signe la séparation définitive de l’homme et de la nature, après une longue histoire débutée au néolithique (Frochaux, L’homme seul, Age d’Homme, 1996). Cette date de 1960 coïncide aussi avec une anticipation ratée du sociologue Nisbet concluant à la fin de son ouvrage classique que la rationalité et la technique avaient gagné la partie contre les archaïsmes et autres conservatismes religieux. Une Modernité triomphante, c’était crédible, des jeunes femmes en minijupe à Kaboul, qui l’eut cru. 1960, c’est aussi la décennie où la science livre quelques visions recoupant l’Antiquité. C’est d’ailleurs l’objet d’un livre de Ruyer intitulé la gnose de Princeton. L’auteur prétendit qu’un courant souterrain universitaires se prenait à élaborer une spiritualité et une théologie nouvelles, basées sur les fulgurantes découvertes scientifiques, notamment celles de la physique. En fait, on sait une chose, c’est que ces années virent un bouillonnement d’idées dont on peut détecter quelques traces en France avec la revue Planète. A cette époque, les hippies découvraient des zones inconnues de la conscience et se rêvaient en passeurs entre l’Inde et l’Occident. Deux décennies plus tard, le new-age avait fait son apparition controversée. Puis tout s’est normalisé. Les directeurs de conscience ont pris l’ascendant sur les populations de contrées sous-développées, l’obscurantisme religieux a pris ses parts dans le marché des âmes, alors que la science s’est développée tout en se refermant sur la vision étriquée mécaniste qui elle, a son utilité sur le marché de la finance.

1995. Cette date semble arbitraire. Pourtant, elle s’accompagne de réflexions montrant que l’ancien monde, celui de 1960-1980, prend fin alors que rien ne permet de dessiner le futur. En 2010, rien n’a vraiment émergé, sauf pour ceux qui arpentent des chemins de traverse en parcourant des espaces à l’instar des mystiques médiévaux mais avec cette fois plus de science que jamais. La chute du mur a confirmé la mélancolie rampante de la philosophie européenne qui n’a plus rien à proposer excepté les braises de sa gloire passée. En 1995, Jean-Marie Domenach publie Le crépuscule de la culture française. Signe s’il en est d’une époque avachie et fatiguée, privée des ressorts passés susceptibles de propulser les œuvres fulgurantes maintenant inscrites dans le marbre du patrimoine culturel. Le constat de Domenach est accablant. La littérature française serait en voie de dégénérescence, de « décréation » alors que la France vit dans un sentiment d’impuissance face aux réalités. On veut bien le croire. Les romans continuent pourtant à se vendre mais c’est devenue une habitude culturelle entretenue par l’industrie du livre et les médias. La philosophie ne se porte guère mieux. La défaite de la pensée annoncée par Alain Finkielkraut a sans doute eu lieu. Disons que c’est plutôt une désaffection pour la pensée, qu’on situera dans le commerce des livres et le goût moyen du lecteur pour des produits moyennement élaborés permettant de réfléchir un peu tout en se divertissant un peu. S’il y a bien un lien entre l’expression humaine et la pensée, c’est dans le domaine de l’art littéraire qu’on le trouve, philosophie incluse, car la pensée livre des connaissances et dieu sait si le « grand roman » est un outil permettant de penser. 1995 semble représenter une année symptomatique. Les grèves de décembre ont accompagné le basculement des forces de gauche depuis le camp du progrès vers celui du conservatisme. Autre signe d’époque, celui de la déliquescence des élites, signalé aux Etats-Unis par Lasch dans un livre paru lui aussi en 1995. La chiraquie n’a pas montré de grandes âmes vertueuses.

Le décor de cette époque ne serait pas complet sans ce livre devenu un best seller dans le champ de la psychologie. C’est en effet en 1995 que paru la première édition de l’étude de Georges Simon, praticien ayant une longue expérience des troubles psychiques occasionnés par une catégorie de personne désignée comme manipulateurs. Ce livre a eu un impact retentissant et fut traduit en plusieurs langues. Oui mais quel lien avec le propos ? Eh bien disons que la manipulation psychique représente un signe des temps, fonctionnant de concert avec les manipulations médiatiques, traduisant l’ère des influences publicitaires et des directeurs de communication. Le propre de la manipulation est d’utiliser un stratagème pour obtenir d’un individu qu’il agisse dans le sens souhaité et quelque part, l’homme est la chose du manipulateur. A l’instant de la nature qui est la chose du scientifique. Manipulations génétiques, manipulations psychologiques. Il faut bien qu’existence se passe sur cette planète. Mais on peut aussi être porté vers la connaissance. Or, la science ne prend pas cette voie. Si bien qu’Heidegger a pu en une provocante formule décréter que la science ne pense pas. En fait, la science offre des formalismes qui, si on se prend à les lire comme une écriture, devraient permettre d’accéder à une authentique connaissance des choses et de leur essence. Doit-on alors préciser la formule en suggérant que les scientifiques ne veulent ou ne peuvent pas penser ? S’ils ne peuvent pas, c’est qu’ils sont pris dans une frénésie manipulatoire menée comme une folle course aux publication et donc n’ont plus l’esprit à penser. S’ils ne veulent pas, c’est parce que la pensée ne présente aucun intérêt en terme de carrière et que c’est même l’inverse. La connaissance des choses n’est pas indispensable au séjour sur terre, pas plus que la connaissance (intime) de soi suggérée par la célèbre inscription sur le temple de Delphes.

Mais quelques savants et sages ont décidé de suivre un autre chemin et une partie inédite se dessine. Car autour de 1995, des découvertes majeures ont été effectuées. Le puzzle de l’univers livrera bientôt ses secrets.



6 réactions


  • frugeky 22 juillet 2010 10:54

    C’est fouilli mais faut dire que le sujet est ambitieux.
    On ne manipule que ce qu’on connaît. Si c’est l’homme qui est manipulé, on en revient au « connaîs toi toi-même », par extrapolation.
    Si c’est la nature qui est manipulée, et peut-être recrée, alors l’Homme est un grand magicien.


  • liberta 22 juillet 2010 11:10


    @ on peut en effet, être porté vers la Connaissance à condition de dégager un libre arbitre face à
    la manipulation organisée et prégnante dans tous les domaines

    C’est un combat que chaque individu doit mener dans la vie de tous les jours du fait d’une mise en place d’une uniformisation gérée par Le Nouvel Ordre Mondial

    La manipulation est l’outil fatal qui a permis à cette Organisation qu’est le NOM de mettre les populations dans un esclavage sournois, non apparent mais efficient

    C’est pourquoi je parle de combat de l’ esprit à remettre en cause chaque jour

    Ils détiennent tous les pouvoirs, (financiers, politiques, moraux, etc...) grâce à la manipulation des esprits 

    Je rappelle le « Discours de la Servitude » écrit par la Boétie et si les populations sont serviles, elles le doivent pour beaucoup à de savantes manipulations

    Sauvons nous nous-mêmes en remettant en cause chaque jour ce qui nous parait être une insulte à notre intelligence










  • herbe herbe 22 juillet 2010 11:42

    intéressant cher auteur ...

    Au fait que pensez vous de l’appel à l’enseignement de la philo dès la seconde ?

    http://www.lexpress.fr/actualite/societe/education/pour-la-philo-en-seconde_901656.html

    Pour parler de jalons dates ça me rappelle que Pirsig publie son « Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes » en 1974 (ça traite de pas mal de sujets évoqués de plus en plus maintenant dans la société ...) il est vrai que la traduction française (infidèle) arrivera bien plus tard (fin des années 90 justement)...


  • Marc P 22 juillet 2010 11:45

    et qu’auraient eu à nous dire un Baudrillard, un Hawking, un Einstein, un Dehaene ou un Socrate, un Jorion ou un Levi-Strauss si à toutes leurs connaissances s’ajoutaient celles de la Petite Thérèse ou du Curé d’Ars, de Bouddha ou de Jacob, de Mahomet ou de Marthe Robin... ???

    Mais cela nous a été dit : la pauvreté d’esprit indispensable à la connaissance au sens de docteur de l eglise et qui devrait être la richesse la plus prisée s’accomode difficilement du savoir disons scientifique... peut être Pascal représente t il un métissage savoir-connaissance réussi....

    Cdlt


    • Gollum Gollum 22 juillet 2010 12:26

      Il n’y a pas de connaissances au pluriel en ce qui concerne des personnalités comme le curé d’Ars ou Marthe Robin, mais une connaissance une d’ordre intuitive, mystique et affective. 


      Ce type de connaissance n’est d’ailleurs absolument pas apprécié du monde occidental qui ne connaît que les connaissances (au pluriel) apportées par les différentes sciences (au pluriel aussi), le pluriel étant depuis toujours la marque même des forces d’en Bas. 

      Effectivement ce qu’a toujours visé tout esprit Traditionnel, qu’il soit grec (Platon, Plotin (romain, néo-platonicien, donc grec par l’esprit), Socrate) ou indien (Shankara, Bouddha, etc) c’est une connaissance Une. Et cette connaissance n’est pas de l’ordre de la raison mais de l’Intellect, celui-ci étant l’union de la raison et du cœur, le cœur ayant d’ailleurs la primauté. La raison n’est dans cette perspective qu’un outil adapté à ce but. Et n’est donc pas tournée vers l’extérieur mais vers l’intérieur. Le fait d’ailleurs de porter son regard vers l’extérieur est vu comme une dégénérescence et une perte de l’essentiel.

      L’outil de la raison étant la logique, la logique à l’œuvre dans toute discipline Traditionnelle, est une logique de la double contradiction croisée, que l’on retrouve dans le Taoïsme chinois de façon claire, dans la Kabbale juive de façon plus cachée, mais aussi dans l’astrologie et le Tarot. Cette logique est la logique même de la Vie (voir code génétique). Elle est basée sur le nombre 4. Et permet une unification des contraires, ce que ne permet pas la logique d’Aristote, qui est une logique de la non-contradiction, étant elle basée sur le 2. Et qui ne permet pas une unification des contraires. Le monde extérieur reste extérieur et le monde intérieur reste intérieur avec aucune possibilité d’unification, c’est-à-dire que le monde extérieur devienne intérieur et réciproquement, ce qui est le principe de toute gnose.

      Je ne doute pas à cet égard que nombre de scientifiques ayant médité les écrits de nos Anciens, ainsi que ceux d’Abellio, ne préparent en sous-main une Révolution culturelle de grande ampleur, basée sur cette nouvelle logique. Mais celle-ci ne sera visible et accessible que lorsque le monde ancien aura fourni la preuve de sa stérilité en s’écroulant.

      Les survivants seront alors mûrs pour une nouvelle Sagesse. Et sans doute de nouveaux Rishis.

    • Marc P 22 juillet 2010 12:54

      Merci Gollum pour vos explications (auxquelles je n’ai pas tout compris) ; vous me semblez quelqu’un d’autorisé, a forciori si vous « connaissez » le travail de Tolkien et de C S Lewis... Oui l’idée de connaissance intérieure et extérieure unifiées me parle un peu...

      Comme celle de connaissance intuitive... A mon sens il peut s’agir au moins autant d’une disponibilité cultivée ou entretenue par pauvreté de coeure ou d’esprit telle, que la Connaissance pour ne pas dire la Providence s’offre à notre quête de rencontre de la part encore une fois du coeur et de l’esprit... Je dois paraître simpliste et vieux jeu... Mais il m’est difficile deraisonner de facon intellectuelle ou théorique.


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