A Palaiseau, le sous-préfet n’est pas un poète
Témoignage vécu d'une militante qui, entre autres actions, apporte son soutien aux personnes immigrées.
Ah, comme elle me plaisait cette petite histoire des « Lettres de Mon Moulin » lue dans mon enfance : « Monsieur le sous-Préfet aux champs »… je l’imaginais courant vers le bosquet, faisant voler les basques de sa veste, se couchant sur le tapis de mousse et se délectant du parfum des violettes. Monsieur le sous-préfet était un poète !
Hélas, je crains que Monsieur le sous-préfet de Palaiseau ne lui ressemble pas et ne montre pas la même sensibilité. Lui, c’est la nuit que je l’imagine, dans un sommeil paisible de l’homme sûr d’avoir bien fait son travail, grognassant de plaisir. Mais que se passe-t-il la nuit devant sa sous-préfecture ? Le passant peut y voir une file, déjà longue, d’hommes et de femmes, qui sont parfois là depuis la fin du jour, arrivés vers 19 heures, pour être sûrs de pouvoir être reçus le lendemain matin, car seuls passeront les vingt ou quarante premiers. Les autres devront rentrer chez eux, bredouilles, et ils devront prendre une nouvelle journée de congé pour revenir, plus tôt cette fois, en passant la nuit devant la sous-préfecture.
Parfois, il pleut, il gèle, il neige. On ne mettrait pas un chien dehors, par contre les résidents étrangers… cela ne semble pas gêner les responsables de la sous- préfecture. Dans la file d’attente, il y a parfois une vieille dame de plus de quatre-vingt hivers, toute grelottante. On y voit aussi des bébés enroulés dans une couverture et serrés avec angoisse dans les bras paternels, de tout petits enfants avec de grosses larmes qui coulent. Non, par ce temps-là, pas des chiens, mais des résidents étrangers, si.
N’appartiennent-t-ils pas au genre humain ? Ou encore quelle faute ont-ils commise, ceux-là qui ont précisément choisi de venir dans la patrie des Droits de l’Homme, du moins le croyaient-ils ?
Monsieur le sous-préfet qui n’est sans doute pas un poète, mais un haut fonctionnaire très organisé, pragmatique, près du concret, homme de dossiers prévoyant, a-t-il songé que ces personnes qui attendent l’ouverture des services pendant souvent plus de dix heures ont, comme lui et nous, des besoins naturels.
Il semble que ni lui, ni la mairie de Palaiseau ait eu l’idée toute simple d’installer des toilettes publiques à proximité, ni même ce genre de tirelire qui ouvre sa porte contre une pièce pour ce que vous laisserez dans la cuvette. Que chacun de débrouille ! Je suppose que les riverains sont ravis de trouver des excréments derrière les murs ou un fourré d’épineux. Eh oui, cela se passe ainsi.
Il faut aussi préciser que « ces gens-là » de si peu d’importance sont honnêtes et solidaires et qu’il ne viendrait à l’idée d’aucun de profiter de la courte absence de l’un d’entre eux pour prendre sa place.
Quand la porte s’ouvre enfin, seuls certains peuvent avoir accès au service tellement espéré. Là, aucune discrétion, pas d’espace confidentiel comme dans les autres services du même immeuble. Les résidents étrangers s’expliquent à voix basse, mais personnellement j’ai toujours entendu les réponses des employés claironnantes, dans le genre : « Mais, enfin, vous n’avez pas de papiers, pas de passeport, pas de travail, pas de logement, vous couchez dans la rue…que faites-vous ici ? » Toute la salle en a profité et le pauvre monsieur, rouge de confusion, baissait la tête. Ensuite, c’est un peu la tombola. Vous perdez ou vous gagnez… un droit de présence sur notre territoire pour un an, ou trois ou cinq, avec beaucoup de chance un imprimé qui vous permettra de refaire la queue pour déposer une demande pour dix ans. Une même personne avec un même dossier peut obtenir des réponses différentes sur deux visites. Y a-t-il un problème de manque de compétence ou d’abus de pouvoir ? Je ne sais pas. Je peux préciser, par ailleurs, qu’il y a quelques mois, les dossiers pour une demande de dix ans pouvaient être envoyés par poste, mais c’est terminé : maintenant, il faut revenir les déposer. C’est à se demander si quelqu’un est assez pervers pour venir se régaler les yeux de la longueur des files d’attente au petit matin.
Toutes les préfectures et sous-préfectures ne ressemblent pas à celle de Palaiseau. Certaines organisent la réception de nos résidents étrangers sur rendez-vous en précisant qu’elles souhaitent ainsi « améliorer leur confort ». C’est, par exemple, le cas de la sous-préfecture de Reims qui en plus publie un tableau pour indiquer les journées les moins chargées. J’espère qu’il y en a beaucoup d’autres comme celle-ci. D’ailleurs, en janvier dernier, un député s’était ému du caractère abominable de cette situation et avait posé une question au ministre de l’intérieur, lui proposant d’aller passer avec lui une nuit devant la sous-préfecture de Palaiseau. Ce député, c’était Monsieur François Lamy, actuellement Ministre chargé de la ville. Je lui suggère de faire la même proposition au nouveau Ministre de l’Intérieur qu’il connaît bien, son camarade Emmanuel Valls.
Je ne peux pas demander à Monsieur le sous-Préfet de Palaiseau d’être un poète et de nous faire rêver comme celui de Daudet, mais je le supplie de faire montre d’un peu d’humanité et de respect pour autrui, quelle que soit son origine, et ainsi de respecter notre constitution, les déclarations du Droit de l’Homme et les valeurs de notre République, notamment l’égalité et la fraternité.
Danièle Dugelay,
citoyenne.