Affaire Polanski : un peu de rigueur dans un monde de brutes
L’affaire Polanski n’est qu’une banale affaire de moeurs, tout comme l’affaire du collier n’était qu’une banale affaire d’escroquerie. Un homme d’âge mur se laisse aller avec une adolescente à peine pubère, échappe pour un temps à la justice puis se fait prendre après une longue cavale. Si l’individu en question n’avait pas été riche et célèbre, les journaux en aurait parlé. Il se trouve que c’est un cinéaste. Il se trouve surtout que la « profession » s’est mobilisée pour le défendre, et cela révèle, derrière le fait divers, un véritable problème de société.
D’abord regardons les faits. En 1977, Roman Polanski a invité chez lui Samantha Gailey, devenue depuis Samantha Geimer et âgée alors de 13 ans pour une séance de photographie. Il lui a fait boire du champagne et avalé du quaaludes, un sédatif aux effets à la fois euphorisants et aphrodisiaques. Il l’aurait ensuite violée, par les deux orifices. La version de Roman Polanski est, on s’en doute, légèrement différente, mais il ne nie pas les relations sexuelles. Dans tous les pays civilisés cela constitue un viol, et même un viol aggravé car la victime avait moins de quinze ans.
L’argument de la prescription ne tient pas en droit américain, pas plus qu’en droit français d’ailleurs. Roman Polanski a en effet plaidé coupable en 1977 en l’échange de la requalification du chef d’inculpation de viol en "relation sexuelle illicite avec un mineur". La mère de la victime avait accepté pour éviter à sa fille de devoir témoigner devant une cour. En droit Roman Polanski a donc déjà été jugé et reconnu coupable. Tout ce qu’il restait à faire c’était décider quelle peine il aurait à accomplir. On peut, bien sûr, trouver la procédure expéditive, mais rien n’obligeait Roman Polanski à l’accepter.
Certain ont fait remarquer que la victime n’était pas une oie blanche et que sa mère n’était pas un monument de responsabilité. C’est possible, mais outre le fait que cet argument ressemble au "elle m’a provoqué" de tous les cogneurs et violeurs de la planète, il est sans portée juridique. C’est au contraire le rôle de la loi de protéger ceux qui ne peuvent ou ne savent se défendre.
L’atmosphère quelque peu libérée qui régnait alors en matière de moeurs n’est pas non plus une excuse. Les artisans de la libération sexuelle ont toujours, et dès cette époque, exclu les pédophiles de leurs rangs et la NAMBLA – une organisation qui visait à légaliser la pédophilie homosexuelle – était persona non grata dans les manifestations homosexuelles. Roman Polanski, qui n’était plus un jeune homme, savait très bien que ce qu’il faisait était répréhensible, même dans le monde des hippies.
Le pardon de la victime, acheté, semble-t-il, à prix d’or, n’a par ailleurs, pas grande importance d’un point de vue juridique. On peut comprendre que Samantha Geimer ne souhaite pas se retrouver sous les feux de l’actualité, c’est d’ailleurs ce qui a poussé sa mère a accepter l’arrangement. Le problème c’est que ce n’est pas elle qui a engagé des poursuites, mais l’état de Californie. Nous ne sommes plus au temps des royaumes barbares où on pouvait échapper aux conséquences de ses actes en payant le "prix du sang". Ce sont désormais les pouvoir publics qui sont responsables, en Amérique comme en France, de l’administration de la justice, laquelle n’a rien à voir avec la vengeance.
En droit, donc, l’arrestation de Roman Polanski est pleinement justifiée. Il doit désormais être extradé et condamné – il s’est déjà reconnu coupable rappelez-vous. Sa seule chance d’échapper à sa peine est de plaider le vice de procédure. Il aura également à répondre de sa longue cavale, laquelle constitue en elle-même une infraction.
Ce qui est vraiment important dans cette affaire, ce n’est pas que Roman Polanski soit coupable – il l’est sans l’ombre d’un doute – mais que l’intelligentsia s’acharne à le défendre. Les arguments qu’avancent Bernard Kouchner, Frédéric Mitterand ou Bernard Henri Levy n’ont que peu d’intérêt. Ils n’ont aucune validité juridique mais cela n’a aucune importance car il ne servent qu’à donner un semblant de justification à ce qui n’est, au fond, qu’une mobilisation corporatiste.
Quand on écoute le ministre de la Culture ou le porte-parole de l’UMP, on a l’impression que pour eux il est moins grave de violer une adolescente de 13 ans que de télécharger des films illégalement. Ce n’est pas entièrement vrai. Leur véritable message, c’est qu’il est moins grave pour l’un d’entre eux de violer une adolescente de 13 ans que pour l’un d’entre nous de télécharger des films illégalement.
Qu’une grande part du monde intellectuel, de droite comme de gauche, les suive dans ce qu’il faut bien appeler une infamie, en dit long sur l’état d’esprit qui s’est développé chez certaines de nos "élites". Ce qu’elles disent, parfois explicitement, en soutenant Roman Polanski, c’est qu’on peut commettre n’importe quel crime – et nous ne parlons pas là d’un excès de vitesse ou d’un joint fumé entre deux petits fours – en toute impunité, pourvu que l’on soit un artiste.
Cette prétention n’est pas nouvelle. La noblesse d’ancien régime l’avait. C’est ainsi, par exemple que la comtesse Elizabeth Bathory a pu tuer et torturer des centaines de jeunes femmes sans recevoir d’autres châtiment qu’une assignation à domicile, il est vrai assez stricte, tandis que ses servantes, apparemment aussi coupables qu’elles étaient brûlées vives.
C’est le même message que nous adresse les défenseurs de Polanski : la revendication d’une justice de classe, voire même de caste, établie à leur seul avantage, et partant l’effacement de ce principe d’égalité devant la loi qui est sans doute la plus grande conquête des Lumières.
Cette bruyante revendication d’une égalité supérieure aux autres ne peut évidement que faire le jeux de l’extrême-droite. Si Daniel Cohn Bendit n’avait pas osé troubler le concert des protestations germanopratines, Le Pen se serait arrogé le monopole de la décence dans cette affaire, et ce d’autant plus facilement qu’on a du mal à lui donner tort lorsqu’il réclame la démission d’un ministre qui fait passer la solidarité de caste avant l’intérêt national, la justice et le simple bon sens.
Quant au silence de cette gauche qui reste envers et contre tout mon camps, il est assourdissant, à croire que même chez les trotskistes le seul rouge qui compte, c’est celui des tapis.
Spengler faisait autrefois remarquer que civilisations en déclin se reconnaissait au fossé grandissant qui s’y creusait entre l’élite et le reste de la population. Sans aller jusque là – les menaces qui pèsent sur notre monde sont d’une tout autre nature – force est de reconnaître que cette sécession des élites, ce reniement collectif de l’idéal républicain d’égalité et de responsabilité, marque une rupture dans notre démocratie. Cette rupture n’est ni de gauche ni de droite. Elle n’a rien à voir avec le capitalisme ou le libéralisme. Cela ne rend pas moins cette trahison des élites, comme l’appelait le regretté Cristopher Lasch moins détestable et moins dangereuse.