Alain Cocq, ou le juste combat pour le « suicide assisté »
Comme la romancière Anne Bert en octobre 2017, Alain Cocq, 57 ans, a décidé d’en finir avec sa vie de souffrance. Dans l’impossibilité physique de se suicider, il n’a pas eu d’autre choix que se laisser mourir de faim et de soif. Une fin de vie moralement atroce, dictée par une aberration sociétale : l’absence en France d’un texte de loi permettant, dans les cas extrêmes, de recourir à une assistance extérieure…
Alain Cocq était âgé de 23 ans lorsqu’à la suite d’une chute ayant provoqué une ischémie, il a développé une maladie dégénérative incurable. Les médecins ne lui donnaient alors que quelques mois d’existence, au mieux quelques années. Mais le jeune homme s’est accroché à la vie et a décidé de se battre à sa manière pour retarder les progrès du mal et tenter d’améliorer le sort des handicapés. En 1993, il a rallié Dijon – sa ville natale – à Strasbourg en fauteuil roulant pour aller plaider au Parlement européen la cause de ces handicapés trop souvent mal pris en charge par la société.
D’autres défis du même genre l’ont ensuite mené à Bruxelles et dans différents pays d’Europe. Jusqu’en 2008, année où son organisme n’a plus été capable de supporter ces efforts accomplis dans la douleur. Après avoir subi en quelques années une douzaine d’accidents cardiaques et cérébraux qui lui ont valu de nombreuses opérations chirurgicales, Alain Cocq a été contraint de mettre un terme à ces actes militants. Peu à peu, son état a continué à se dégrader.
Cloué dans un lit médicalisé depuis 2016, Alain Cocq souffre de plus en plus. Dans une interview récente, il confiait que son corps est régulièrement traversé d’insupportables « décharges électriques » qui viennent s’ajouter aux autres douleurs physiques et aux souffrances psychologiques qu’il endure. À quoi bon continuer à vivre dans de telles conditions ?
Il y a quelques jours, Alain Cocq a écrit à Emmanuel Macron pour décrire son état et « l’immense fardeau » qu’est devenu sa vie dans un corps « perclus de douleurs ». En conséquence de quoi, l’infirme a demandé au président de la République de l’aide pour bénéficier d’une « fin de vie dans la dignité avec assistance médicale active ». Hélas ! pour lui, comme l’on pouvait s’y attendre, Emmanuel Macron, après avoir exprimé dans sa réponse sa compassion et son admiration pour le combat d’Alain Cocq, s’est dit impuissant à pouvoir agir de quelque manière que ce soit en soulignant que n’étant lui-même « pas au-dessus des lois », il lui est « impossible d’accéder à sa demande ».
Impuissant, le chef de l’État l’aurait également été en octobre 2017 s’il avait été sollicité par la romancière Anne Bert pour l’aider à devancer les effets de la terrible maladie de Charcot dont elle souffrait et qui la condamnait à court terme à une paralysie de plus en plus invalidante suivie d’une terrible agonie par asphyxie (cf. Anne Bert : le choix de la mort dans la liberté et la dignité). Le président de la République n’étant pas doté d’un pouvoir d’intervention discrétionnaire sur de tels dossiers, l’écrivaine avait pris la route de la Belgique pour en finir comme le permet la loi belge. Elle est décédée le 4 octobre 2017, libre et digne dans la mort comme elle l’avait souhaité.
Introduire dans la loi un droit au « suicide assisté »
Dès réception de la réponse de l’Élysée, le jeudi 4 septembre, Alain Cocq a, comme il s’y était engagé dans le cas d’un rejet d’assistance à mourir, « arrêté toute hydratation, toute alimentation » afin de mettre un terme à sa vie, en prenant à témoin l’opinion publique. « Je ne me bats plus pour moi, mais pour les autres, ceux qui vont suivre », affirmait-il dans les médias il y a quelques jours. Non sans de solides raisons : nul doute en effet que d’autres Anne Bert, d’autres Alain Cocq, et des dizaines d’anonymes seront, dans les prochaines années, eux aussi contraints de trouver des solutions alternatives pour mettre un terme aux insupportables déchéances physiques et souffrances psychologiques que la Loi Claeys-Léonetti de 2016 ne prend pas en compte.
Cette loi porte effectivement sur la « fin de vie » et, aux yeux des législateurs, les malades comme Alain Cocq, aussi handicapés soient-ils, ne sont pas stricto sensu dans cette situation de « fin de vie ». Bien qu’ils soient incurables, leur décès prochain n’a pas de caractère imminent. Dès lors, malgré l’extrême gravité de leur état et les souffrances intolérables qu’ils endurent, ces malades ne peuvent, de ce fait, pas être inscrits dans un protocole de soins palliatifs comportant une « sédation profonde et continue » à finalité létale. Autrement dit, ils ne peuvent prétendre, ni à cette euthanasie légale qui, de manière hypocrite, ne dit pas son nom, ni à une quelconque forme de suicide assisté.
Or, la société évolue, et le droit à mourir dans la dignité progresse rapidement. C’est pourquoi il est de plus en plus évident que la loi Claeys-Léonetti, aussi récente soit-elle, est d’ores et déjà dépassée, notamment si l’on compare ses dispositions à celles qui ont cours dans un nombre croissant de pays. Elle doit donc être réécrite pour :
- D’une part, remplacer par une euthanasie active l’euthanasie lente et barbare qui, dans le cadre légal actuel, est pratiquée sur les malades sédatés par arrêt de l’alimentation et de l’hydratation. Une pratique qui, en dépit de l’inconscience des malades, se traduit de facto, sous le regard souvent horrifié des proches, par une agonie de plusieurs jours, voire d’une à deux semaines.
- D’autre part, introduire un droit au suicide assisté pour tous les malades et handicapés incurables comme Anne Bert ou Alain Cocq qui, de manière réitérée et consciente, pourraient en formuler la demande auprès d’un collège de médecins.
Dans l’immédiat, c’est avec un immense respect pour son courage et sa détermination que nous saluons Alain Cocq. Son agonie doit être perçue, non seulement comme une délivrance pour lui, mais également comme une dernière action militante en faveur de tous les malades et handicapés soumis à d’indicibles souffrances physiques et psychologiques, aggravées par la conscience d’une déchéance irréversible. Puisse son sacrifice déboucher dans un avenir proche sur une réforme de la législation sur la fin de vie en rapport avec les légitimes attentes d’une très large majorité de nos compatriotes !