mardi 2 février 2021 - par Vincent Verschoore

Au Beauvau de l’insécurité publique

 

Le Beauvau de la Sécurité débutait hier, en présence de Castex, Darmanin et la représentation policière. L'objectif, selon Macron, serait d'améliorer les conditions de la police, et consolider les liens police-population. Voeu pieux ? 

 Ce lundi, le PM Jean Castex ouvrait le « Beauvau de la sécurité » avec un discours où l’hypocrise rivalisait avec le cirage de pompes cloutées, une logorrhée de langue de bois présentant la police comme la gentille chienne de berger gardant le troupeau national, la première ligne de défense du pays face à la crise sanitaire, la victime des séparatistes menaçant le pays d’effondrement, la légion des fiers et nobles chevaliers de la République qu’il convient évidemment de mieux protéger et de mieux équiper afin de mieux répondre aux attentes du troupeau des Français.

J’avoue avoir ri lorsque Castex se sentit obligé de préciser (7:05) que les « forces de sécurité » ne servent pas seulement l’Etat, c’est-à-dire lui et sa caste de grands privilégiés, mais aussi la Nation, c’est-à-dire les autres. Comme quoi c’est loin d’être une évidence, ni pour lui ni pour ses interlocuteurs – la hiérarchie policière et les syndicats de police.

L’impéritie technocratique de la Caste-X apparaît dans la phrase suivante, où la « force » de ce Beauvau relèverait de sa méthode. Pour un technocrate en effet, seule compte la méthode, le bon alignement et la bonne couleur des cases. Le reste c’est académique, tout comme on enseigne aux élèves que peu importe le résultat, tant que c’est la bonne méthode – celle imposée, justement, par les technocrates. Une excellente manière de tout le temps se tromper tout en ayant raison.

Une situation catastrophique.

Revenons-en au cœur de l’affaire. De nombreux ouvrages, reportages, témoignages publiés au cours des dernières années peignent une image de la relation entre l’Etat, les forces de l’ordre et le public qui n’a absolument rien à voir avec le bavardage castexien. De « Bienvenue place Beauvau » illustrant les magouilles et la transformation de la police en organisation mafieuse, à « L’Ennemi de l’Intérieur, ou l’histoire dramatique d’une Police corrompue » décrivant une place Beauvau voyant « le peuple » en tant qu’ennemi à réprimer ou de bétail à racketter via la sacro-sainte politique du chiffre, en passant par « Paroles de flics » montrant comment cela se passe (souvent mal) du point de vue du flic de terrain, la situation est parfaitement catastrophique pour tout le monde.

Enfin tout le monde, ou presque : la hiérarchie policière, elle, profite largement de son allégeance partisane (1), tout comme le pouvoir qui a, en cette même hiérarchie et selon une relation donnant-donnant, un allié de premier plan pour faire n’importe quoi sans (trop) craindre la rue.

D’où, notamment, l’ultra-violence policière et judiciaire face aux Gilets jaunes. D’où, aussi, la répression outrancière et le racket attestatoire généralisé mené par les FDO lors des confinements et couvre-feux, même si ce racket fut déclaré illégal par le Conseil d’Etat en janvier 2021 (2).

La population a abandonné le contrôle de sa police à l’Etat et l’Etat, peu importe la faction politique en place, utilise la police pour s’émanciper de cette même population en lui imposant une menace constante de violence ainsi qu’une réelle violence ciblée en fonction de ses intérêts. Cette dynamique menant au désastre, du moins pour ceux et celles qui croient encore à l’idée de droits individuels et de démocratie, la seule issue semble être de reprendre le contrôle de la police.

https://zerhubarbeblog.net/2019/04/03/de-la-politique-des-violences-policieres/

Le problème réel n’est donc pas tant de protéger les gentilles et républicaines FDO contre une méchante population indisciplinée ou une racaille séparatiste aux portes du pouvoir (même si cette racaille existe, elle compte à tout casser quelques milliers d’individus), mais de remettre la police au service du public plutôt que du seul Etat.

Chose complexe car d’importants intérêts sont en jeu, et cela implique un changement de mentalité sans doute incompatible avec les critères de recrutement et de formation de la police/gendarmerie depuis une dizaine d’années, critères valorisant l’obéissance, l’ignorance et l’arrogance.

« C’était vraiment ce qui leur plaisait. C’était vraiment leur truc. Quand on contrôlait, il y avait un vrai mépris envers ces personnes. D’une manière générale, tout ce qui n’avait pas des codes entre guillemets bourgeois, soit une manière de s’habiller dans les codes des gens qui ont de l’argent. Mais des Blancs aussi, s’ils avaient des signes de pauvreté sur eux, n’avaient le droit qu’à très peu de respect. »

https://zerhubarbeblog.net/2018/12/21/magouilles-nazisme-et-violence-un-policier-repenti-se-livre/

Revendications croisées.

Une réalité qui n’échappe sans doute pas à Emmanuel Macron, même si elle l’arrange pour le moment, car elle risque de peser dans le champ politique d’ici aux prochaines élections – à moins que ces élections ne soient définitivement annulées pour raisons de sécurité mais bon, chaque chose en son temps :

Avec la tenue du « Beauvau », du nom de la place où est situé le ministère de l’Intérieur, le chef de l’Etat dit vouloir « améliorer les conditions d’exercice » des forces de l’ordre et « consolider » les liens avec les Français.

https://www.20minutes.fr/societe/2966419-20210201-beauvau-securite-ouverture-lundi-grand-debat-inedit-police

On voit très mal comment concilier « l’amélioration des conditions d’exercice », autrement dit l’augmentation les moyens de surveillance, de contrôle et de répression via des lois genre « sécurité globale » (3), avec la consolidation des liens avec les Français – à moins que par « consolidation des liens » il ne faille entendre de nouveaux modèles de menottes et autres instruments de domination brutale, chose pas impossible vu le degré d’ignominie dont est capable l’intéressé (4).

Du côté des syndicats de police, la négociation commence plein pot :

« L’attente des fonctionnaires de #police est aussi forte que leur scepticisme quant aux résultats concrets de cette démarche, perçue par beaucoup comme une grand-messe politico-médiatique. Des réformes structurelles doivent enfin intervenir » Christophe Rouget

https://twitter.com/PoliceSCSI/status/1356163214900420608

Traduction en langage clair : « on s’en branle de votre truc, on veut juste les pleins pouvoirs ». Par esprit d’équité, voici néanmoins l’intervention de Christophe Rouget, du syndicat Police SCSI. J’ignore ce qu’il veut dire par « l’audace de dépasser les réflexes de caste », je suppose que ce n’est pas une référence ironique à Caste-X mais on en saura sans doute plus dans les mois à venir :

La critique policière n’y croit guère.

Certains critiques et néanmoins experts de la chose policière n’y croient pas plus :

La mascarade prévue aura bien lieu. Pas de chercheurs critiques, pas de représentants des victimes, personne de l’éducation, aucun praticien de l’information. Le #BeauvauDeLaSecurite fait la part belle aux entreprises privées, hauts cadres, à l’entre soi.

https://twitter.com/davduf/status/1355943112531697666

Après avoir été la pâle copie de @NicolasSarkozy@GDarmanin se lance dans une imitation encore plus mauvaise de Clémenceau, qui déclarait : « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission. » Le #BeauvauDeLaSecurite bâtit une LOPSI ultérieure aux #presidentielle2022.

https://twitter.com/AlexLanglois_/status/1356246097975513090

Face à l’Etat policier.

Ce blog tentera bien sûr de garder une oreille collée à ce débat. Le rôle de la police et sa transformation en une milice à la botte de régimes autoritaires, phénomène dépassant largement des frontières françaises et donc d’autant plus grave et inquiétant, est au cœur du débat politique et social. Aux USA, en prise depuis vingt ans (et le Patriot Act introduit dans la foulée du 11 septembre 2001) à l’établissement d’un véritable état policier (5), le mouvement « Defund the police » (définancer la police) fait son chemin :

La méthode est radicale, mais elle gagne du terrain outre-Atlantique. Alors que la question des violences policières et d’un racisme systémique au sein des forces de l’ordre est omniprésente aux États-Unis depuis la mort de George Floyd, une petite musique se fait de plus en plus bruyante dans les manifestations : et si l’on faisait disparaître la police ? 

Derrière cette perspective, le slogan : “Defund the Police”, qui s’affiche désormais en immenses lettres jaunes sur le bitume des rues de Washington D.C. et qui sonne à l’oreille comme l’idée de défendre les forces de l’ordre. Mais qui en réalité a un objectif inverse. Si la police commet des abus et produit des inégalités raciales, alors pourquoi ne pas se diriger un nouveau modèle de société en ce qui concerne le maintien de l’ordre et de la paix sociale ? 

https://www.huffingtonpost.fr/entry/defund-the-police-etats-unis-george-floyd_fr_5eddfd52c5b659e41a835734

Cette question ne sera évidemment pas évoquée lors de ce « Beauvau de la sécurité », le régime ayant bien trop besoin de la police pour se maintenir en place, et aucune représentation critique de la police n’ayant été invitée.

Reste que les idées fortes, tout comme les virus, se jouent des frontières, des confinements et des attestations dérogatoires. Celle-ci pourrait un jour venir chatouiller les pieds de Lallement armé jusqu’aux dents qui arpente, au pas de loi, nos ruelles désertes à la recherche d’une prochaine victime coupable de respiration non autorisée.

 

Liens et sources :

(1) https://www.parismatch.com/Actu/Politique/Didier-Lallement-le-rempart-du-president-1717475

(2) https://www.lunion.fr/id221515/article/2021-01-08/lattestation-de-deplacement-officielle-netait-pas-obligatoire-selon-le-conseil

(3) https://zerhubarbeblog.net/2020/11/17/manif-contre-la-loi-securite-globale/

(4) https://zerhubarbeblog.net/2021/01/27/macron-a-davos-lignominie-en-marche/

(5) https://zerhubarbeblog.net/2016/10/04/do-not-resist-un-documentaire-effarant-sur-le-joug-policier/




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