jeudi 2 juin 2011 - par Droitissimo.com, le Robin des Droits

Des avocats déclarent la guerre au contrôle d’identité « au faciès » !

Après leur récente offensive contre les gardes à vue illégales, les « robes noires » repartent à l’attaque. Et elles entendent bien faire bouger les choses au plus haut niveau.

A l’initiative du Syndicat des avocats de France (SAF), un collectif de 50 avocats a décidé de s’attaquer au contrôle d’identité au faciès.

Leur objectif : démontrer que la procédure du contrôle d’identité n’est pas conforme à la Constitution.

Leur moyen : la question prioritaire de constitutionnalité (QPC).

Depuis le 23 mai 2011 et dans six villes de France, les avocats surveillent chaque dossier présenté aux juges. S’ils estiment qu’un délit de faciès est à l’origine d’un contrôle d’identité, ils soulèvent une QPC.

Cette « opération-coup de poing » qui doit durer deux semaines, part d’un constat fait par bon nombre d’avocats depuis fort longtemps : plus vous êtes bronzé, plus vous avez de chance de vous faire contrôler. Autrement dit, si vous êtes « Noirs » ou « Arabes » !

Les travers du contrôle d’identité

S’il existe plusieurs textes de loi relatifs au contrôle d’identité, il y en a un qui comporte particulièrement des risques de discrimination. C’est le 1er alinéa de l’article 78-2 du code de procédure pénale (CPP). Explications :

- - Les conditions actuelles du contrôle d’identité

Selon le 1er alinéa de l’article 78-2, « Les officiers (…), agents (…) et agents de police judiciaire adjoints (…) peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :

- qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;

- ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;

- ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en ca de crime ou de délit ;

- ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. 

C’est là que les dents crissent. Juste au niveau de l’expression « raisons plausibles ». Les avocats estiment en effet qu’en posant ce seul critère d’appréciation, cet article n’encadre pas suffisamment le régime du contrôle d’identité et peut mener à des contrôles injustifiés.

Ce qui est loin d’être faux.

Des motifs de contrôle vagues, subjectifs et imprévisibles

En langage courant, ce qui est plausible est défini comme ce qui peut sembler vrai. Or, ce qui peut sembler vrai à une personne peut sembler faux à une autre. Par exemple pour certains, l’homme qui arrive en courant d’un couloir de métro veut attraper la prochaine rame. Pour d’autres, il est poursuivi.

C’est ce qu’on appelle la subjectivité, et c’est ce qui inquiète les avocats.

En demandant aux policiers d’agir en cas de « raisons plausibles », on les autorise à décider seuls de la raison du contrôle. Et puisque la première impression sur une personne se fait généralement sur son aspect extérieur, cela multiplie les risques de contrôle « au faciès ». Risque d’autant plus réel que la loi n’exige aucune motivation écrite du policier. Impossible donc de savoir après coup si le contrôle était justifié ou non.

Un contrôle qui porte atteinte au droit d’aller et venir de tous les Français

Pour justifier leur QPC, les avocats soutiennent notamment que le 1er alinéa de l’article 78-2 du CPP restreint arbitrairement la liberté d’aller et venir de tout citoyen et viole le principe d’égalité de tous devant la loi.

En quoi ce type de contrôle porte-t-il atteinte à la liberté d’aller et venir ? Le contrôle d’identité prive, pour un certain temps, une personne de sa liberté d’aller et venir, sur la seule décision personnelle d’un policier, sans qu’aucun juge n’en vérifie le bien fondé.

Cette absence du juge viole également le principe d’égalité de tous devant la loi puisque c’est la seule procédure dans laquelle la restriction de liberté n’est pas contrôlée par un magistrat. Dans tous les autres cas, seul un juge peut décider d’une privation de droit (détention provisoire, interdiction d’exercer l’autorité parentale…).

Le risque avéré de contrôle « au faciès »

Une enquête publiée en 2009 par l’Open Society Institute a démontré qu’en France, un « Noir » ou un « Arabe » a respectivement 6 et 7,8 fois plus de chance d’être contrôlé qu’un « Blanc » (http://www.cnrs.fr/inshs/recherche/docs-actualites/rapport-facies.pdf).

Sur la base de 500 observations faites à Paris, cette étude a conclu que la plupart des contrôles se faisait en fonction de critères ethniques (couleur de peau, traits du visage…).

En conclusion, les auteurs de cette enquête ont fait plusieurs propositions aux autorités françaises afin d’éviter les dérives des contrôles : interdiction explicite de toute discrimination raciale dans l’article 78-2 CPP, définition légale de l’expression « raisons plausibles », remise à toute personne contrôlée d’un compte-rendu mentionnant la raison du contrôle … Peine perdue. Rien n’a bougé depuis.

C’est cette inertie des pouvoirs publics français qui fait aujourd’hui réagir les avocats. Et ils ne se contentent plus de simples propositions. Il s’agit aujourd’hui de faire déclarer inconstitutionnel le 1er alinéa de l’article 78-2 du CPP. Ni plus, ni moins.

Le couperet de la question prioritaire de constitutionnalité

Applicable depuis le 1er mars 2010 et visé par l’article 61-1 de la Constitution, la QPC est le droit reconnu à toute personne partie à un procès de soutenir, devant le Conseil Constitutionnel, qu’une loi ou ordonnance ratifiée par le Parlement porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Un dispositif protecteur des libertés individuelles 

Les droits et libertés garantis par la Constitution sont aussi variés que la liberté d’aller et venir, l’égalité de tous devant la loi, l’égalité homme-femme, le droit au travail, la liberté d’association ou encore le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de sa santé…

On dit que la question de constitutionnalité est « prioritaire » parce que, lorsqu’elle est posée devant une juridiction, elle doit être examinée immédiatement et avant tout autre point.

Elle doit être écrite et motivée mais peut être présentée à tout moment, devant toute juridiction (sauf Cour d’assises) et directement par le justiciable dans les procédures où un avocat n’est pas obligatoire.

La juridiction saisie la transmet ou non au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation qui décide à son tour de l’adresser ou non au Conseil constitutionnel.

Si la QPC est recevable, le Conseil constitutionnel déclarera nul le texte en cause et le législateur devra le réécrire.

Un premier renvoi encourageant

Si l’on ne connaît pas encore le contenu des QPC déposées pendant ces deux semaines, gageons qu’elles viseront au moins les violations de la liberté d’aller et venir et du principe d’égalité de tous devant la loi.

Dès lundi 23 mai 2011, 1er jour de l’opération, une juridiction de Lyon acceptait de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. La 23ème chambre correctionnelle de Paris devait être saisie le lendemain.

Attendons de voir si le Conseil constitutionnel donnera raison ou pas aux avocats.

Pour en savoir plus rendez-vous sur le site Droitissimo.com




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