vendredi 27 mars 2020 - par Michel DROUET

Deux ou trois trucs qui m’interrogent

Ce que révèle cette crise sanitaire, c’est avant tout la décrédibilisation, si c’est encore possible, de la parole politique et de celle des fameux « sachants » économistes et experts autoproclamés, trop souvent complices dans leurs analyses qui toutes vont dans le même sens, celui de la parole dominante, celle des 1%.

Mais la révélation principale de cette crise, cela aura été la mise en lumière des petits, des sans grades, de ceux qui sont méprisés mais qui travaillent dans l’ombre, pour nous…

Alors, un changement profond est-il possible ? 

La crédibilité des politiques

Bon, je ne surprendrai personne en disant que la parole politique fluctue au gré des époques et des évènements. La crise sanitaire que nous traversons en est l’illustration. Les « quoi qu’il en coûte » « plus rien ne sera jamais comme avant », les propos impensables sur notre système de santé tenu pas les mêmes qui se sont efforcés de le casser doivent être pris pour ce qu’ils sont, à savoir le comportement de rats pris dans un piège. Que le piège s’ouvre et ils retrouveront le sens du collectif qui les caractérise, celui de la meute néolibérale qui s’efforce déjà d’imaginer les meilleures façons de garder leurs pognons en vous faisant payer la crise.

Macron est le nouveau venu dans l’alignement des bobards censés l’adouber en Général menant ses troupes prêtes au sacrifice pour une petite prime défiscalisée, une médaille ou un diplôme de bonne conduite, mais il n’est pas le premier à appliquer l’adage du « Puisque la situation nous échappe, feignons d’en être les instigateurs ».

Souvenez-vous de Sarkozy lors de la crise bancaire de 2008 qui en appelait à la régulation et la réglementation des banques, qui appelait l’Europe à tirer les leçons de ce qui se passe dans le monde, qui parlait d’intervention étatique dans l’économie et j’en passe et des meilleures. Que reste-t-il aujourd’hui de ces discours de circonstances ?

Souvenez-vous de Hollande qui lors de sa campagne avait déclaré martialement que « son ennemi c’était la finance » et qui à la fin de son mandat avait copieusement arrosé avec son CICE, sans contreparties et sans discernement les entreprises mêmes celles qui n’en n’avaient pas besoin.

Alors comment ne pas être étonné et circonspect devant ce retournement Macronien soudainement converti à l’Etat Providence alors qu’il n’a eu de cesse de casser le système depuis son élection.

C’est certain, il n’y en aura pas pour tout le monde, et à côté des soignants qui verront peut-être leurs carrières revalorisés, les petites mains du secteur privé devront sans doute se contenter de primes défiscalisées et désocialisées, ce qui contribuera un peu plus à limiter l’intervention financière de l’Etat.

Qui paiera au final ? En 2008, ce sont les citoyens dans leur globalité qui avaient fait les frais de la crise bancaire. Aujourd’hui Macron indique déjà avec le recours aux heures supplémentaires et aux primes « sans charges », la limite à l’effort qui sera demandé aux grosses entreprises… 

La conversion trop rapide des « économistes »

Il n’y a pas si longtemps il chantaient en cœur le refrain de l’Etat dispendieux et des charges intolérables supportées par les entreprises ignorant superbement que ces « charges » servaient précisément de filet individuel ou collectif en cas d’accident de la vie ou de crise collective.

Ils avaient d’ailleurs admis, du bout des lèvres, que les « amortisseurs sociaux » avaient grandement contribué au maintien économique de la France après la crise financière de 2008, mais confortés par le néolibéralisme de ce Président jeune et entreprenant qui voulait casser les codes, ils en étaient revenus à leur errements et radotage.

Aujourd’hui, nouveau virage à 180 degrés et je ne résiste pas à citer une phrase de l’éditorial de Dominique Seux dans Ouest France (25/03).

« Cette période dramatique apporte un démenti réconfortant à tous ceux qui pensent que nos sociétés occidentales sont sans cœur, qu’elles ne pensent matin, midi et soir, qu’à l’économie. Quand une crise majeure nous frappe, elles sont capables de mettre la santé au-dessus de la production et de la consommation. Eh bien, dans toute l’Europe, tout ou presque s’arrête pour protéger les plus âgés et les plus fragiles, qui sont la majorité de ceux que frappe ce sinistre virus ».

Il y a tout de même quelque chose d’inattendu dans ce plaidoyer et pour tout dire je ne crois pas que cette attention soudaine pour la santé soit complètement désintéressée de la part du monde économique et ce pour deux raisons, la première étant que le virus concerne tout le monde, y compris les économistes et les plus riches qui n’ont aucune parade, et la seconde, c’est qu’une trop longue durée du confinement et une trop grande mortalité désorganiseraient le système et les profits et dividendes.

Nous avons changé de dimension et ce ne sont plus seulement des chiffres ou des cotations qui animent le système, c’est aussi la peur, la même pour tout le monde, qui rappelle, même aux plus puissants, que la vie n’est pas éternelle.

Les indispensables, les invisibles

A côté des 1% les plus riches qui ne sont vaccinés ni contre l’avidité, ni contre le coronavirus, il y a donc les 99 % qui font tourner la boutique et vendent leurs bras et leur savoir, leur intelligence, et mettent souvent en péril leur santé pour peu.

Ils prennent souvent des risques personnels, alors qu’on nous fait croire que ce sont les fameux « premiers de cordée » qui sont indispensables.

Actuellement on ne voit pas trop nos milliardaires, si prompts à s’émouvoir de l’incendie de Notre Dame de Paris, sur le terrain, qu’ils laissent volontiers aux petites mains, celles qui se les salissent au quotidien.

Jean-Marc, le routier, Fatima, la caissière de grande surface, Marie-Claude, l’aide-soignante au CHU ou en EHPAD, Serge, l’éboueur ou Josy, l’aide à domicile, et tant d’autres, sont ceux qui permettent actuellement au pays de rester digne, pendant que d’autres sont déjà en train de spéculer sur la sortie de crise et sur les « valeurs » qui auront la cote afin de compenser les pertes subies.

Comme disait une sous Ministre « la bourse baisse, il va y avoir des affaires à faire », ou lorsque le cynisme sert de viatique politique…

Alors, demain ?

Rien ne sera plus comme avant, vraiment ? J’ai déjà dit ce que je pensais de la parole politique. Je ne crois pas à la conversion soudaine de la ligne Macronienne, d’autant qu’elle me semble fortement inspirée par les 1 %, et qu’elle le restera.

Comment se fait-il que nous soyons autant démunis devant cette crise au point que la « stratégie », s’il y en a une, semble découler uniquement de notre impuissance à prévenir, à détecter et à soigner, compte tenu de notre dépendance organisée au profit des fameuses « chaînes de valeur » qui délocalisent les médicaments et les outils de dépistage : comment en sommes-nous arrivés à ce point ? Il faudra bien une réponse et des mesures fortes.

 Il faudra qu’on nous dise pourquoi un rapport de mai 2019 de Santé Publique France réclamant 1 Milliard de masques et remis à la Direction Générale de la Santé est resté sans effet (cf Canard Enchaîné de cette semaine).

Déjà, en coulisse, les renvois de patates chaudes s’organisent. Chacun y va de sa note, de l’avis d’experts pour se dédouaner, alors que la véritable raison, c’est la doctrine des petits hommes gris de Bercy qui consiste à tailler dans les dépenses, sans discernement, au risque de mener le pays sur la voie de la clochardisation.

Alors, des commissions d’enquêtes, des procès médiatiques ou des procès qui seront organisés dans quinze ans ? Pouvons-nous nous satisfaire de cet entre soi, de cette machine à laver politique ?

Il faudra bien que les indispensables, les invisibles, demandent des comptes et de manière rapide, qu’ils s’organisent, un peu comme les gilets jaunes, mais en mieux, car ce sont eux, les fameuses classes moyennes qui sont en mesure de faire bouger les choses. 




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