Discrimination positive : gare au leurre !
Destinée à "donner un coup de pouce aux minorités ethniques", la discrimination positive est de retour.
A l’occasion de l’élection de Barack Obama, le débat ressurgit, permettant à Nicolas Sarkozy de réaffirmer ses positions sur le sujet.
"Je prendrai dans les semaines qui viennent des initiatives pour que cette diversité, cette France riche de cette diversité, ça se traduise également dans nos élites, dans les préfets, dans les magistrats, dans les professeurs d’université, dans les médecins", a déclaré la chef de l’Etat jeudi dernier.
Déjà en 2003, Nicolas Sarkozy défendait la "discrimination positive à la française".
Même si le président se défend de vouloir recourir aux quotas, il s’appuiera certainement sur des dispositifs très proches, des quotas sans le nom, pour parvenir à ses fins.
Dans ce cas, la France s’engagerait sur une voie à la fois inefficace, dangereuse, dépassée, qui de surcroît nous éloignerait des vrais problèmes.
La discrimination positive est en effet dépassée, inefficace et dangereuse pour plusieurs raisons.
D’abord, il faut souligner que Barack Obama n’a pas profité des mécanismes de discrimination positive aux Etats-Unis. Contrairement à ce que certains ont cru, ou voulu croire, il doit son ascension au mérite. Plus intéressant encore, il n’a eu de cesse pendant sa campagne de mettre l’accent sur la diversité sociale, estimant que ses filles par exemple ne devaient pas être avantagées par leur couleur de peau pour l’accès à l’université, face à de jeunes étudiants blancs issus de milieux défavorisés.
Il faut d’une manière générale être très prudent lorsqu’on fait référence à la situation américaine. Les programmes de discrimination positive y ont été mis en place parce que le pays partait de très loin. Les Américains noirs sont tous autorisés à voter depuis seulement une quarantaine d’années (1965). On pendait encore des noirs dans le sud du pays dans les années 1950...Situation difficilement comparable avec la France.
Ensuite, les limites de la discrimination positive ont été étudiées par de nombreux chercheurs, notamment à partir de l’expérience américaine :
- Elle est contradictoire avec le principe d’égalité des citoyens, l’un des grands acquis de la Révolution française et de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Elle signe en quelques sortes le retour aux sociétés tribales où l’individu est d’abord caractérisé par son appartenance communautaire, son apparence, plus que par son statut de citoyen. Il y a là une régression forte sur le plan des idées et de la Civilisation ;
- Dans la pratique, la discrimination positive donne l’illusion de régler certains problèmes alors qu’elle en crée beaucoup d’autres.
Comment définir les individus qui peuvent bénéficier de ces programmes ? A partir de quel degré de pigmentation de la peau peut-on être considéré comme "positivement discriminable" ? Ces questions, d’apparence anédoctiques, sont en réalité de vraies difficultés qui n’ont eu de cesse de se poser aux Etats-Unis, et d’attiser les rancoeurs, les haines et les jalousies.
Autre problème, le choix d’un unique facteur de discrimination : la couleur de la peau. Mais quid des blancs vivant dans les quartiers mal réputés, dont des études ont montré qu’ils subissaient eux-aussi de fortes discriminations à l’embauche ? Quid des personnes handicapées ? Un ouvrier blanc qui frappe à la porte d’une classe préparatoire aux grandes écoles devra-t-il passer après le fils d’un ambassadeur africain qui a eu "la chance" de naître noir ?
La discrimination positive fonctionne comme une poupée russe : toute solution apparente cache en son sein un nouveau problème insoluble. Et c’est sans fin.
- L’efficacité-même de la discrimination positive et ses effets pervers doivent aussi être soulignés.
A l’évidence, elle nuit à toutes les personnes de couleur qui sont capables de réussir sans elle. Mettez en place un dispositif de discrimination positive, et toutes les personnes de couleur ayant réussi seront immédiatement suspectes d’avoir bénéficié d’un coup de pouce qui n’a rien à voir avec leur mérite personnel.
Bref, comme la mauvaise monnaie chasse la bonne, la discrimination positive chasse la reconnaissance du mérite, de façon souvent très injuste.
Il faut aussi souligner que la discrimination positive ne fait souvent que retarder la discrimination.
Un employeur ayant face à lui un candidat ayant bénéficié de ce système (ou dont il croit qu’il en a bénéficié) sera beaucoup moins enclin à lui faire confiance et à favoriser sa progression de carrière, même si l’individu le mérite. Son diplôme sera perçu comme "obtenu au rabais", de façon presque "illégitime". Ce phénomène a souvent été observé aux Etats-Unis.
Il faut bien avoir en tête ces difficultés lorsqu’on réfléchit à la discrimination positive. Si, à première vue, le mécanisme peut paraître séduisant, généreux et efficace, il faut pousser plus loin la réflexion et raisonner sur du concret.
Cela explique d’ailleurs pourquoi plusieurs Etats américains ont déjà mis fin à la discrimination positive (comme la Californie en 1997), ou envisagent de le faire (Colorado et Nebraska). Un récent sondage montre qu’aux Etats-Unis, 59% des jeunes sont opposés à la discrimination positive, et 14% favorables, ces mêmes jeunes qui ont largement voté Obama.
De plus en plus, les universités américaines abandonnent les critères ethniques de sélection pour renforcer l’aide aux plus défavorisés, sur le plan social.
Et c’est bien là le coeur du problème. C’est au niveau économique et social que se situe le vrai problème.
Là où la discrimination positive est la plus perverse, c’est qu’elle nous éloigne des vrais problèmes, en se focalisant sur la diversité ethnique, au détriment de la diversité sociale.
En se concentrant sur la "diversité ethnique" des élites françaises, Nicolas Sarkozy passe à côté d’un enjeu majeur, celui de la diversité sociale.
Un esprit malicieux, ou simplement clairvoyant, pourrait même le soupçonner de vouloir mettre en place une politique qui ne coûte pas grand chose, qui parle aux gens, qui sent bon la générosité et l’ouverture, pour mieux laisser tomber le combat pour la diversité sociale, qui est beaucoup plus coûteux, beaucoup plus dur, mais tellement plus efficace.
Qui peut en effet se satisfaire du chiffre de 4% de parlementaires ouvriers et employés alors que ces catégories professionnelles représentent plus de la moitié de la population active ?
Comment ouvrir les portes des grandes écoles aux filles et fils d’agriculteurs, d’ouvriers, de petits employés ?
Il n’est pas question ici de race, de communauté ou d’ethnie, mais bien d’égalité réelle des citoyens. Seule la diversité sociale insufflera chez les élites la diversité des opinions, qui nous manque cruellement aujourd’hui.
Alors, bien sûr, pour répondre au défi de la diversité sociale, les quotas ne seront pas très utiles. Il faudra prendre le problème à bras le corps, et accepter d’y mettre les moyens.
Quelques mesures très simples et efficaces pourraient être prises dès demain :
- La généralisation de la proportionnelle aux élections, notamment législatives, qui ouvriraient les portes des assemblées ;
- L’augmentation très significative des bourses d’étude, et de logement, à l’entrée des classes prépa, des universités et des grandes écoles. Qui parle en effet de ces centaines de milliers d’étudiants qui sont obligés de travailler pour survivre pendant leurs études ? N’y-a-t-il pas là un scandale qui mériterait au moins la même attention de la part du président de la République que celui de la diversité ethnique ?
- Surtout, un effort massif d’information sur les filières. Une part très importante des parents issus de milieux populaires ne savent même pas qu’il existe des classes préparatoires aux grandes écoles, que leurs enfants ont la possibilité de faire tel ou tel choix. C’est un problème majeur très rarement souligné.
Le combat pour la diversité sociale ne doit pas être abandonné. Il est d’ailleurs le seul qui permettra vraiment la diversité.
Parler de la diversité raciale sans s’attaquer auparavant au coeur du sujet, à la diversité sociale, ne peut être qu’un leurre, un triste gadget destiné à tromper les foules et amuser les médias.
Il est navrant, mais malheureusement pas surprenant, que les partis institués, PS UMP et Modem essentiellement, ne le soulignent pas.
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