lundi 7 mai 2012 - par Th Lodé

Échec carcéral : les grâces et disgrâces de la France

Ils l’ont dit à deux. Les deux candidats à la présidence l’ont annoncé discrètement, mais unanimement : il n’y aura pas de grâce présidentielle pour les condamné-e-s, personne ne sera libéré en 2012. Les prisons resteront remplies de tous les petits délits.

Il faut reconnaître que l’action de grâce du président a quelque chose du « droit divin », comme un privilège autocrate d’un autre temps, un décret charitable, le seigneur hautain mais magnanime qui gracie la plèbe coupable dans la fange. La grâce n’empêche rien de la déchéance du condamné, elle surpasse la justice en octroyant une concession à la dureté des peines : le président possède la prérogative de pardonner. Comme au monarque, l’indulgence présidentielle dépasse le tribunal et impose sa miséricorde.

Et pourtant, combien est attendu ce geste humanitaire dans les geôles républicaines, quand chacun s’accroche là au plus petit espoir de revenir à la vie sociale.

Mais, quand bien même l’existence démocratique de la grâce présidentielle est discutable, son application fait bien plus que cela. Elle n’est pas une simple mansuétude bien qu’elle ne s’adresse en général qu’à des petits délits et amendes de police. La clémence présidentielle donne un autre signal, elle annonce le besoin de réformer la répression, de changer les choses, de travailler à comprendre le fait carcéral. Bien sur, la grâce n’est qu’une microscopique remise en cause de la sévérité de la justice, mais elle en dénonce la rigueur, elle introduit un rien de débat dans un lieu qui n’en a pas.

Car, il faut le redire, la justice actuelle s’appuie toujours sur l’immense gâchis carcéral. Et la prison est encore plus qu’un échec, elle est une honte. En se privant du droit de grâce, le futur président pense-t-il encore l’ignorer ? Oublier que les peines ont tellement augmenté qu’elles ont passé le seuil du déraisonnable ?

La honte carcérale ne tient pas dans l’état délabré des cellules vétustes ni dans l’insupportable surpopulation des personnes incarcérées. Pas seulement en tout cas. Le traitement carcéral et le surpeuplement bafouent encore trop souvent la réalité des droits de l’homme. La prison, c’est aussi l’institution de la brimade systématique, la légalisation du non droit. Mais construisez des prisons modèles, modernisez les cachots, additionnez les matons, multipliez les cellules et rien ne sera résolu. Avec une politique de punition perpétuelle, il n’y aura jamais assez de places, il n’y aura jamais assez de surveillants, les prisons ne seront jamais assez nombreuses. Le nombre de détenus reste bien supérieur à ce qu’il a été, il augmente plus vite que la délinquance.

Mais d’où vient-elle, cette idéologie de la punition dont tous les protagonistes sont obligés d’en reconnaître à la fois l’inefficacité et l’inhumanité ? Inefficace et promouvant la récidive en détruisant toute vie sociale du détenu. Quand a-t-il été dit que l’enfermement résolvait les problèmes ? La prison ne fonctionne que comme une oubliette sociale. Le détenu est soustrait de la société, non pas pour changer, mais pour que sa claustration plaise au monde. Incompréhensible quand les peines sont si lourdes qu’aucune rédemption n’est attendue. L’absence de clémence est à l’image de l’absence de résultat de l’enfermement. On sait tellement que la prison est impuissante que son seul recours est dans la durée interminable des peines et dans l’oubli social de la personne incarcérée. Encore que la punition rate généralement les vraies menaces. Il y a plus de petits pauvres en prison que de criminels ! La plupart des vagabonds connaissent la détention. Au contraire, les tortionnaires, les bourreaux et les dictateurs y sont bien rares et protégés quand les petits y subissent toutes les humiliations permanentes et purgent des peines démesurées.

Quand donc sera envisagée enfin une réforme de cette vengeance sociale ? Quand donc s’ouvrira le débat interrogeant l’origine et la prévention, et questionnant l’abrogation des lois qui construisent des délits sans victimes ? Quand donc cette honte démocratique sera-t-elle enfin l’objet d’une explication ?

En faisant l’économie du débat abolitionniste, les élus politiques prolongent le même gâchis social. En n’accordant aucune grâce, le président renonce à la réflexion nécessaire sur l’omnipotence de l’idéologie punitive et de la privation de liberté.

Mais c’est beaucoup plus grave que cela encore. En légitimant toujours davantage l’idéologie de la punition, de la séquestration et de la réclusion, notre monde laisse entrer toutes les forces brunes, toutes les initiatives totalitaires…

Regardez-les folâtrer avec les pensées autoritaires et justifier les obsessions carcérales. A trop caresser les fachos, la couleur de l’état devient moins marine que brune. Alors, forcément, dans cette course en avant des faveurs autoritaires, avec la montée des nationalistes et des réactionnaires, avec la dictature des marchés et des finances, avec le capitalisme triomphant, nous verrons bientôt s’ajouter aux lois liberticides de ces dernières années, d’autres législations encore. Déjà la durée des gardes à vues s’est étendue à plusieurs jours dans des conditions plus que contestables. Les inculpations d’« outrages », de refus de fichage, d’obstruction de la voie publique se multiplient contre la moindre contestation révélant une volonté de criminalisation des luttes sociales. Et pourquoi pas, à l’avenir, une nouvelle loi interdisant la protestation non violente, une législation réprimant l’indignation et la résistance passive ? Elle arrive cette loi-là qui fournira encore son lot d’opposants et de pauvres à nos prisons honteuses…

Car c’est une disgrâce démocratique qu’on risque aujourd’hui en évacuant le débat sur les grâces…

Thierry Lodé

Professeur



8 réactions


  • easy easy 7 mai 2012 11:45

    Sur le plan moral et psychologique, ce sujet est le plus important de tous.

    Le dénier, l’ignorer volontairement, c’est ne rien vouloir changer vraiment. Par paresse intellectuelle, parce qu’on sent que reconsidérer le principe de la torture par enfermement serait une oeuvre immense jamais entreprise par personne dans les cultures, très nombreuses, qui l’ont adopté et pratiqué depuis des millénaires.


    Prenons ce problème par un étrange bout.
    Avant la bataille de Lépante, il était fréquent que des Européens soient faits prisonniers par la barbaresque ou djihad maritime alors qu’ils naviguaient en Méditerranée.
    Le principe des geôliers consistait à tirer rançon de leurs otages. Ces derniers avaient tous moyens à leur disposition pour écrire à leur famille afin qu’elle organise le paiement de cette rançon.
    On avait là des gens enfermés nonobstant ce qu’ils avaient fait ou pensé. Et ils croupissaient parfois 10 ans s’ils n’étaient pas exécutés par dépit des geôliers lassés d’attendre.

    Quelle a été la réaction des familles et amis de ces prisonniers ?

    Nonobstant la problématique financière qui pouvait souvent se résoudre sur les biens propres du prisonnier, familles et amis considéraient surtout l’avantage du retour de l’otage parmi eux.
    Et ils voyaient plus souvent un inconvénient qu’un avantage.


    Combien avons-nous de parents, d’amis, ne voyant que des avantages à notre retour à la vie parmi eux ?

    A moins d’être un Abbé Pierre qui, je l’imagine, aurait vite rassemblé des milliers de personnes ne voyant qu’un avantage à son retour à la maison, la plupart d’entre nous n’ont parfois pas une, pas une seule personne désirant absolument et définitivement notre libération.


    Pendant les premiers jours d’incarcération, l’absence de l’incarcéré provoque un trou dans le milieu où il évoluait. Mais au fur et à mesure que les jours passent, ce trou se comble. Chacun réorganise son esprit, sa stratégie de vie, ses principes, fait son deuil de cette ancienne présence, se console avec quelque chose ou quelqu’un d’autre. 
    Au bout de trois mois, le trou est comblé, la page est tournée et le prisonnier est enterré vivant par ceux qui étaient les siens.
     
    Je regrette que Cervantès, qui a connu ce fait, ne l’ait pas davantage exposé.
    Je regrette qu’il n’en ait pas suffisamment parlé au nom de ceux de ses compagnons d’infortune qui ont été oubliés-remplacés par leurs ex-proches.
    Qu’il ne l’ait pas suffisamment dit ou que l’opinion ne l’ait pas suffisamment écouté et répété.

    C’est sans doute que le dire ne changera rien au fait.
    C’est sans doute qu’il vaut mieux continuer de croire en l’amour et l’attachement éternel, en des liens indéfectibles, en la fidélité.
    C’est sans doute que le seul moyen de résoudre ou plutôt d’atténuer ce fait est de se bercer de l’illusion qu’il n’existe pas.


    Sur ce point, je remarque que parmi ceux qui tiennent le plus à la réapparition des incarcérés, se situent les pères et surtout les mères (C’est sa mère qui a très péniblement réuni la rançon nécessaire à la libération de Richard Coeur de Lion. C’est le père de Julien et Marguerite de Ravalet qui avait supplié Henri IV de les gracier, en vain). Dans les cas où les visites sont autorisées, ce sont ceux qui viennent voir leur proche incarcéré qui me semblent devoir être comptés parmi ceux qui tiennent vraiment à leur retour.
    Et bien ça ne fait pas grand monde.


    Le sujet du principe d’incarcération est très important mais en amont de lui il y a ce fait que je viens d’expliciter et qui est désarmant ou gravement contrariant de nos idéaux d’attachement.

    Les enfants des incarcérés ? Leur attachement ?
    A moins qu’il existe une opinion publique allant dans le sens du soutien ou de la solidarité avec leur père ou leur mère bloqué (e) en prison, leur attachement est ténu, très ténu.

    Un rien de martellement public à la déconsidération voire à la haine contre le prisonnier et son enfant est disposé à le fusiller (Cf les enfants Cambodgiens endoctrinés par les Khmers rouges qui en sont venus à torturer leurs propres parents).

    Je regrette d’avoir à exposer ce fait mais je crois qu’il doit être dit.
    Il existe quelque chose dans l’opinion publique qui va à exiger des proches d’un prisonnier qu’ils l’abandonnent voire lui crachent dessus.
    Par exemple, le public exige que DSK se retrouve absolument seul.

    Nous est-il permis d’aimer encore un individu, de lui rester attaché ou fidèle nonobstant l’opinion publique ?
    Non. Clairement non.
    Et cela en dépit de la belle parole « Je vous déclare mariés pour le meilleur comme pour le pire »


    Alors aimer indéfectiblement c’est forcément, automatiquement, aimer -déjà avant le drame de la séparation forcée- en étant fermement disposé à ce que ce soit absolument contre vents et marrées, contre tous, le cas échéant. A la manière de Pénélope.
    C’est là un amour très rare qui suppose que la personne ainsi disposée se soit, depuis toujours, placée quelques pas en retrait de l’opinion publique.


    On ne peut jouer les deux cartes en même temps.
    C’est soit l’attachement principal à l’amour indéfectible, soit l’attachement principal à l’opinion publique.
    Et il ne peut exister d’opinion publique nous poussant à faire le choix qui la dessert.


    On n’en finira jamais d’enterrer des vivants.





    • marcopolo30 8 mai 2012 10:35

      Easy : Vous dites de bonnes choses, mais vous ne parlez pas de l’exaspération des Français agressés, insultés, battus, tués, par des jeunes qui ont 10, 15, 20 condamnations à leur actif et ressortent illico. Pour les éliminer temporairement, que faire ????? Toujours plus de centres de redressement comme on disait autrefois ?? Toujours plus de fonctionnaires, de locaux etc etc Le plus ahurissant : Quand on demande à cette racaille, que comptez-vous faire plus tard, ils répondent, me marier, avoir un travail, des enfants, en oubliant tous leurs méfaits ! en gros, pour survivre, je fais ce que je peux ! En oubliant les petites vieilles agressées, les traumatismes psy des gens cambriolés, ligotés, torturés etc etc Il y a 30 à 40% de récidivistes dans les prisons, et ils seront récidivistes toute leur vie. Alors ??? on fait quoi ?????


    • easy easy 8 mai 2012 11:16

      Marcopolo

      J’ai surtout dit quelque chose que personne n’a jamais dit et que même Cervantès n’a pas suffisamment souligné.
      Nous sommes très nombreux à être disposés à enterrer des vivants, y compris ceux que nous qualifions de très proches. Nous sommes très enclins à faire le deuil rapide de vivants.
      (C’est fortement vrai dans notre culture et ça n’est évidemment moins dans les cultures où l’on maintient vivants les morts en pratiquant quelque sorte de culte des ancêtres)

      A partir du moment où nous tous ou presque tous, nous nous démontrons mutuellement très disposés à enterre des vivants, où il va de soi, ici, que DSK devrait être rejeté par absolument tous, que plus personne ne devrait le fréquenter, lui témoigner un quelconque attachement, nous nous démontrons aussi que nous sommes disposés à tuer, à voler et à violer.

      Quand Gabrielle Russier avait été rejetée par la France entière (c’était une impression de « france entière ». En réalité, bien des silencieux ne la rejetaient pas mais ce sont les crieurs, les orfraies, qui font la rumeur), Pompidou, qui aurait été parmi les silencieux, avait été interrogé après le suicide de cette prof. Et bien il n’a pas osé la redresser, la réhausser, la réhabiliter, la ressusciter publiquement. Il avait répondu par une citation sybilline.


      Quand 99,99% des gens se démontrent prompts à enterrer des vivants, même otages d’Anglois, de barbaresque ou de Farcs, il ressort que la valeur de chacun est, aux yeux des autres, réellement très inférieure à ce qui est prétendu.
      Nous sommes tous si prompts à affirmer qu’un prisonnier (fautif ou innocent) doit être rejeté, abandonné même par les siens, que les plus zélés d’entre nous sont extrêmement prompts à sacrifier la vie, la dignité, la valeur d’inconnus ?


      Continuer à pratiquer l’enterrement de vivants que représente l’incarcération et lever les bras au ciel lorsque des Nazis et les Américains en font une industrie principale, c’est pratiquer le déni de ses responsabilité dans ce qui fait la noirceur de l’Humanité en séparant artificiellement les zélés des pratiquants.

      Pour ne pas promouvoir le style de Leopold II, de Hitler, de Pol Pot, il faudrait pratiquer soi-même des attitudes absolument inverses.



      Est-il extraordinairement difficile d’admettre et même d’encourager que les proches d’un détenu (méchant ou pas, coupable ou innocent) lui restent proches ?
      Non.
      Ce ne serait pas difficile d’un point de vue technique, matériel et éthique.

      Mais c’est très difficile à admettre quand on tient à son pouvoir de masse, au pouvoir de coercition qu’offre la masse. Le jeu de chacun ne revient alors plus qu’à se débrouiller pour avoir ce pouvoir massif (petites et grandes masses) avec soi et non contre soi.






  • paul 7 mai 2012 13:29

    Ce régime a ré-inventé « l’intention vaut l’action », le virtuel vaut le réel .
    Exemples avec la toute nouvelle « présomption de légitime défense » ou l’accusation de pré-terrorisme (Hicheur) .
    Termes fumeux , manipulateurs, qui permettent toutes les dérives .
    24000 nouvelles places de prison vont être construites, elles sont déjà insuffisantes .
    L’industrie carcérale est au service de cette idéologie de l’exclusion, de l’élimination .
    Elle est largement développée aux États Unis, modèle du roitelet congédié .

      http://prisonvalley.arte.tv/?lang=f r 
     


  • Rensk Rensk 7 mai 2012 16:02

    Ont enferme aussi de plus en plus souvent... mais pas comme chez-vous.

    - Il manque 2’400 surveillants en Suisse.L’idéal serait d’avoir une proportion de huit surveillants pour dix détenus.

    La proportion me surprends.
    http://www.24heures.ch/suisse/manque-2-400-matons-suisse/story/14547676


    • Rensk Rensk 7 mai 2012 16:13

      Je suis un poil surpris en faite car je l’avait dit déjà dans les années 80... Le système va acoucher d’un truc qui en fera qu’une personne surveille l’autre.

      Vous le trouvez au social, a l’invalidité, aux impôts, sur la route, à l’hôpital, sur le NET smiley

      La moitié de la population a été « choisie » pour surveiller l’autre moitié... Attention, les surveillés doivent payer l’impôt pour payer les surveillants... drôle de démocratie non ? (En Suisse vous devez l’impôt dès 100.- de salaire dans l’année !)


  • fredleborgne fredleborgne 7 mai 2012 19:05

    Cher Monsieur, merci pour votre article.

    Je réalise que le peuple français a donné son mandat à Hollande

    Que celui-ci a dit que son quinquennat serait sous le signe de la Justice.

    Alors, exigeons une VRAIE grâce présidentielle

    http://www.atramenta.net/forum/sujet777-page1.html#post15927


  • fredleborgne fredleborgne 7 mai 2012 21:39

    Je crois qu’en disgrâce de plus, le régime « sécuritaire » a tué dans la population la compassion et le sens du pardon. Le nouveau président va peut-être rétablir la peine de mort pour être à l’unisson de notre nouvelle société qui la réclame pour les tueurs violeurs d’enfants, les terroristes et pourquoi pas les enculeurs de chèvres.


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