vendredi 24 juin 2016 - par Jérôme Henriques

Euro 2016 : Appel à la mobilisation générale

"Voici venuuuuu le teeeeeemps des rires et des chaaaaants .... ". Finies les histoires de migrants qui coulent en méditerranée (comme on dit, dans la vie, faut savoir mener sa barque), de pauvres qui s'accrochent à leur boulot (ce qui, vu leur salaire, est quand même assez mesquin) ou de bobos-écolos qui s'opposent au bétonnage de leur cambrousse (eh les gars, on n'est pas dans "la petite maison dans la prairie" !), voici venu le temps de l'Euro 2016. Dehors donc les noirs, les rouges et les verts, place à nos bleus. On va enfin pouvoir se retrouver autour de nos vraies valeurs : le culte du fric, l'esprit du fight et l'exaltation autour du drapeau. D'ailleurs, rien de tel qu'un chant de supporters (sorte de Marseillaise en version "revival") pour se mettre dans l'ambiance : "Quoi ! Des hordes étrangèèèreees ! Viendraient jusque dans nos chaumièèèreees ! Chanter leurs hymnes d'estrangers ! Marchooooons ! Marchooooons ! Piétinooons ces enculéééés ! ... ".

D'après les sociologues, l'organisation d'une coupe d'Europe influerait positivement sur le moral d'une nation. D'ailleurs, l'évènement prend généralement des allures de kermesse scolaire : les JT sont présentés façon bibliothèque verte ("les bleus à l'entrainement", "les bleus dans le bus", "les bleus de retour à l'hôtel"), les villes organisent tout un tas d'animations récrés ("rejoignez les fans zones", "suivez les matchs sur écran géant", "gagnez la baballe officielle de l'Euro 2016" ...) et les magasins vous prennent pour des débiles profonds ("jouez avec les bleus", "collectionnez les images des bleus", "faites vous avoir comme un bleu" ...). Dans cette ambiance qui fleure bon le patriotisme économique, tout le monde (ou presque) y trouve son compte : les consommateurs, qui achètent du rêve (les coupes de cheveux footballeurs printemps-été 2016 arrivent prochainement dans vos bleds) et les commerçants, qui écoulent leur camelote (estampillée "tous avec les bleus" ou autre).

Nul n'étant censé échapper à la grande messe footballistique, les brebis égarées sont priées de rejoindre rapidement le troupeau. Partagez "Fiers d'être bleus" sur Facebook, signalez que vous "Vibrez bleus" sur Twitter, écrivez "Je fais caca tout bleu" sur Doctissimo ... (à ce ce qu'il parait, les non-changements de statuts pourraient bientôt faire office de présélection pour le fichage S). Bien sûr, rien ne vous oblige à rester planté devant votre ordi toute la journée comme un nolife ; vous pouvez aussi participer à des activités de rues comme un gogol. Oubliez l'état d'urgence : venez révéler vos réflexes de Pavlov dans des enclos pour fanatiques ("fan zones" en Anglais), bibinez-vous en groupe autours des écrans télé installés dans les bars et clamez partout votre ferveur patriotique dans un Français approximatif. Ces comportements, parfois décrits comme un syndrome Gilles de la Tourette collectif, permettent généralement à tout un chacun de se libérer de la frustration accumulée par des années de nique gouvernementale.

Bien sûr, la durée de cette effervescence dépend des prouesses de l'équipe nationale. Aujourd'hui encore, tout le monde espère un nouveau miracle ; comme celui qui s'était produit en 1998 quand, le soir de la finale, la plupart des cas sociaux du pays s'étaient soudainement proclamés "champions du monde". Et pour soutenir leur équipe, les supporters savent ce qu'ils ont à faire : montrer leur foi en la victoire en arborant une bonne tête de vainqueur. Dans un style festif (perruque, lunettes, corne de brume ...), guerrier (cape-drapeau, mégaphone, fumigènes ...) ou pupute (haut de bikini avec des petits drapeaux dessinés partout ...), ils débouleront dans les rues, les stades et jusque devant les hôtels de joueurs pour crier leur enthousiasme. Gros respect dans le coeur des Français pour ces militants qui rêvent leur vie en bleu-blanc-rouge. D'ailleurs, aucune invective du style "Z'avez rien de mieux à faire, avec tous les enfants qui meurent de faim partout dans le monde, hein ?!" (bien connue des végans et autres militants écolos), n'a jamais été entendue par aucun d'entre eux.

Certes, des débordements viennent parfois gâcher la fête. Comme récemment à Marseille et à Nice, où certains matchs ont donné lieu à de violents affrontements entre hooligans Français (Catholiques), Anglais (Protestants) et Russes (Orthodoxes). Mais le monde du football en est-il responsable ? Sur ce point, dirigeants, sportifs et supporters sont unanimes : "ce sont des fanatiques, ils sont là pour en découdre et le foot n'est pour eux qu'un prétexte (théorie dite du 'choc des civilisations blancos', ndr)". Et certains de pointer la responsabilité des forces de l'ordre : "ils étaient complètement débordés, on dirait qu'ils n'étaient pas du tout préparés à ça", explique ce rescapé d'une tempête de chaises à Marseille. C'est d'ailleurs un policier qui nous le confirme : "on était en alerte niveau 3 (risque de sifflements pendant la Marseillaise, ndr)". Avant de préciser : "le football reste une grande fête nationale, pas question de balancer des grenades dans la tête des gens comme à Sivens" (rires).

Alors que faut-il faire ? Interdire les prochaines manifestations sportives ? Faire pression sur l'UEFA pour qu'elle les annule d'elle-même ? A droite, on met une nouvelle fois la question sécuritaire en avant : "Nos forces de l'ordre ont déjà beaucoup à faire avec l'état d'urgence, il est irresponsable de continuer à les solliciter pour des jeux de ballon" a ainsi claironné N. Sarkozy. Et certains de dénoncer au passage l'affairisme de l'UEFA (scandale des "stades payés en liquide", etc) incompatible selon eux avec les valeurs chrétiennes de la France ; comme le chef du mouvement "droite sans frontière", C. Estrosi, qui en a appelé à "chasser les marchands du temple" et à "retourner secourir les migrants en méditerranée". Face à ces critiques, le tandem Hollande/Valls semble pour l'instant bien décidé à faire la sourde oreille. Conforté par un récent sondage (où à la question "Etes-vous assez débile pour laisser les résultats d'une équipe de foot influencer votre vote à la prochaine élection présidentielle ?" les Français ont majoritairement répondu "oui"), le président a simplement déclaré : "Soyons tous unis derrière l'équipe de France". Les pieds dans la merde et les yeux dans les bleus, la magie c'est maintenant ...



10 réactions


  • Alpo47 Alpo47 24 juin 2016 08:45

    Non, personne ou très , très peu d’entre nous sont assez débiles pour se laisser influencer par le résultat de cette coupe d’europe pour voter pour le pouvoir en place. Ne sous estimons tout de même pas complètement nos concitoyens.
    Quand à l’intérêt pour cette compétition, il est très relatif. Nombreux sont ceux autour de moi qui s’en fichent grave, mais grave. Malgré le battage médiatique, il n’y a qu’une minorité qui s’y intéresse vraiment.
    Remarquons tout de même au passage (difficile de ne rien savoir de ce qui se passe) que « notre » équipe a jusqu’à présent bénéficié d’un tirage au sort très favorable. Il aurait été difficile de nous présenter des adversaires plus faibles. Vous avez dit « arrangé » ?


  • Zolko Zolko 24 juin 2016 09:09

    Je pense que vous voyez la situation à l’envers : ce n’est pas le foot qui influence la société, mais la société qui influence l’équipe de foot. J’en veux pour exemples la France et la Hongrie :
     
    les Français - la population française - n’est pas contente de la France, de ce gouvernement, ni de celui d’avant non-plus, et ne voit pas comment les choses pourraient tourner positivement. Ils se savent dirigés par des corrompus incompétents, avec des alternatives - CGT ou FN - pas mieux.
     
    Les Hongrois sont fières d’être Hongrois : ils se sont débarrassés d’un gouvernement corrompu et incompétent, ont récupéré un gouvernement qui les a débarrassés du FMI, a mis fin à une invasion hostile, fait la nique à une UE qui ressemble de plus en plus à l’URSS dont la Hongrie s’est déjà débarrassée, économiquement les choses s’améliorent.
     
    Et les équipes nationales de foot sont à la couleur : une équipe de France avec des stars millionnaires fait des matchs sans intérêt, tandis que l’équipe de Hongrie composée de joueurs de seconde zone torche CR7 de 3 buts dans un match de haute volée.
     
    Bon, OK, je ne suis p’têt pas complètement objectif.


    • Aristoto Aristoto 24 juin 2016 17:20

      @Zolko

      Haaaa comme on se retrouve alors : meprit du syndicalisme et apologie du gouverbement d extreme droite de hongrie.

      Bien bien


  • Le p’tit Charles 24 juin 2016 09:25
    Euro 2016 : Appel à la mobilisation générale...Vite un « référendum » pour quitter au plus vite l’UE des escrocs...(comme celle de la mafia du foot..)

  • Fergus Fergus 24 juin 2016 09:34

    Bonjour, Jérôme

    Merci pour cet excellent billet qui rejoint sur bien des points mon article d’hier (Je hais le football !)

    Vous écrivez entre autres : « tout le monde espère un nouveau miracle ; comme celui qui s’était produit en 1998 quand, le soir de la finale, la plupart des cas sociaux du pays s’étaient soudainement proclamés « champions du monde » ». Dans mon article, je rappelle que 1 million de personnes a fêté la victoire de 1998 dont des dizaines de milliers de chômeurs : dans le courant du printemps de cette même année, au milieu du matraquage médiatique pro-Bleus qui sévissait sur les ondes, une manifestation de lutte contre la précarité et l’exclusion a réuni moins de... 8000 participants ! Où étaient en 1998 les valeurs de la société française ?

    En 2016, les choses n’ont hélas pas changé. Et la corruption du milieu footballistique s’est même accrue.

     


    • Jérôme Henriques Jérôme Henriques 24 juin 2016 20:53

      Bonjour Fergus,

      Merci pour votre retour smiley

      Je viens de lire votre article. Il est bien écrit et rempli d’histoires intéressantes. On voit que vous maitrisez le sujet. Bravo !


  • Aristoto Aristoto 24 juin 2016 17:27

    Tient un enieme article vociferant survle francais moyen heureux d etre dans un stade pour regarder un match foot.


    • Fergus Fergus 24 juin 2016 18:53

      Bonjour, Aristoto

      Cela s’appelle un regard lucide. Mais rien n’empêche ceux qui aiment le football de regarder les matches de l’Euro.

      Le problème posé ne concerne d’ailleurs pas les amateurs de foot en général, mais les amateurs de foot que leurs œillères empêchent de prendre conscience que ce sport n’est qu’un divertissement futile en regard des difficultés socioéconomiques et géopolitiques.


  • Algérien (---.---.88.179) 25 juin 2016 00:51

    Dans tous les sports collectifs de contact, le rôle des arbitres est déterminant ; ils sont de fait, sinon sur ordre, les exécuteurs des volontés politiques des fédérations internationales : UE...FA, FIFA ? IAAF, FIRugby, etc.

     Le traitement que les tâcherons du foot font subir aux meilleurs joueurs du monde sur tous les terrains est autorisé par les arbitres et couvert pat les instances internationales : les arbitres ne reconnaissent pas leurs fautes et le mal étant fait, la Suède est livrée à la vindicte des médias..
    Les arbitres doivent être sanctionnés sur le terrain, pendant le match !

  • zygzornifle zygzornifle 26 juin 2016 19:13

    les minorités qui détestent le foot sont a la peine, heureusement qu’il y a le téléchargement illégal et le Streaming pour voir ou revoir des films et séries en plus sans le vomi des coupures de pub .....


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