vendredi 30 septembre 2005 - par Alban MARTIN

Faire ’ l’expérience ’ de la musique

La musique n’est pas un "produit" comme les autres, il s’agit d’un "bien d’expérience". Qu’est-ce que c’est ? qu’est-ce que cela implique sur la manière dont nous "consommons" la musique ?

L’accès aux produits de l’industrie du divertissement et la transparence ont été grandement facilités avec internet. Les pré-écoutes de 30 secondes des morceaux sur les plateformes de téléchargement légal comme iTunes, ou le nombre d’écoutes limité des chansons au format weed, illustrent cette tendance. Les réseaux de Pair à Pair sont également une revendication de cet accès avant l’achat. Le principe des réseaux de Pair à Pair (Peer to Peer en anglais ou P2P) est le suivant : on installe un logiciel de P2P, téléchargeable gratuitement en quelques minutes. Une fois ce système de partage de fichiers sur son ordinateur, il est possible d’échanger de la musique, des films, ou tout autre type de fichiers, à travers le monde, avec les internautes connectés, et cela gratuitement.

De nombreuses études ont montré qu’obtenir gratuitement du contenu multimédia n’était pas la motivation première des utilisateurs de ce type de logiciels[1]. Le « sampling », c’est-à-dire le téléchargement pour découvrir un artiste, un film ou un jeu, reste l’avantage premier de cette activité. Ce désir de sampling est inhérent au caractère même de la musique ; par exemple, comme l’explique Benjamin Labarthe : « Il existe deux manières de découvrir un nouvel artiste : à travers le temps que l’on consacre à sa recherche, ou bien à travers des discussions avec des proches. Ce processus entraîne des coûts de recherche, et perdure tant que les coûts de recherche qu’il engendre n’excèdent pas l’espérance d’utilité attendue de la consommation. Des moyens existent pour diminuer ces coûts de recherche, comme la publicité(...) On peut également citer la présence de bornes d’écoute, ou encore les critiques de journaux spécialisés. Les récompenses, par exemple les disques d’or, visent également à envoyer au consommateur des signaux informationnels relatifs à la qualité du bien. »[2]. Le « sampling », rendu possible à grande échelle grâce au P2P, montre le désir du public d’accéder à plus de contenus, notamment en amont de la décision d’achat.


Ce désir d’accès se trouve étroitement lié à la nature même du bien proposé par l’industrie du divertissement : un bien d’expérience. En effet, on ne peut juger vraiment de la qualité d’un bien d’expérience avant d’en avoir justement « fait l’expérience », de l’avoir lu, joué, écouté ou regardé. Par exemple, si je vous dis que cette voiture coûte 15 000 euros, avec un moteur 16 soupapes en « V » et monte à 200 Kilomètres/heure, vous pouvez commencer à nourrir un intérêt pour ce bien. Par contre, si je vous dis que ce morceau coûte un euro et qu’il inclut de la guitare, de la batterie et du synthé à 70 BPM, il vous sera difficile de l’acheter sur ces seuls critères. Tant que vous n’avez pas écouté le morceau, vous n’êtes pas sûr de l’apprécier : d’un album à l’autre, un même artiste peut vous décevoir. L’absence de critères objectifs pour juger la qualité d’un morceau a sans doute conduit Apple à adopter un prix unique pour ses singles vendus sur iTunes : 0,99 cents pour tous, et 10 euros l’album ! D’où l’importance accordée aux recommandations et aux extraits pour déclencher l’acte d’achat.

L’accessibilité permet également d’effectuer des essais et des tests pour adapter un produit à une expérience personnelle. Le modèle de co-création ne peut s’appliquer si les consommateurs sont obligés de posséder le produit à chaque fois qu’ils désirent interagir. Cet aspect a été mis en avant par Amazon.com : afin de pouvoir apporter aux clients une expérience aussi bonne et aussi riche que dans une vraie bibliothèque, Amazon.com a entrepris de scanner des pages de la plupart des livres proposés dans la boutique virtuelle. Les tables des matières, ou bien certains chapitres spécifiques, sont le plus souvent accessibles sur le site Internet[3].

Cette initiative est l’une des plus ambitieuses au monde, et donnera accès à terme à des milliers de documents. La transparence aide également à créer une atmosphère de confiance, et à développer la loyauté envers la marque. Et cette confiance est déterminante dans le choix des consommateurs de s’impliquer et d’interagir avec la marque. Jeff Bezos, le fondateur de Amazon.com, est allé jusqu’au bout de cette logique, en conseillant de “ne pas investir dans ce que le consommateur ne peut pas voir”. Toute zone d’ombre peut faire naître des soupçons et se révéler contre-productive ; ou bien être dénuée de valeur, puisqu’elle empêche la co-création.

Les éditeurs de logiciels ou de jeux vidéos ont compris ce besoin de tester le produit, afin d’en faire bon usage. Ils ont ainsi créé les Sharewares. Ce sont des logiciels distribués gratuitement. Mais leur utilisation gratuite est limitée dans le temps ou limitée en termes de fonctions accessibles, à moins de s’acquitter d’un montant donné, une fois que l’adéquation du produit à ses besoins est prouvée. Les éditeurs diffusent également « généreusement » des versions de démonstration de leurs produits, afin que tout un chacun puisse librement se faire une idée de l’intérêt du jeu.

La musique, quant à elle, trouve dans le « streaming », c’est-à-dire la diffusion en temps réel d’un enregistrement via le net sans en transférer la possession, un moyen de faire l’expérience d’une chanson avant de l’acheter. Yahoo ! a bien compris ce besoin du public de découvrir aisément et à moindre coût de nouveaux artistes : la multinationale du net propose ces temps-ci pour 5 dollars [ou 15 dollars] par mois l’accès illimité à sa base de chansons, soit [xx morceaux]. La fin de la souscription rend bien sûr les morceaux illisibles. Internet et les nouvelles technologies facilitent donc grandement l’accès aux produits de l’industrie du divertissement, et montrent que de nouveaux modèles économiques peuvent émerger autour de cette disponibilité : dans tous les cas, l’accès est toujours valorisé, qu’il aboutisse ou non à la possession, car il participe à la bonne expérience du produit.



[1] Tariq Krim, P. Chantepie, Yann Nicolas, Benjamin Labarthe

[2] Benjamin Labarthe Piol, in L’impact d’Internet sur l’industrie du disque : vers un nouveau régime de croissance

[3] Source : Ian Clarkson, senior financial manager chez Amazon.com et Bart Hoemann, finance Mmnager à Amazon.com, pendant une conférence à la business school de l’Université du Michigan, 15 Octobre 2003



2 réactions


  • (---.---.78.88) 2 octobre 2005 10:53

    Ca fait 50 ans que la musique est un produit, pourquoi du jour au lendemain il faudrait qu’elle devienne un « bien d’expérience » ?


  • (---.---.220.144) 2 octobre 2005 21:22

    sans doute car cette conception justifierai la baisse des ventes de CD, et aiderait à trouver de nouveaux relais de croissance...


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