mardi 12 août 2008 - par Michel Monette

L’échec de Doha est-il bon pour le bonheur ?

Ce qu’il y a derrière Doha, ce n’est rien de moins que la conception du bonheur. Pour les pays les plus développés, le bonheur est dans la consommation. Pour les plus pauvres, du moins pour la masse paysanne vivant dans ces pays, il est dans les prés. Qui a tort, qui a raison ? Cela dépend de notre conception de ce qu’est une vie profitable.

Le commerce des produits agricoles n’est évidemment pas le seul concerné par la libéralisation des échanges. Il est cependant celui dont l’impact est le plus élevé. Des millions, plutôt des dizaines de millions, non plutôt des centaines de millions d’êtres humains des zones rurales vivent ou sont sur le point de vivre des bouleversements majeurs.

Le phénomène, marqué par la fuite vers les zones urbaines, s’amplifie au point de sembler inéluctable.

Dans ce qui peut paraître paradoxal, de plus en plus de producteurs agricoles dans les pays riches retournent à des méthodes qui valorisent les gestes d’autrefois. Plusieurs ne rejettent pas les techniques modernes, mais souhaitent les mettre au service d’une agriculture plus naturelle, désirant produire du bio, selon l’expression à la mode.

Vers un retour des paysans - Documentaire sur la nature - L’avenir des agriculteurs - kewego

Utopistes complètement dépassés par la réalité d’une agriculture Technorati devenue l’équivalent en nature d’une usine ? Précurseurs de ce que sera l’agriculture de demain, revenue à des méthodes plus proches de la nature ?

La crise identitaire du monde agricole est bien réelle et bien compréhensible. On reproche aux producteurs agricoles de polluer l’air, la terre, les cours d’eau ; on les pointe du doigt pour une bonne part des gaz à effet de serre ; on accuse le type de nourriture qu’ils produisent de contribuer à la dégradation de notre alimentation.

Doha, c’est le rouleau compresseur de l’industrialisation qui n’a pas encore réalisé qu’il y a de moins en moins d’essence pour pouvoir fonctionner et qu’en plus il laisse derrière lui des terres arides.

Faut-il pour autant condamner le désir des êtres humains de commercer entre eux ? Certainement pas. Seulement, il faut se poser les bonnes questions.

Favoriser le commerce au détriment des petits producteurs victimes des effets de distorsion du commerce mondial des produits agricoles, est-ce vraiment ce qui va améliorer le niveau de vie dans les pays moins riches de ce monde ?

Il faut protéger le droit des peuples de choisir une autre agriculture, une agriculture qui veut nourrir non pas des consommateurs vivant à des milliers de kilomètres, mais des compatriotes qui eux, de leur côté, ont enfin droit à des conditions de travail et de vie décentes.

Quoi ? Ils ne pourront pas s’offrir l’écran plasma géant pour regarder les dernières prouesses olympiques ?

Est-ce que le bonheur tient à cette mascarade ?

Le roi est mort, vive le souverain.



4 réactions


  • LE CHAT LE CHAT 12 août 2008 12:34

    Vincent macdoom me l’a dit " oui , j’ai trouvé le bonheur avec un Doha dans le cul ! "

     smiley smiley smiley smiley


  • Echo Echo 12 août 2008 13:17

    Le 18 mars 1968, quelques semaines avant son assassinat, Bob Kennedy prononçait, à l’université du Kansas, le discours suivant :

    « Notre PIB prend en compte, dans ses calculs, la pollution de l’air, la publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur nos routes. Il comptabilise les systèmes de sécurité que nous installons pour protéger nos habitations et le coût des prisons où nous enfermons ceux qui réussissent à les forcer. Il intègre la destruction de nos forêts de séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et chaotique. Il comprend la production du napalm, des armes nucléaires et des voitures blindées de la police destinées à réprimer des émeutes dans nos villes. Il comptabilise la fabrication du fusil Whitman et du couteau Speck, ainsi que les programmes de télévision qui glorifient la violence dans le but de vendre les jouets correspondants à nos enfants. En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l’intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. Il ne dit rien de notre sens de la compassion ou du dévouement envers notre pays. En un mot, le PIB mesure tout sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue »

    Quarante ans après, on aurait évidemment du mal à trouver, en France, un(e) représentant(e) de la gauche ou de l’extrême gauche capable de formuler une critique aussi radicale de l’idéologie de la croissance.

    (Extrait de l’empire du moindre mal de Jean-Claude Michéa, page 117)


  • aquad69 12 août 2008 14:08

    Bonjour Michel,

    Commercer est une chose utile et légitime.
     
    Se retrouver dans un système qui spécialise tellement les productions de populations entières qu’elles en sont obligées d’importer les produits de bases pour leurs subsistances, ce n’est plus du commerce, mais de la dépendance. 

    Là est la supercherie fondamentale, l’escroquerie qui se cache derrières le concept du "marché" moderne et de ses prétendues lois.

    Les marchés et les foires ont toujours existé dans l’histoire humaine, en tous cas depuis fort longtemps. Mais ils s’agissait alors d’écouler les surplus, et d’acheter le "plus" qui rendait la vie plus agréable, ou qui valorisait des travaux artisanaux.

    On ne dépendait pas du marché pour vivre, et c’est ce qui garantissait une libre et juste négociation entre les partenaires.

    Absolument différent est le "marché" moderne qui est l’expression de la dictature la plus tyrannique qui soit, le chantage aux moyens de survie.

    Comme ce "marché" englobe absolument tout, on ne peut y échapper, et le prétendu "pouvoir de négociation" que l’on nous prête (les économistes aussi savent pratiquer l’humour noir !) est avant tout dominé par la situation de dépendance désespérée dans laquelle nous nous trouvons, qu’il s’agisse d’acquérir, sur le marché des fournitures, ce dont nous avons besoin pour notre subsistance, ou d’obtenir, sur le marché du travail, cet emploi qui est pour la majorité d’entre nous la seule source économique permettant ces acquisitions.

    De ce point de vue et dans le principe, il n’y a aucune différence entre les habitants des pays du tiers-monde et nous : nous vivons tous dans la plus absolue dépendance de secteurs décisionnaires qui nous échappent totalement , sur lesquels nous n’avons aucune prise, dans la situation d’en être réduit à espérer contre toute évidence que ces centres de pouvoirs seraient bienveillants par nature et nous voudraient du bien...

     Celà est de plus en plus vrai au fur et à mesure que, par le phénomène de mondialisation, l’échelle des organisations devient de plus en plus gigantesque, et les véritables centres de décisions plus éloignés et inaccessibles.

    C’est cette dépendance de chaque individu, et l’absence de tout recours possible, qui est le vice et le danger fondamental de notre époque.

    Pour essayer d’y échapper tant soit peu, le mot d’ordre réellement alter-mondialiste devrait être : Autonomie.

    Autonomie, avant tout dans le domaine économique, car c’est celui qui commande notre survie-même.

    Autonomie, le plus possible, et à tous niveaux : au niveau national, régional, et également local, en ce qui concerne les produits de premières nécessité, surtout alimentaires.

    Mais aussi autonomie de pensée, qui n’a rien à voir avec l’information.

    Un autre vice de notre époque est d’avoir mené les gens à confondre respect et crainte, et, à force de confondre pouvoir et autorité, d’avoir généré partout le respect de ce qui n’est pas respectable ; en corollaire, à l’inverse, s’est développé une mentalité prétendument "rebelle" qui voudrait considérer toute autorité et hiérarchie comme fondamentalement suspecte, reflexe qui interdit de fait toute organisation et rassemblement efficace en dehors des institutions officielles, toute autonomie humaine, précisément.

    Quand à aller contre celà, et changer réellement les choses, ce serait un vaste chantier, évidemment.

    Cordialement Thierry


  • ronchonaire 12 août 2008 16:19

    Précisons quand même de quoi on parle. Les importations en provenance des pays en développement (du moins les pays dits ACP, Afrique Caraïbes Pacifique) sont déjà complètement libres de droits de douanes en Europe ; le succès éventuel du cycle de Doha n’aurait donc absolument rien changé au "bonheur" du petit paysan burkinabè de ce point de vue.

    En revanche, la production agricole européenne (et américaine) est quant à elle toujours largement subventionnée et inonde le reste du monde de ses produits à bas prix, ce qui pousse le ouagalais à acheter du lait en poudre Nestlé plutôt que le lait du petit paysan local, qui a d’ailleurs fini par vendre ses vaches et s’installer lui aussi à Ouaga où il vend des transistors à la sauvette et dort sous des taules.

    Ne nous trompons donc pas de cible : le bonheur du petit paysan burkinabè n’est pas forcément dans la vente de ses produits aux bobos parisiens en quête d’exotisme et de bonne conscience ; en revanche, il serait définitivement dans la suppression pure et simple de la PAC, qui lui permettrait enfin de vivre de sa production et de vendre ses produits à ses propres concitoyens.


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