L’école inclusive en 2019, une utopie ?
Alors que le projet de la loi Blanquer pour une “école de la confiance” a été adopté par le Sénat le 21 Mai 2019*, un amendement concernant l’accueil des enfants handicapés en école inclusive a été ajouté dans le code de l'Éducation. Des associations de parents protestent contre cet amendement et demande sa suppression pure et simple. D’après eux, l’enfant sera jugé selon ses performances, l’école deviendrait accessible “sous condition”. Si l’enfant n’assimile pas ses apprentissages, l’équipe de scolarisation pourra orienter l’enfant, hors du système scolaire, vers des établissements spécialisés, sans que la famille puisse s’y opposer.
L’école inclusive, un droit qui divise
Il convient de rappeler ce qu’est l’école inclusive : permettre à un enfant ayant un besoin éducatif particulier (autisme, troubles dys, enfant porteur de handicap…) de pouvoir être scolarisé au sein d’une classe ordinaire avec des aménagements spécifiques.
Il y a actuellement, deux camps qui s’affrontent. Les fervents défenseurs de l’inclusion scolaire, pour qui le droit à l’apprentissage et à l’éducation est un droit, non-négociable, et ceux qui tendent plutôt vers du cas par cas. Depuis la loi 2005, les chiffres du CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour l'Autonomie) montrent qu’il n’y a jamais eu autant d’enfants handicapés scolarisés (+50 % en 10 ans).
Deux cas de figure se présentent :
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L’enfant peut intégrer une classe ordinaire avec des aménagements spécifiques tels que des supports pédagogiques adaptés pour les besoins individuels de l’enfant, ordinateurs, aménagement de planning ou affectation d’une auxiliaire de vie (AVS/AESH) ;
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être scolarisé, au sein de l’école, dans une classe spécialisée avec quelques heures par semaine d’inclusion dans les classes ordinaires (ULIS : Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire).
La volonté de l’Etat a permis d’augmenter les places en SESSAD (service d'éducation spéciale et de soins à domicile) tandis que la capacité dans les établissements spécialisés stagne. Autre mesure pour l’école inclusive en 2019 : la création des PIAL (Pôles Inclusifs d’Accompagnement Localisés), proposition inscrite dans la loi Blanquer, a pour but de favoriser l’inclusion des élèves en renforçant les relations entre tous les intervenant de l’enfant, afin que la bonne évolution de l'élève devienne le projet de tous. Mais est-ce bien suffisant ?
Les limites de l’inclusion scolaire
Une école avec peu de moyens
Depuis le lancement du 4e “plan autisme” en 2018, l’inclusion scolaire n’a jamais autant échauffé les esprits. Il est vrai que la France a un sacré retard par rapport à ses voisins européens et a plusieurs fois fait l’objet de poursuites. Récemment, la mère d’un adolescent autiste a obtenu gain de cause au tribunal administratif de Toulouse qui a condamné l’Etat pour carence de prise en charge de son fils. Trop peu de moyens sont alloués pour mener à bien cette politique : réduction du personnel enseignant, difficultés de recrutement, classes en sureffectifs, suppression de postes dans les RASED (réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté) et pénurie d’auxiliaires de vie. Les professeurs de collège et de lycée, doivent gérer plusieurs classes, avoir du temps pour adapter des supports pour les élèves à besoins particuliers, individualiser leur programme, tout en prenant sur leur temps personnel pour les entretiens avec les spécialistes/intervenants des enfants.
L’ULIS, et après ?
L’enfant peut être affecté en ulis école, collège et lycée. Mais en pratique, combien d’enfants, après avoir fréquenté une classe ulis à l’école primaire, peuvent réellement intégrer le collège ou le lycée ? Le système fonctionne plutôt bien, mais on constate qu’il y a une rupture nette du dispositif Ulis au moment d’aller au collège. L’enfant, porteur de handicap, est-il assez autonome pour se diriger dans les couloirs à chaque changement de classe ? Peut-il respecter son emploi du temps sans aide ? Peut-il porter seul son plateau au restaurant scolaire ? Il serait intéressant de connaître les statistiques des enfants qui continuent leur scolarité, à la sortie du 1er degré. Combien d’enfants se retrouvent sans solutions après l’école primaire ? Faut-il créer des écoles alternatives pour enfants handicapés afin de pouvoir donner sa chance à tout le monde ? Bien au delà de l’école inclusive, il faudrait un projet pour toute une vie.
Insertion professionnelle difficile
Quant au lycée, bien avant leur majorité, les enfants se retrouvent déjà avec des obstacles : qu’en est-il des stages en entreprise ? Quel sera leur projet professionnel ? Pourtant, au Danemark, la formation professionnelle des jeunes en situation de handicap est une réussite, des formations leur sont proposées, à leur rythme et selon leurs capacités. L’état finance le parrainage pour aider les jeunes à trouver un emploi et les entreprises sont incitées à les embaucher. L’association Arpejeh propose ce type de service, mais cela reste insuffisant pour l’ensemble du territoire.
Alternatives à l’école quasi-inexistantes
Certains dénoncent une école inclusive limitée qui rend impossible une prise en charge adéquate. Ils demandent à ce que l’enseignement public ne soit pas la seule solution et que des alternatives à l’école soient envisagées, notamment pour les enfants nécessitant des soins particuliers. Ils dénoncent l'inclusion systématique, rendant souvent les enseignants démunis face aux difficultés rencontrées en classe. Effectivement, la question se pose : tous les profils sont-ils adaptés à l’école ordinaire ? Si l’on se penche sur les cas des élèves autistes, leurs sensibilités sensorielles et des difficultés d’interactions sociales peuvent rendre la collectivité difficile à vivre. C’est là que les instituts médico-éducatifs (IME) et autres centres spécialisés peuvent prendre le relais.
Seulement, là encore, il n’y a pas assez de moyens :
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Sont-ils adaptés à tous les handicaps ?
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Ont-ils la capacité d’accueillir tout le monde (1 à 3 ans d’attente) ?
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Est-ce que les heures éducatives sont suffisantes et bien appliquées ?
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Quels sont les critères de sélection ? Certains sont spécialisés dans les troubles cognitifs légers, d’autres sur des handicaps lourds, l’un est à 15 minutes de son domicile, l’autre à 45 minutes.
Nous avons donc une école inclusive aléatoire et des établissements spécialisés insuffisants, qu’advient-il alors de l’enfant ?
École inclusive, quelles solutions ?
Formation des enseignants
Bien que 90 % des enseignants soient favorables à l’inclusion d’enfants à besoins spécifiques dans leur classe, ils sont dépassés, car ils ne sont pas préparés au handicap. Bien souvent, l'enseignant doit s'auto-former ou demander de l’aide des parents. Des outils pour l’inclusion scolaire existent (il n’y a qu’à voir le dernier “Start-up for kids” du 25 mars dernier qui a rassemblé de nombreux acteurs de l’éducation pour découvrir de belles innovations) mais encore faut-il que le corps enseignant ait le temps de se former à ces nouveaux outils (logiciel ou applications sur tablettes).
Améliorer les relations avec les parents
L’école doit avoir un rôle plus actif dans la prise en charge de l’enfant, particulièrement face à des parents démunis :
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Proposer aux parents la mise en place d’un PPS (Plan Personnalisé de Scolarisation) ;
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renforcer le rôle de l'enseignant référent afin qu’il puisse mieux renseigner les parents sur les possibilités et les aider dans les démarches administratives ;
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améliorer la relation parents-enseignants : discuter des difficultés et des besoins de l’enfant, anticiper une sortie scolaire afin de pouvoir discuter des aménagements possibles.
Prise en charge des enfants en difficultés
Les enfants porteurs de handicap ne sont pas les seuls concernés, il convient de parler aussi de la scolarisation des enfants ayant des troubles d’apprentissages, les enfants dyslexiques, ou encore ceux ayant des troubles de l’attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH). Les suppressions de classes ainsi que les suppressions de postes ont contribué à toujours en demander davantage à l’enseignant avec des classes en sureffectif. Des solutions existent, à l’image de nos pays voisins qui ont mis en place depuis plusieurs années des mesures qui ont fait leur preuve :
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Intervention systématique d’un orthopédagogue, en classe, pour conseiller les enseignants et les aider dans la conception de supports pédagogiques, comme il est courant de le voir au Canada ;
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améliorer la coordination entre les différentes structures d’accueil de l’enfant (Ecole, CMP, IME, intervenants…) ;
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élargir les SESSAD à tous les enfants porteur de handicap pour que les intervenants puissent travailler, en coordination avec l’enseignant, dans l’école de l’enfant (actuellement, seuls quelques enfants en bénéficient), comme c’est le cas au Danemark ;
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renforcement du DPL3 (Dépistage Précoce du Langage à 3 ans) à l’école : l’enseignant peut remplir un questionnaire s’il a repéré un enfant en difficulté, pour ensuite en faire part aux professionnels adéquats (orthophoniste, psychomotricien…).
Améliorer le statut des AVS
Les auxiliaires de vie (ou AESH) font partie intégrante du bien-être de l’enfant à l’école, de son évolution, de son apprentissage. Sans AVS, il est quasi impossible pour l’enfant de suivre le rythme. Elle est également une aide précieuse pour l’enseignant.
L’accompagnement de l’AVS est multifonction : reformule les consignes, peut aider l’enseignant à adapter les supports, guide l’enfant dans la vie de l’école, aide à effectuer les bons gestes, aide à l’autonomie et à la propreté… Et pourtant, le cas des AVS est critique : métier peu reconnu et non-valorisant, emploi précaire, pas de formation, salaire médiocre (le salaire moyen étant de 700 euros par mois pour un contrat de 20 heures par semaine), contrat instable (un an renouvelable jusqu’à 8 fois). La situation est tellement critique que, bien souvent, l’enfant n’a pas son auxiliaire de vie à la rentrée scolaire. La loi de confiance et le plan autisme tendent à améliorer les choses comme le CDD, converti en CDI après 6 ans. Sans AVS, l'inclusion de l’enfant est fortement remise en cause. 80 000 accompagnants en France pour 350 000 enfants handicapés scolarisés.
Respecter les aménagements d’examens
Pour les collèges et les lycées, ce droit est bien souvent bafoué. La loi 2005 permet de mettre en place des aménagements tels que des ordinateurs avec logiciel spécifique pour les élèves dys, disposer d’un tiers-temps (30 % de temps supplémentaire aux examens) ou la possibilité de ne passer que les examens à l’oral. Pourtant, ces aménagements sont difficiles à obtenir, car les démarches sont trop lourdes, nécessitant des autorisations et des attestations de toute part. Des demandes refusées puis finalement acceptées, mais trop tardivement.
Avec des moyens financiers et une réelle volonté politique, l’inclusion pourrait être un succès. Il faut en finir avec la vision de l’école traditionnelle d’il y a 40 ans. L’école n’a plus seulement vocation à enseigner, mais bien de permettre à l’enfant de créer un lien social, de lui apprendre la tolérance, la bienveillance et le vivre ensemble… Au diable les performances !
Le 11 juin dernier, le gouvernement s’est engagé, pour la rentrée 2019, à ce que l’inclusion scolaire soit mieux respectée et que le métier d’accompagnant soit reconnu. Beaucoup de familles l’espèrent....
Sources :
*Article L112-1 du Code de l’éducation : “la scolarisation en milieu ordinaire est un droit dans la mesure où elle favorise les apprentissages et permet de conforter l’enfant, l’adolescent ou l’adulte handicapé dans ses acquis pédagogiques”
Source : CNSA - https://www.cnsa.fr/documentation/chiffres_cles_2019_cnsa.pdf